Numărul 1 / 2014

STUDII

 

 

COUP D’ŒIL SUR LE REGIME ROUMAIN DE LA RESPONSABILITE CIVILE

 

Paul Vasilescu*

 

 

Bref. Nous avons tenu à diviser notre discours de la responsabilité en deux parties, la première veut rendre hommage à l’ancien code civil roumain, sous le titre « Au feu code, le législateur méconnaissant (I) ». Donc, à l’époque où le code civil roumain de 1865 n’était que le pastiche du libellé napoléonien de 1804, deux différences marquaient l’écart existant entre les deux systèmes respectifs de droit. Le premier était de nature légale, car le code roumain comprenait un article établissant la solidarité de ceux qui ont conjointement causé le préjudice, l’autre était de nature fonctionnelle (voire jurisprudentielle) : le juge roumain s’avérait plus sceptique à l’égard des innovations qu’il aurait pu engendrer en la matière. Alors, du point de vue de sa source normative, la responsabilité civile applicable sur le sol roumain n’était qu’un diminutif du système français, voire une responsabilité qui connaissait tous les cas de figure français mais à une moindre échelle. La deuxième partie de notre discours va cibler le nouveau Code civil (II) et elle ne peut comprendre qu’un bref aperçu normatif de la responsabilité (1) et quelques aspects liés à la responsabilité contractuelle (2). Ainsi, le code civil roumain de 2011 consacre au moins 50 articles à la responsabilité tout en préservant certaines caractéristiques existant déjà auparavant. Ce qui nous intéresse là c’est de dénouer le sens des textes de ce code civil roumain afin de déceler si ces écrits forment effectivement un système normatif. La tâche est assez lourde, parce que le faisceau légal comprend à la fois des dispositions concernant différents types de responsabilité et des textes applicables à titre général quelle que soit la nature de la responsabilité. Loin de nous l’idée de résoudre tous les problèmes soulevés par la nouvelle loi civile, mais de tenter à mettre en ordre des divers aspects. Pas maintes fois les lois d’aujourd’hui ne laissent l’arrière-goût d’un amalgame normatif démuni de tout fil conducteur. Le dépeçage d’un texte légal en normes applicables à des cas d’espèce, sans pouvoir y puiser des règles générales, nous évoque l’approche féodale de la normativité et c’est à nous tous d’y réfléchir et d’observer dans quelle mesure cette façon de faire la loi marque un (grand) bond en avant ou un (éventuel) recul pour la normativité postmoderne. C’est d’ailleurs pour cela que nous allons nous pencher maintenant sur des questions comme le rapport établi entre la responsabilité délictuelle et celle contractuelle ; la règle du cumul des responsabilités ; les espèces de responsabilité civile ; les cas généraux d’exonération, pour ainsi surprendre le spécifique de la nouvelle réglementation, s’il y en a un.

 

Mots clés : responsabilité civile ; responsabilité délictuelle ; responsabilité contractuelle ; cumul des responsabilités

 

 

 

(I) Au feu code, le législateur méconnaissant. Le 1er décembre 1865 marque l’entrée d’une nation dans le concert de celles qui s’accordent sur le fait que la modernité juridique se bâtit sur des fondements sûrs, tel que le code Napoléon. L’enjeu crucial de la société roumaine en train d’éclore, au début du XIXe siècle, c’était de choisir un modèle juridique et politique digne d’être suivi pour ainsi garantir la sortie culturelle de la zone orientale, à savoir ottomane. Régler l’activité sociale et modifier ainsi les fondements de la vie privée imposèrent l’emprunt des recettes déjà vérifiées. Ainsi s’explique le choix roumain – parmi d’autres – pour la constitution belge de 1830 et pour le code civil des Français ; mais seulement le dernier nous intéresse là. Ce qu’il convient d’être souligné c’est que le choix fut à la fois politique et juridique, mais l’impact fut également culturel. Élever une nouvelle société suppose un échafaudage institutionnel apte à transformer l’Etat en un mécanisme moderne, à l’instar de ce qui existait à l’époque en Occident ; en effet, il est impossible de changer de cap politique sans modifier les institutions publiques, donc, la rupture avec le passé fut totale : une principauté moderne naît dès 1866 et remplace un voïévodat médiéval, même avant que celui-ci proclame son indépendance politique de la Sublime Porte (1877). Au côté de la modification de la structure étatique, la société elle-même a besoin des nouveaux bien-fondés. A cette fin, on met en vigueur le 1er décembre 1865 le code civil des Roumains, une œuvre législative largement inspirée du Code français de 1804 ; évidemment d’autres lois ont complété la panoplie normative de la jeune Principauté, des lois d’inspiration notamment française et italienne régissant les plus importants éléments de la vie politique et civile.

Pas question d’analyser maintenant la structure technique de cette législation ayant inauguré une nouvelle structure sociale, mais ce qu’il faut faire c’est de se concentrer sur un aspect crucial de la rupture qui initia une nouvelle aube : le code civil et son impact. D’abord, le code civil roumain resta en vigueur dès 1865 au 1er octobre 2011, évidemment avec maintes modifications, passées notamment en matière des personnes et du droit du mariage ; un nouveau code de la famille étant mis en œuvre le 1er février 1954. La deuxième idée c’est que la matière de la responsabilité civile fut réglée un siècle et demi par les mêmes textes. Il s’agit des articles 998-1003 du code civil, articles qui reprennent pour l’essentiel le libellé du code français (ses articles 1382-1386). La seule différence à noter entre les deux codes était l’article 1003. Cet article roumain disposait que « Lorsque le délit ou le quasi-délit est imputable à plusieurs personnes, celles-ci sont tenues solidairement à payer l’indemnité ». Ce dernier texte explique d’ailleurs pourquoi à la fois la doctrine et la jurisprudence roumaines ne se sont pas occupées en l’occurrence de l’obligation in solidum. Sans considérer que l’article 1003 représenterait un atout du code roumain, c’était à nous de souligner la seule différence qui existait textuellement entre la loi roumaine et le code français d’origine.

