Numărul 2 / 2011

 

VARIA

 

 

UN PASCAL PRESSION EXPLICATIVE[1]

 

Paul Vasilescu*

 

 

 

 

Votre Excellence M. Henri PAUL,

Mesdames et messieurs,

Chers collègues,

 

Que la loi était figurative notait Pascal dans ses Pansées (§ 229) en nous ouvrant les neuf cieux d'où l'on peut apercevoir au-delà et au-deçà du droit. D'abord c'est à nous de choisir les altitudes, d'y aller pour jeter un coup d'œil autour de nous pour comprendre de quelle loi s'agit-il. Le choix de la loi nous appartient, du moins en tant que thème d'analyse, en instrument qu'on peut manier afin de mieux connaître les alentours. Référence, borne et confins, la loi nous entoure pour nous offrir la distance nécessaire pour qu'on nous dise d'où l'on vient, d'où l'on nous emmène et vers quel but on nous amène. Un esprit funambulesque nous sert de garde-fou pour aller au fil de la loi, afin qu'on puisse observer ce qui nous achemine, tous les errements soient exclus. Voilà, donc, une présomption de droiture, issue de nos démarches qui suivront la loi, la juste voie selon Pascal.

Connaître la loi pascalienne c'est accepter de se tourner vers soi, sans ignorer autrui, mais en répugnant la dictature du petit moi, tout en trouvant un certain sens non-figuratif, et pourtant personnel de la loi. S'il y avait des cieux, des limites et des chemins à parcourir, tout se trouverait derrière nous, à savoir en nous. Une loi venue d'ailleurs, acquise comme sienne, qui nous offre le sens à suivre pour mieux apercevoir les sens inhérents d'une liberté à venir et à assumer. L'extérieur c'est ici même la garantie réelle d'une liberté interne que l'on est tenue à extérioriser moyennant nos actions aussi internes. La caution de la mise en œuvre de cette garantie est même le gardien (aillé ou cornu) qui gîte en chacun. Bref, c'est la raison qui noue et dénoue le figuratif. Cette loi n'est point personnelle dans le sens qu'elle se fait appliquer à des masques, mais elle reste ainsi lorsqu'on règle une subjectivité. A savoir tout sujet dont le masque est figuratif sera assujetti à la même règle de droiture suprême. La loi sera toujours figurative pour qu'on puisse l'appliquer, pour ainsi découvrir le contenu et le sens particulier approprié à chacun, puisque personne n'y échappe, mais les effets doivent être distincts. Rappelons, donc, les deux erreurs à éviter : 1. prendre tout littéralement ; 2. prendre tout spirituellement nous avertit de nouveau Pascal (§ 236).

Que la loi soit figurative - j'oserais dire ! Ce n'est pas de comprendre chacun ce qu'il veut, mais c'est le pouls de son sens à tâtonner. Le sens multiple d'une règle qui s'impose à tous par voie d'interprétation, à savoir par suite d'un effort de la raison de dévoiler les traces du non-figuratif dérobé par la forme même. Ce qui fait un sens, ce qui nous permet d'entrevoir le but de la règle va nous transformer, transposer dans un cercle des cieux de la reconnaissance de la loi. Parce qu'avant qu'on connaisse la loi, il faut qu'on la reconnaisse. Facettes infinies, ou presque, nous emportent vers la découverte d'une loi disons applicable à nos actions, c'est ainsi que la loi va se retourner, s'appliquer en libérant le sujet du choix de la loi, du figuré de la loi, cette fois non-figurative. Cela dit que l'écart existant entre la loi figurative et celle applicable nous donne la mesure de la raison, de ce qu'on a eu la force d'en apprendre. Nécessairement toute loi qui vaut son nom figuratif, c'est celle-là qui va configurer raisonnablement une distance tracée entre le nominatif et l'effectif de la loi. L'unité de mesure utilisée n'est que la raison, quelle que soit la loi, où que les cieux soient.

Enseignement : la loi - digne de son non, n'est que figurative, sinon elle tue la raison en soi et aussi la raison d'être de la loi. Le contraire serait hors loi, non-lieu qui ne désigne que l'extériorité absolue du sujet déraisonnable. Perdre le figuratif de la loi c'est empêcher l'application effective d'une règle concrète, en valant la déposition de la loi toute entière. Il en résulte que c'est à tous de garder la norme figurative pour préserver la raison de la loi. En réussissant ainsi de nous garder raisonnables et non pas figés par un certain sens loisible et indésirable de la norme.