 De plus, on sait que, pour l’essentiel, la responsabilité est une matière réservée par excellence aux juges. Autrement dit, c’est la pratique judiciaire qui a fait avancer les choses, la doctrine marchant sur les pas de la juriprudence ; ainsi, si l’on comparaissait la jurisprudence française en matière de responsabilité avec celle belge, on pourrait observer comment des textes identiques ont inspiré des solutions assez différentes. Mais il n’est pas question de passer ici en revue les différences pratiques qui existaient entre les deux juridictions nationales respectives. Notons pourtant que la doctrine roumaine[1] fut toujours influencée par ce qui se passait en droit français et, en conséquence, presque tous les débats doctrinaux français eurent un certain écho aussi en droit roumain. Par rapport au droit français, celui roumain resta toutefois plus attaché au pied de la lettre du code, la jurisprudence roumaine n’osant pas autant que son équivalent appliqué en Hexagone. Cela dit que le droit roumain de la responsabilité civile a connu les cas de figure classiques de la responsabilité du droit continental, mais consacrés directement par le libellé du code civil national.

De ce point de vue, appelons les trais essentiels du droit de la responsabilité applicables durant la période 1865-2011. Premièrement, pour le droit privé roumain, la responsabilité était un principe conducteur, mais également une institution régie par principe, concrétisé dans l’idée maîtresse que tout préjudice causé indûment ouvre la voie de la réparation juridique. Donc, la typicité du fait dommageable ne caractérisa pas le système. Peut-être la seule exception de la réglementation par principe de la responsabilité fut celle prévue à l’article 1002 qui prévoyait la responsabilité du propriétaire pour les dommages causés par la ruine de l’édifice ; figure assez étrange et critiquée, mais qui a survécu aussi au nouveau code civil de 2011[2]. Deuxièmement, le code civil constituait le droit commun pour le droit privé en son ensemble et, par voie de conséquence, la responsabilité civile régie par le code se présentait à son tour comme un droit commun de la responsabilité juridique. De plus, parce qu’il y en avait beaucoup, la responsabilité civile de facture subjective fut prise en droit commun par rapport à d’autres types de responsabilités, prévues (ou pas) par le code civil. Néanmoins, tout cela n’excluait point l’existence d’autres cas de responsabilités civiles fixés par des lois distinctes du code civil, ainsi que des responsabilités civiles spéciales, réglés par le même code, mais au sein des différents contrats spéciaux. Troisièmement, la source intellectuelle du système de la responsabilité était bien décelable, parce que le code civil français fut le modèle reconnu pour tout le droit civil, pas seulement pour le droit de la responsabilité.

Evidement, l’ancien code civil roumain reste loin d’être à l’abri de toute critique, ainsi que la responsabilité qu’il a mise en œuvre. En fait, toutes les critiques soulevées en droit français, on aurait pu les projeter aussi sur le code roumain. Abstraction faite de toute critique ponctuelle, l’ancien code roumain a pourtant engendré un système juridique de la responsabilité cohérent, souple et simple dont l’évolution très lente et moins ample, opérée au fil des siècles par le juge roumain, illustre bien l’appétence bien réduite (voire l’indifférence) pour une refonte du droit de la responsabilité civile. Mais ce qui représente l’essentiel dans cette discussion c’est que le code civil de 1865 fut toujours un repère intellectuel dont la source la plus intime était manifeste : le droit français. De ce point de vue, abroger le code civil français des Roumains c’est rompre d’avec la tradition ayant fait possible toute la modernité juridique roumaine, c’est déraciner entièrement l’arbre de la connaissance juridique.

En définitive, pourquoi certains semblent être en proie à la mélancolie de l’ancien code civil roumain ? Qu’est-ce que l’on regrette effectivement, si l’on le fait réellement ? Ou bien, en d’autres termes, la source d’une loi, comme le code civil, a-t-elle une telle importance que sa perte mérite d’être déplorée ? Pas question d’un sentimentalisme plus ou moins naturel, mais d’autre chose ! L’ancien code civil roumain avait une origine identifiable certainement ! Et le regret (tant qu’il existe !) ne vise (paradoxalement) ni les solutions du code, ni même son libellé, mais son esprit. Plus exactement le rationalisme identifiable à sa source, la cohérence du système normative et encore une chose assez difficile à avouer : la promesse d’une certitude, celle que la vérité existerait et qu’il n’y en aura qu’une seule. C’est cela que l’on a perdu. Et cela déboussole tout juriste qui sait et espère que le droit ne soit pas toutefois que la loi. A cet égard, l’ancien code était à la fois la preuve et la garantie que le monde juridique est nonobstant rationnel ; qu’il y avait un sens des choses à découvrir, sens caché outre le pied de la lettre d’un texte quelconque, restant à nous de le saisir et de le livrer au monde. Humaniser le droit, le comprendre et y retrouver un abri intellectuel, voilà c’est ce qu’était l’ancien code. Et tout cela reposait sur un soubassement solide : une grande culture qui a pu faire naître le modèle du code, qui a engendré d’ailleurs toute la modernité juridique elle-même : le droit français. Donc, déposer le code, c’est perdre la tête du droit civil.

(II) Code nouveau, nouveaux soucis. Le code civil de 2011 qui abroge et remplace l’ancien code de 1865 consacre lui aussi des textes à la responsabilité civile. Alors, de 6 on est passé à plus de 50 ; il s’agit des articles[3] dédiés à la matière qui nous intéresse là, sans compter les textes de la responsabilité spéciale dont la place se trouve dans la partie du même code dédiée aux contrats spéciaux. Donc, observons d’emblée le rapide normatif : agitée et accélérée, la norme civile se dirige vers le circuit civil en menaçant de déborder tout : l’analyste et le praticien. Vu le nombre des textes consacrés à la responsabilité, la question qui se pose d’abord c’est d’opérer un tri, de choisir une problématique à débattre maintenant, tout en éloignant le risque d’ennuyer ou de s’égarer dans ce dédale nominal. Ce faisant, deux questions essentielles feront l’objet de notre discours : d’abord on va tenter d’offrir une image panoramique (1) sur la responsabilité, tel que le législateur roumain a réglé l’objectif normatif du code, puis on va essayer de dire quelques mots sur la responsabilité contractuelle (2), sa nature et les rapports respectifs avec le dispositif normatif générale de la responsabilité civile. De plus, on va borner notre propos à ce qui existe dans le code de 2011, en ignorant d’autres sources de responsabilité de droit privé. De ce point de vue, une première note vise la responsabilité du fait des produits défectueux[4] qui reste du ressort d’une législation spéciale tout en échappant au code civil (l’ar. 1349 al. 4)[5].

(1) Aperçu normatif de la responsabilité. Le siège général de la responsabilité quel que soit son statut se trouve dans un chapitre à part, comprenant les articles 1349-1395, dont l’intitulé est même suggestif : la « Responsabilité civile ». La topographie légale nous décrit, après une définition de la responsabilité (l’ar. 1349), une section dédiée à des causes ayant un effet exonératoire (les ar. 1351-1356) suivie des sections réglant différents types de responsabilité (les ar. 1357-1380), et d’une grosse partie concernant la réparation du préjudice, quelle que soit sa source (les ar. 1381-1395).

Le code civil roumain pratique formellement la distinction entre la responsabilité délictuelle et celle contractuelle, la dernière étant légalement réduite à l’inexécution des obligations issues d’un contrat valable, et le rapport d’entre les deux étant figé par la règle du non-cumul des responsabilités (l’ar. 1350). Outre, toujours des dispositions générales, on peut en déduire que le principe qui gouverne la matière de la responsabilité c’est la réparation du préjudice causé par toute atteinte aux « droits et intérêts légitimes d’autres personnes » (l’ar. 1349 (1)). Le mot « droit » ne soulève aucun point d’interrogation, puisque on peut envisager tout droit subjectif que ce soit patrimonial ou pas. En revanche, «l’intérêt légitime » n’est qu’une consécration légale d’une idée véhiculée déjà par la doctrine roumaine, selon laquelle tout intérêt manifestement sérieux, licite et perpétué ouvre lui-même la voie de la réparation au moment où il est touché. Donc pas question de renvoyer à la doctrine de Ihering sur le droit subjectif, mais de souligner que le dommage peut naître aussi d’une atteinte à une situation de fait qui mérite une protection indirecte, par l’allocation des dommages et intérêts. Observons que la générosité du législateur l’emporte sur la précision scientifique, parce que l’article 1349 efface toute importance entre l’atteinte à un droit et l’une à un certain état de fait jugé ad hoc digne d’être défendu. Mieux encore, l’indifférence entre le droit et l’intérêt sérieux jouait pratiquement en quelques cas, régis déjà par le code actuel. Ainsi, ce cas-ci sont aujourd’hui couverts par l’hypothèse de la victime par ricochet (l’ar. 1391 (2)), par celle de la victime de la cessation de l’obligation alimentaire suite à un fait dommageable (l’ar. 1390). Mais ces hypothèses que le législateur avait en esprit, étant empruntées à la pratique antérieure, sont maintenant réglées expressément par le code civil, c’est ce qui soulève encore des points d’interrogation sur l’utilité de la réglementation par principe, qui prévoit que l’intérêt lui-même puisse justifier une action en responsabilité civile.

Avant que l’on s’attaque à quelques détails sur la responsabilité civile, juste une petite remarque sur l’exonération de responsabilité dont le code civil nous parle assez largement (les ar. 1351-1356). L’ambition du législateur fut d’établir des textes applicables à tout type de responsabilité[6], et l’on y retrouve des cas dont l’effet est indiscutablement exonératoire, mais aussi des situations, des hypothèses légales qui intéressent évidemment la responsabilité mais sans avoir toujours un effet libératoire d’obligation de réparation civile. Apercevons d’un clin d’œil le spécifique de ces articles ayant un but exonératoire ! Tout d’abord, on pourra y inclure la force majeure et le cas fortuit, dont les traits doivent être retrouvés aussi dans deux autres hypothèses – le fait de la victime et le fait du tiers – pour qu’elles aient à leur tour un effet libératoire de responsabilité. A vrai dire, ces derniers faits, commis par la victime ou par un étranger à la responsabilité, n’ont pas d’effet exonératoire qu’ils aient les traits de la force majeur ou du cas fortuit, ce qui est trop et bien difficile de juger en pratique ; le lien au fait générateur de préjudice suffisait, selon notre sens. En outre, différencier la force majeure du cas fortuit tout en suivant les critères proposés par le code civil, ce n’est pas une chose très facile à faire, bien que théoriquement ce nous semble simple comme bonjour. Ainsi, la loi nous apprend que la force majeure est un « événement extérieur, imprévisible, absolument invincible et inévitable », tandis que le cas fortuit reste l’événement qui « ne peut être prévu ni empêché par le responsable si l’événement ne s’était pas produit » (l’ar. 1351 (2) et (3)). Ce qui importe c’est que le noyau de ces cas ayant un effet exonératoire n’est qu’une situation de fait, un événement, et non pas un pur artefact intellectuel dont la définition théorique demeure bien difficile ; par conséquent, mieux vaut éviter de le définir légalement, en plaçant tout fardeau explicatif sur les épaules de la doctrine et de la pratique. Enfin, délimiter les deux causes exonératoires ne trouve l’importance que l’on a affaire à une responsabilité objective où seulement la force majeure écarte l’obligation de réparation. Mais pour contredire en quelque sorte le caractère spécial (sinon même spécieux) de la différence existant entre la force majeure et le cas fortuit, l’article 1352 utilise la notion de force majeure comme critère du fait de la victime (et du tiers), car uniquement le fait de la victime ayant les traits de la force majeure exonère d’une responsabilité objective (l’ar. 1380).