Le sens de l'ambiguïté de la loi est même la loi. La raison d'élire l'un des sens c'est le défi essentiel et perpétuel de toute rationalité du système qui nous envisage le polymorphisme du visage de la loi. La tâche reste à décortiquer l'ambiguïté inutile et de faire jaillir le seul sens véritable qui se cache derrière le raisonnement. Aucune garantie, aucune sûreté n'accompagne le travail, la quête et le désespoir d'un éventuel échec qui puisse valoir autant qu'une réussite. On va y trouver toujours quelque chose, mais on n'a besoin que d'en extraire le seul sens légitime ; procès dans lequel on est toujours seul devant soi. La légitimité ne dissipe obligatoirement pas l'ambiguïté, mais elle nous assure la solitude, la singularité d'être tout seul devant un choix rationnel. Pour qu'on puisse chercher de soulever le voile de l'ambiguïté il faut qu'on hésite, qu'on doute d'avoir trouvé une légitimité, celle vraie. Personne ne peut nous rassurer jamais. Parler contre les trop grands figuratifs nous conseille Pascal (§ 238), lorsque la réalité en a maints.

Mettre en exergue l'ambiguïté de la loi ne ressort d'aucun pessimisme, mais d'une rationalité foncière et féroce qui nous retourne vers le figurative de la loi, imposé également par le multiple sens de la réalité. Il y a des signes et des signaux qui nous guident vers la découverte du sens de la loi. Le figuratif de la loi, ce n'est pas le manque de sens, mais trop de sens. Un maquis touffu des potentialités dont on est tenu à choisir une pour qu'on puisse ainsi regagner des terres fermes. La boussole dont on a besoin se trouve dans la poche et ses aiguilles indiquent la légitimité et la liberté, le boîtier c'est même la raison. Alors, question d'orientation, de re-découverte du chemin, œuvre solitaire.

Le figuratif de la loi nous démonte l'impossibilité de définir le réel juridique autrement qu'à l'aide des renvois juridiques; classiquement à l'aide d'un nominalisme pur juridique. Les figures représentatives du droit seraient toujours juridiques, et tout égarement extra muros serait puni d'une réponse à tort juridiquement. C'est là que la trouvaille du droit français se trouve: on est tenu de regarder par-dessus de tout mur juridique pour mieux cerner le sens juridique. Le figuratif ne relève donc pas nécessairement du juridique, mais de la loi de recherche du droit qui nous envoie vers les horizons moins juridiques. L'ambiguïté n'est qu'apparemment liée au sens du droit ; le figuratif, voire le symbolisme du droit, n'engendre que le déploiement des sens plus ou moins juridiques, permettant des raisonnements dont le but est de dépister l'effet normal(e).

Légitimité, rationalité et sens multiples. L'emprise de la réalité multicolore moyennant le juridique c'est une tâche, une manière de regarder et de vivre le monde à la française qui ainsi nous propose un modèle universel. D'autres systèmes régionaux se contentent de régler des matières particulières, en se forçant d'offrir des solutions ciblées trop étroitement ; pour ce cas-là l'ambiguïté de la loi est une faute, un raisonnement à tort, une diminution du figuratif de la loi qui n'engendra que d'apories inutiles. Le figuratif pascalien du droit c'est sa légitimité ultime qui nous oblige d'ôter les masques successifs de la loi posée, afin de nous permettre d'accéder au sens de la norme. Un tel système juridique universel n'a point besoin de solutions figées, parce qu'elles sont fausses ; il n'accepte pas de préjugés parce que cela fend la raison. Un tel système fonde la légitimité sur une rationalité à sens multiple, tout en laissant la liberté du choix de ceux convaincus que la loi est figurative. Un tel système n'est qu'une fusée qui marque l'explosion en miettes du non-sens du quotidien et porte la marque indéniable de la pensée française.

Les remerciements et la reconnaissance que j'exprime maintenant sont à l'égard de tous ceux qui ont rendu possible un tel système de conscience et de jugement. Par ce petit mot, je rends hommage à la culture française, une colossale, dont les réflexions essentielles m'ont ouvert moi aussi les chemins du discernement culturel. Je remercie à toutes les personnalités ici présentes, notamment à S.E. M. Henri PAUL, à qui je dois l'honneur de porter un signe de la République française.

 

[1] Discours prononcé à l'occasion de la remise des Palmes Académiques de la part de la République française.

* Professeur, Faculté de droit de l'Université « Babeş-Bolyai » de Cluj-Napoca; vpaul@law.ubbcluj.ro.

 


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