Encore trois idées faut-il articuler, toujours liées au droit commun de l’exonération civile. Ainsi, selon l’article 1354, la victime d’un préjudice causé lors d’un service rendu à titre gratuit n’a pas de droit à la réparation, à moins qu’elle ne prouve la faute intentionnelle du responsable civil. Le texte à comme but de mettre un terme à toute discussion sur le bien-fondé de la responsabilité au cas où le dommage advient suite à l’une activité bénévole, bien que la pratique roumaine ne se soit pas affronté à de tels cas. Le texte du code reste applicable quel que soit le type de la responsabilité, qu’il y en ait une subjective ou une objective, du fait personnel ou d’autrui, du fait de la chose ou de l’animal etc. Retenons qu’aussi pour la responsabilité objective, celle-ci ne peut être écartée que l’on prouve la « faute intentionnelle, ou non-intentionnelle mais grave, de celui qui, selon la loi, devrait en répondre » (idem). Le deuxième texte à rappeler là concerne les clauses relatives à la responsabilité (l’ar. 1355).

Ainsi, l’article indiqué ci-dessus fait la différence entre le préjudice matériel et celui corporel, également à des fins exonératoires. La règle établie de lege lata c’est la liberté de toute convention ou déclaration unilatérale ayant comme effet la limitation de la réparation du dommage matériel, tandis que les préjudices causés à l’intégrité physique ou psychique ou à la santé ne peuvent être ni écartés, ni diminués, qu’en suivant les dispositions légales (idem (3)). Ce semble montrer une normalité normative, parce que la loi veut renforcer la protection de la vie et de la santé des personnes, mais pratiquement on va avoir du mal à déterminer l’effet d’une clause de limitation du montant de l’indemnité due suite à des blessures causées lors d’un sport jugé dangereux (e.g. un de contact). Le même article, sans départager le préjudice corporel de celui matériel, régit le sort d’une déclaration d’acceptation du risque qui – selon la loi – ne vaut pas une « renonciation de la part de la victime à son droit d’obtenir le payement de la réparation » (idem (4)). Si l’on combine les deux derniers articles, tout en les appliquant aux dommages corporels, il y a le risque d’aboutir à l’idée que les clauses de non-responsabilité seraient illusoires chaque fois qu’il s’agit de la réparation du préjudice corporel. Soulignons que ce n’est pas le rempart normatif soulevé autour du corps humain qui puisse gêner, mais la portée pratique d’une telle disposition légale, car toutes les activités impliquant des risques pour la santé se déroulent sur une base conventionnelle[7].

Enfin, la troisième question regarde les annonces sur la responsabilité (l’ar. 1356). Pour l’essentiel, sur le terrain contractuel, nulle annonce n’a d’effet que si son contenu fut connu par la victime (idem (1)). On pourrait juger inutile une telle disposition légale, il en est ainsi par la force de l’évidence et par l’application des règles de la responsabilité contractuelle, puisque l’acte dont les obligations furet inobservées doit comprendre aussi les clauses[8] de non-responsabilité censées être connues par toutes les parties du contrat. Sur le terrain délictuel, une annonce de non-responsabilité n’a aucune conséquence exonératoire, toutefois une « telle annonce peut avoir la valeur d’un avertissement de péril, étant applicables, selon le cas, les dispositions du premier alinéa de l’article 1371 » (idem (2)). L’effet de cet avertissement serait même l’exonération, lorsque l’on prouve que la victime a intentionnellement ignoré l’avis de péril. Cette logique serait applicable quand le fondement de la responsabilité est subjectif, car la loi voit – dans une telle occurrence – une faute commune, à partager entre le responsable et sa victime, selon l’article 1371[9]. Reste moins clair si l’hypothèse décrite à l’article 1356 (2) va aussi s’appliquer au cas où la responsabilité soit objective, car la fameuse compensation des fautes sera presque impossible.

Quant à la structure légale de la responsabilité délictuelle, le nouveau code civil roumain n’innove guère, parce qu’il conserve les cas de la responsabilité existants déjà dans l’ancien code. Ainsi, l’on a affaire à une responsabilité subjective (du fait personnel) et à une objective, à une responsabilité du fait des choses (animées ou pas), à une responsabilité du propriétaire pour la ruine de l’édifice, et à la responsabilité du fait d’autrui. Ce qu’il faut nécessairement rappeler là c’est un type de responsabilité spéciale, que l’on peut considérer subjacente à celle objective du fait des choses, prévue à l’article 1379. Ce texte ouvre la voie d’une action que l’on peut appeler de effusis et dejectis, car le responsable est « celui qui occupe un immeuble, même sans titre », lui étant tenu à indemnisé tout préjudice « causé par un objet qui tombe ou est jeté d’un immeuble » (idem (1)). Pour la loi roumaine, la victime d’un tel dommage venu des cieux à une option, parce qu’elle peut agir soit sur le fondement de la responsabilité du fait des choses tombées ou jetées, soit s’appuyant sur l’article dont il est question là. A notre sens, l’actio de effusis et dejectis n’est qu’une application (obsolète, voire inutile) de la responsabilité du fait des choses dont la place, dans un code des années 2010, n’est pas aisément à expliquer, comme toute chose en trop. Rappelons-nous brièvement maintenant quelques détails que les figures classiques de la responsabilité délictuelle comportent dans le code civil roumain de 2011.

Pour la responsabilité du fait personnel (les ar. 1357-1371), le code actuel a conservé la différence ayant antérieurement existé entre le fait dommageable et la faute. Ainsi, en droit civil roumain, la notion de « faute » ne regarde que l’attitude psychologique du responsable à l’égard de ses actions illicites ; la faute étant une sorte de partie subjective des conditions de la responsabilité civile que le code définit à l’article 16, tout en reprenant les dispositions du code pénal roumain de 1968 qui sera remplacé en 2014 par une loi déjà existante. Tandis que la notion de « fait illicite », ayant engendré causalement le dommage pour lequel on répond, ne comprend que l’activité inique objective, matérielle et extérieure, du sujet responsable civilement. Donc, le code civil de 2011 consacre et perpétue une interprétation roumaine traditionnelle issue des articles 998-999 de l’ancien code civil[10]. Puis, le code actuel régit l’effet des certains cas exonératoires, tels que la légitime défense, l’état de nécessité, le secret commercial, et l’exécution d’un droit ou l’obéissance à un ordre, qui s’ajoutent d’ailleurs aux causes générales libératoires de responsabilité dont on a parlé plus haut. Retenons toutefois que la légitime défense et l’état de nécessité n’ont pas toujours un effet d’exonération totale. Dès lors, la légitime défense peut laisser subsister une certaine « indemnité adéquate et équitable » à payer, si l’on outrepasse les limites de la légitime défense, à la charge de la victime de l’agression illégitime (l’ar. 1360 (2)). En outre, celui qui agit sous la contrainte de l’état de nécessité peut être pourtant tenu à une réparation « selon les règles applicables à l’enrichissement sans cause » (l’ar. 1361). La seule énigme à trancher est si ces textes ont effectivement un effet d’exonération, ou bien ils transfèrent la discussion de la responsabilité vers les quasi-contrats, ce faisant, pour éviter la question plus épineuse de la mise en œuvre des articles 1360 et 1361. Enfin, le code roumain a aussi consacré la capacité délictuelle de la personne physique, ce qui veut dire qu’une personne âgée de 14 ans accomplis est légalement censée être consciente des suites de ses actions et, en conséquence, on la juge responsable pour les dégâts qu’elle puisse produire (l’ar. 1366 (2)). Néanmoins le mineur qui « n’a pas 14 ans accomplis, ainsi que l’interdit judiciaire[11], n’est pas tenu à réparer le préjudice qu’il a causé, à moins que l’on ne prouve son discernement au jour où le préjudice est survenu » (idem (1)). On y retrouve une seule nouveauté, à l’article 1368, qui prévoit une obligation subsidiaire de réparation à la charge de la personne sans capacité délictuelle, qui sera tenue à payer à la victime une indemnisation dont « le montant sera équitable, compte tenu de l’état patrimonial des parties » (idem (2)). De quoi s’agit-il là : d’une réparation sans responsabilité, ou d’une responsabilité distributive, issue de la justice synonyme et pas non plus de l’application des règles de la réparation pour la faute ?

La responsabilité du fait d’autrui (les ar. 1372-1374) prend concrètement corps dans celle spéciale pour le fait du mineur et de l’interdit, et encore dans celle du commettant, la dernière sorte de responsabilité ne comportant pas des modifications essentielles par rapport à sa figure d’origine[12]. Certains détails furent toutefois apportés à la responsabilité des parents (et leurs assimilés) et des tuteurs des interdits pour faiblesse d’esprit. Premièrement, signalons que la loi roumaine nous parle clair du devoir auquel sont tenus les responsables civils : « l’obligation de surveillance » (l’ar. 1372 (2)). Deuxièmement, observons la charge qui pèse aujourd’hui sur les épales des tuteurs qu’il s’en agisse des mineurs ou des interdits et, enfin, regardons le système à part entière des règles qui permet l’éloignement de la responsabilité. Dès lors, celui qui est « tenu à surveiller n’est exonéré de responsabilité que s’il prouve ne pas avoir pu empêcher le fait préjudiciable. Les parents ou les tuteurs, selon le cas, ne s’exonèrent qu’en prouvant que le fait de l’enfant soit la suite d’une autre cause que la manière d’exercer l’autorité parentale » (idem (3)). Pour (finir et) mettre la cerise sur le gâteau, faut-il lire l’article 1374. Celui-ci dénoue l’éventuel concours entre la responsabilité des parents et celle des commettants, tout en consacrant le truisme que la responsabilité des parents sera chassée par celle spéciale des commettants quand le préposé est mineur. En effet, l’idée la plus large c’est que la responsabilité des parents est subsidiaire et évincée par toute autre responsabilité fondée sur une obligation spéciale de surveillance, lorsqu’une de ces dernières (e.g. du commettant, du professeur) peut s’engager concrètement dans l’espèce.

La responsabilité du fait des choses (les ar. 1375-1380) comprend les espèces classiques (celle pour les choses proprement-dites, celle du fait des animaux, celle du propriétaire pour les dégâts causés par la ruine de la construction), et aussi deux nouveaux cas de figure. Le premier, prévu à l’article 1379, concrétise les conditions nécessaires pour engager une actio de effusis et dejectis dont on a déjà parlé ; le deuxième est relatif aux accidents de la route dont le dénouement se trouvait auparavant dans l’application des diverses règles de la responsabilité de droit commun (subjective, objective etc.). L’article 1376 (2) nous explique que les dispositions établies en matière de la responsabilité du fait des choses seront applicables ainsi qu’en « cas de collision des véhicules ou en d’autres cas similaires. Néanmoins, dans un pareils cas, l’obligation de réparation de tous les préjudices n’incombera qu’à celui dont la faute puisse être considérée comme une force majeure à l’égard de tous ceux impliqués en accident ». Sans pénétrer là les détails, il convient de dire que le texte du code ne consacre pas à vrai dire une nouvelle espèce de responsabilité objective, mais c’est lui qui réclame deux mises au point à faire. La première, en cas de collision (des véhicules à moteur ou pas, des skis, des vélos etc.), on peut appliquer les règles de la responsabilité du fait des choses, mais sans aucune spécificité par rapport au droit commun, parce qu’un véhicule (même à moteur) n’est qu’une chose parmi d’autres, et sans savoir si ces règles-ci l’emporteraient de lege lata sur celles de la responsabilité subjective du fait personnel. La deuxième, on entérine[13] l’option du législateur roumain, selon lequel, uniquement la force majeure pourrait exonérer de responsabilité, même si l’événement qui concrétise cette force n’était qu’une faute personnelle.

A côté des normes consacrées à des différents genres de responsabilités, le code civil roumain comprend aussi une section dédiée à la « réparation du préjudice en cas de responsabilité délictuelle » (les ar. 1381-1395). C’est là que le législateur a fait glisser des notions et situations hétérogènes, les unes assez classiques, voire indispensables (e.g. la solidarité des débiteurs responsables, le principe de la réparation intégrale, l’action récursoire), d’autres inédites. A cet égard, l’article 1385 (4) nous parle – pour la première fois en droit roumain – de la « perte d’une chance d’obtenir un avantage ou d’éviter une perte », quand la « réparation sera proportionnelle à la probabilité d’obtenir l’avantage ou, selon le cas, d’éviter le dommage, compte tenu des circonstances concrètes et de l’état de la victime ». Ainsi que l’article 1391 (2) qui ajoute, toujours en première, que le juge « peut également accorder une indemnisation à des ascendants, descendants, frères et sœurs, et aussi au conjoint, ainsi qu’à toute personne, pour le chagrin éprouvé à cause de la mort de la victime ». En l’occurrence, le droit à l’indemnité établi selon l’article 1391 « ne passe pas aux héritiers. Ceux-ci peuvent l’exercer seulement si l’action judiciaire fut intentée par le défunt » (idem (4)). Donc, il nous semble avoir affaire à un droit patrimonial, issu de l’atteinte d’un droit extrapatrimonial, dont le transfert serait bien limité comme s’il était un droit extrapatrimonial. Toujours comme élément de nouveauté, appelons l’article 1394, dont l’essence est de prolonger le délai civil de la prescription extinctive pour le droit à la réparation au délai pénal de prescription, si ce dernier est plus long que celui civil et le fait dommageable s’avère une infraction réprimée par la loi pénale.

(2) De la responsabilité contractuelle. Le code civil de 1865 (à l’instar d’ailleurs de son modèle français de 1804) n’en soufflait mot, ce qui n’a pourtant pas empêché l’apparition d’une littérature et d’une pratique importantes sur les traits de ce genre de responsabilité civile. A l’opposé, le code roumain de 2011 consacre in terminis, tel que l’on a déjà vu, les deux types de responsabilité civile, la preuve littérale étant l’article 1350 dont l’intitulé est même la « responsabilité contractuelle ». Mais au-delà de tout nominalisme normatif, on ne peut pas ne pas s’interroger si le code roumain actuel est resté fidèle à lui-même en développant, à travers ses dispositions, une différence substantielle du binôme délictuel-contractuel, en matière de la responsabilité. A coup sûr, l’article 1350 contient (au moins) trois idées : la première, c’est que toute personne « doit exécuter les obligations qu’elle a contractées » (idem (1)) ; la deuxième, c’est que la partie du contrat qui manque inexcusablement à une de ses obligations[14] conventionnelles sera « responsable pour le préjudice causé à l’autre partie, étant obligée à le réparer, selon la loi » (idem (2)). Enfin la troisième idée c’est qu’aucune « des parties ne peut écarter les règles de la responsabilité contractuelle afin qu’on applique d’autres règles plus favorables » (idem (3)). Bien que l’article 1350 siège dans la section du code appelée la « responsabilité civile », pourtant tout au long de cette partie on ne trouve plus aucun texte légal dédié à la responsabilité issue du contrat. C’est pour cela qu’il faut rejoindre aussi d’autres articles (1516 et s.), groupés par le code dans un autre chapitre spécial, sous l’intitulé l’ « Exécution forcée des obligations ». Puisqu’il nous est impossible de passer maintenant en revue tous les détails contenus par les normes respectives, bornons-nous uniquement à accentuer quelques aspects.

D’abord, il est certain que le chapitre l’ « Exécution forcée des obligations » comprend aussi d’autres articles que ceux-là dédiés à la responsabilité. Ainsi, c’est là que l’on trouve des dispositions intéressant la mise en demeure du débiteur[15] (les ar. 1521-1526) ; les arrhes (les ar. 1544-1546) ; la résolution et la résiliation (les ar. 1549-1554) et les causes justificatives d’inexécution des obligations contractuelles[16] (les ar. 1555-1557). Le premier constat qui en résulte c’est que la loi roumaine considère la responsabilité contractuelle une sorte d’exécution forcée des obligations. En plus, dans le chapitre dont nous parlons, il y a un article qui sème de confusion de plus. Il s’agit de l’article 1518 (1) qui nous dit que le « débiteur répond personnellement pour l’exécution de ses obligations, à moins que la loi ne prévoie autrement ». Ici le sens du mot « responsabilité » est légalement réduit à l’idée d’engager les biens du débiteur, en formant ainsi le gage général du chirographaire. Dans un sens identique, le terme « responsabilité » est employé également dans l’article 2324 (1) ayant consacré la « garantie commune des créanciers », à savoir – selon le vocabulaire classique – le gage général des créanciers chirographaires. Alors, on peut utiliser le mot « responsabilité » soit pour désigner l’idée générale que le débiteur est tenu à titre personnel d’accomplir ses obligations, (sinon le créancier a le droit de poursuivre et d’exécuter tout bien appartenant au débiteur défaillant), soit pour révéler une obligation spéciale : celle de réparer au cas où le préjudice est arrivé. Notons, donc, que l’article 1518 (1) envoie au gage général, tandis que l’article suivant (1519) régit la responsabilité contractuelle du fait d’autrui, en en résultant un quiproquo parfait !

Ensuite, autre choix législatif inconsciemment manqué c’est celui de la netteté de la différence proposée entre l’exécution forcée des obligations (conventionnelles) et la responsabilité contractuelle, bien que le code nous en parle au libellé de l’article 1337. Celui-ci nous apprend que la preuve de l’inexécution d’une obligation contractuelle « n’exonère pas le créancier d’apporter la preuve du préjudice » qu’il a subi de ce fait. Cela dit qu’il en y a deux choses différentes : l’inexécution et le préjudice, et que chacune de ces deux doit être prouvée séparément, à moins que la loi ne dispose autrement. Il en résulte que toute inexécution d’une obligation contractuelle n’engendre pas automatiquement un préjudice et que, pour que l’on puisse parler d’une telle responsabilité, on est tenu à prouver le dommage à réparer. Malgré la lettre de l’article 1537, toute la section qui s’en occupe laisse l’impression que, en effet, l’inexécution s’identifie au préjudice et que la responsabilité contractuelle n’est qu’un synonyme de l’exécution forcée des obligations volontaires. Sans prendre parti maintenant d’une conception ou d’une autre, il convient de remarquer que lorsque l’on fabrique une nouvelle loi, c’est au législateur de couper toutefois les nœuds plus au moins gordiens ayant auparavant suscité tant de disputes, ce qui ne se passe guère avec le code civil roumain qui s’avère moins tranchant.

Pour poursuivre, observons que l’article 1537 trouve – dans la quête législative de la différence spécifique d’entre la responsabilité contractuelle et l’exécution forcées des obligations – son opposé dans l’article 1530. Ce dernier dispose que le créancier a le « droit à des dommages et intérêts pour la réparation du préjudice que le débiteur lui a causé, préjudice ayant été la conséquence directe et nécessaire de l’inexécution sans justification ou, selon le cas, fautive des obligations ». Cela nous dit, parmi tant d’autres, que les dommages-intérêts ne représentent que l’indemnisation due pour l’inexécution du contrat, à savoir une exécution par équivalent des obligations primitives issues de l’acte juridique dont l’exécution fut manquée. C’est d’ailleurs ce que suggère l’intitulé de la section du code qui commence à l’article 1530. Souvenez-nous, donc, si l’article 1537 fait formellement la différence entre l’inexécution et le préjudice, en revanche, l’article 1530 semble mettre le signe d’égalité entre ces deux catégories juridiques. Il peut en résulter un match nul entre les partisans des différences qui existeraient entre la responsabilité contractuelle et l’exécution forcée du contrat et ceux qui soutiennent l’identité de ces deux catégories.

En revenant au rapport existant entre les deux espèces de responsabilités, encore faut-il répéter que le code civil roumain consacre la règle du non-cumul des responsabilités, afin que l’on puisse ainsi renforcer le contrat, sa force obligatoire, et également pour que l’on assure un régime spécial et dérogatoire à la responsabilité contractuelle. De ce point de vue, une différence majeure entre cette dernière et la responsabilité délictuelle peut être traditionnellement décelée au niveau du préjudice. Ainsi, le caractère prévisible du dommage fut toujours considéré comme une marque de la responsabilité contractuelle, un caractère dû à l’origine de cette espèce de responsabilité. Alors, bien que cette différence retrouve formellement sa place dans le code (l’ar. 1533), si l’inexécution est de facture intentionnelle, l’obligation du débiteur va outrepasser celle de réparer le préjudice prévisible, quoique l’indemnisation ne puisse comprendre que « ce qui est la conséquence directe et nécessaire de l’inexécution de l’obligation » contractuelle (idem). Faisons seulement deux remarques, occasionnées par cet article. D’un côté, le texte légal préserve ad litteram l’exigence de la prévisibilité du préjudice en matière de responsabilité contractuelle, nonobstant l’article se tait sur un autre aspect important. Ainsi, la loi ne nous indique pas si la responsabilité préserve sa nature contractuelle, ou elle change d’essence, en devenant une délictuelle, lorsque l’inexécution du contrat est à coup sûr intentionnelle. D’un autre côté, pouvons noter que l’expression « conséquence directe et nécessaire » est inappropriée pour que l’on puisse utiliser comme critère certain de la prévisibilité du préjudice, tel que le code le fait à l’article 1533 in fine.

Enfin, voyons la disposition inédite contenue à l’article 1519. A cet égard, après avoir prêché le principe de la responsabilité contractuelle du fait personnel, le code nous fournit une exception : la responsabilité contractuelle du fait d’autrui. C’est ce que nous dit l’article 1519 : « le débiteur répond des préjudices causés par la faute de celui qui devait exécuter les obligations contractuelles, si les parties n’ont pas convenu autrement ». Toute sous-traitance ordinaire peut illustrer la situation décrite ci-dessus, mais elle est pour la première fois prévue par une loi roumaine. Donc, ce n’est pas la peine d’étendre les règles de la responsabilité délictuelle (du fait d’autrui) en matière contractuelle, parce qu’il y a un texte spécial qui autorise ce genre de responsabilité indirecte aussi en matière contractuelle. Observons de plus que la responsabilité contractuelle du fait des choses (en général) n’est plus réglementée par le nouveau code civil ; donc, la règle du non-cumul doit y être observée, elle étant la clef de la solution concrète dans un cas d’espèce. Ensuite, toujours à propos de la responsabilité contractuelle pour autrui, une question assez épineuse demeure à résoudre, celle de son fondement juridique. A cet égard, si l’on admet qu’en matière délictuelle, la responsabilité du commettant soit une objective, la même solution s’impose-t-elle d’emblée en matière contractuelle aussi ? Il nous est permis d’en douter ! Ainsi, l’article 1548 présume la conduite coupable du débiteur ayant manqué à ses obligations volontaires, d’où l’on peut déduire que la responsabilité contractuelle du fait personnel est, par principe, une subjective. La caractéristique subjective de cette responsabilité civile ne change pas, même si l’on parle d’une responsabilité du fait d’autrui ; en le sens que le tiers, que l’on a fait substituer pour qu’il exécute le contrat, doit être dans son tort pour qu’il y ait responsabilité. En conséquence, il faut appliquer la même présomption légale de faute (de l’ar. 1548) aussi pour le tiers chargé à l’exécution du contrat, avec le résultat qu’aussi la responsabilité contractuelle du dernier soit toujours subjective.

Conclusions ? Bornons-nous exclusivement à la matière de la responsabilité, et c’est là que l’on pourrait marquer que le nouveau code civil introduit des catégories et figures juridiques inexistantes auparavant, inspirées tant de l’évolution de la jurisprudence française que des solutions législatives étrangères (québécoises notamment). Tandis que la pratique judiciaire roumaine a fait à peine des petits pas (à savoir la commande de la société roumaine fut assez réduite – voire inexistante) vers la modification du sens de la lettre de l’ancien code civil, on pourrait toutefois oser se demander à quoi sert le changement des textes relatifs à la responsabilité ? Puis, il est certain que la nouvelle loi civile n’a pas écarté les points d’interrogation ayant jadis planés sur la responsabilité civile, et, qui pis est, c’est que toute la matière est devenue plus touffues, et le nouveau libellé moins limpide. Enfin, ce qui est encore sûr c’est que le système roumain a perdu son cap traditionnel, étant désancré de sa tradition culturelle française, et le risque d’échouer définitivement sur le banc de l’anonymat intellectuel sera accru.


* Professeur à la Faculté de Droit de l’UBB Cluj-Napoca, Roumanie ; vpaul@law.ubbcluj.ro.

[1] M. Eliescu – Răspunderea civilă delictuală, ed. Academiei RSR, Bucureşti-1972 ; L. Pop, I.F. Popa, S.I. Vidu – Tratat elementar de drept civil. Obligaţiile, ed. Universul Juridic, Bucureşti-2012 ; C. Stătescu, C. Bîrsan – Drept civil. Teoria generală a obligaţiilor, ed. Hamangiu, Bucureşti-2008 ; P. Vasilescu – Drept civil. Obligaţii, ed. Hamangiu, Bucureşti-2012.

[2] Il s’agit de la Loi roumaine no 287 de 2009, relative au Code civil, mise en vigueur le 1er octobre 2011. Pour une version en français de ce code, on peut se reporter au livre « Le nouveau Code civil roumain. Traduction commentée », Juriscope-Dalloz, Paris-2013.

[3] V. les articles 1349-1395 groupés dans le chapitre IV du code, appelé la « Responsabilité civile » ; les articles 219-224 dédiés à la responsabilité de la personne morale ; les articles 252-257 consacrés à la protection des droits extrapatrimoniaux ; l’article 630 réglant les troubles anormaux de voisinage et, enfin, la partie relative à la responsabilité contractuelle (les ar. 1516 et s.). On ne compte pas là non plus les articles 15 (le siège de l’abus de droit), 16 (la définition légale de la faute civile, emprunt à un code pénal obsolète), ni les articles régissant, au sein de chaque contrat spécial, la responsabilité spécifique y liée.

[4] La Roumanie, en tant que membre de l’UE, a transposé la directive de celle-ci relative à la responsabilité du fait des produits défectueux qui est devenue partie du droit interne, sans être toutefois une part du code civil, comme en droit français.

[5] Tout au long de cet article, on a abrévié le mot « l’article » par « l’ar. » ; outre, tout article sans autre référence supplémentaire doit être considéré comme un texte du code civil roumain de 2011. Pour éviter les répétitions ennuyeuses, à un article déjà cité on va envoyer par le signe (idem (1)) où (1) désigne l’alinéa de l’article déjà cité, indiqué par (idem).

[6] Délictuelle ou contractuelle, subjective ou objective, directe ou indirecte etc. De plus, le même code prévoit encore des articles à des causes exonératoires au sein de la réglementation de la responsabilité du fait personnel, v. les ar. 1359-1364.

[7] Il convient de rappeler que cette partie législative concerne notamment la responsabilité délictuelle, ce qui peut soulever de points d’interrogation de plus, parce que l’ar. 1355 suggère qu’il soit question là d’une responsabilité contractuelle.

[8] Notons que la loi nous parle des « annonces », tandis qu’une telle annonce n’est qu’une clause ; le bric-à-brac du libellé s’explique par le souhait du législateur d’assurer une portance plus grande à l’article 1356.

[9] Cet article est le dernier de la section dédiée à la responsabilité du fait personnel. Pourtant, parce que l’ar. 1356 (2) siège à la fin d’une section d’une portée générale, on ne pourrait pas ne pas s’interroger si les annonces concernant la responsabilité ne regardent tout genre de responsabilité civile, que ce soit ou pas du fait personnel.

[10] Les articles 1382-1383 du code civil français.

[11] A savoir la personne faible d’esprit placée par le juge sur l’interdiction juridique.

[12] Toutefois l’ar. 1373 (3), qui dispose « Le commettant n’est pas responsable s’il prouve que la victime connaissait ou, selon le cas, pouvait connaître, au jour où le fait préjudiciable fut commis, que le préposé agissait sans aucun lien à ses fonctions de préposé », introduit une nuance qui n’existait pas auparavant, mais qui a engendré beaucoup de discussions en droit français.

[13] V. aussi l’ar. 1380 qui porte l’intitulé « Causes exonératoires » applicables évidemment en matière de la responsabilité du fait des choses.

[14] Remarquons que l’article 1350 emploie le mot « obligation » à l’alinéa (1) et le mot « devoir » à l’alinéa (2) (qui envoie d’ailleurs au premier alinéa), c’est ce que l’on peut nous permettre de faire des spéculations supplémentaires, parmi d’autres aussi celle que l’exécution d’un contrat serait un devoir, bien différent de l’exécution des obligations (civiles) concrètes issues de l’acte dont il est question…

[15] Le code civil roumain de 2011 régit aussi une mise en demeure du créancier (les ar. 1510-1515) qui n’est que l’ancienne offre réelle suivie de consignation.

[16] Les textes groupés sous la bannière de ces articles n’ont rien à voir avec l’exonération de responsabilité, car la loi a pu croire réglementer ici des aspects divers, tels que l’ordre de l’exécution des obligations, l’exception d’inexécution et l’impossibilité fortuite d’inexécution des obligations. Donc, pour les cas d’exonération de responsabilité contractuelle, faut-il se reporter de nouveau à la partie du code consacrée à la responsabilité délictuelle (les ar. 1351-1356) que l’on a déjà passée en revue plus haut.


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