Numărul 1 / 2011

 

IN MEMORIAM TUDOR DRĂGANU

 

CRITIQUES D'UN TEXTE MYTHIQUE : RÉFLEXIONS SUR « L'ENSEIGNEMENT DU DROIT ET LA REPRODUCTION DES HIÉRARCHIES. UNE POLÉMIQUE AUTOUR DU SYSTÈME » DE DUNCAN KENNEDY 

 

Bjarne Melkevik*

 

 

                Résumé : Il s-agit d'une « critique » qui ne l'est pas, puisqu'en soumttant le texte mythique de Duncan Kenedy « L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies » à une relecture attentive et critique, c'est une image démagogique et sophiste qui se dégage. Ce texte légendaire, qui pendant des décennies a servi de justification à une politique étriquéede la « rectitude politique » dans les facultés de droit, n'est en fin de compte qu'un sursaut contre-culturel sans contenu véritable. L'article analyse soigneusement l'utiisation que Duncan Kennedy fait de la « hiérarchie » pour démontrer comment le mot est construit en tant qu'un « attrape-mouche » pour capter l'insécurité et le désarroi des étudiants. Soumettant le modèle contre-culturel de Duncan Kennedy et sa politique de puvoir à une critique, l'auteur de l'article insiste sur l'impasse aussi bien politique que démocratique qui s'en dégage. La cirituq débouche sur la proposition de plutôt penser le mod jus-facultaire seoln des critères démocratiques et à considérer la vocation d'enseigner dans le contexte d'un droit moderne et démocratique.

 

Mots clefs : Duncan Kennedy; Critical Legal Studies Movement (CLS); politique contre-culturelle; rectitude politique; enseignement du droit; faculté de droit.

 

 

 

Il s'agit d'un texte mythique[1], une prise de position fondationnaliste, lue et répétée oralement pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, pour enfin être publiée pour la première fois en 1983 et ensuite reprise à de multiples occasions[2]. Il s'agit surtout d'un texte de contre-idéologie - en tout cas en apparence - comme le confirme son titre « L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies. Une polémique autour du système ». L'auteur, Duncan Kennedy, est un des professeurs étoilé de la Faculté de droit de l'Université Harvard, titulaire de la Chaire Carter de théorie générale du droit et certainement l'un de ses professeurs le plus connu mondialement. À le croire, il n'appartient ni à l'oligarchie ni à l'élite, mais à un club chic et sélect (dont l'adhésion repose sur un serment de fidélité et de soumission) qui lutte contre les « hiérarchies » et dont les membres font carrière sur ce thème!

 

C'était l'époque! Le temps de cerises! Quand le monde était nouveau et la lune au zénith et quand la bataille idéologique était ressentie dans tous les pores de la peau, pareille à une libération contre-culturelle absolue et instantanée. Si quelqu'un avait le culot de chuchoter malicieusement l'aveuglement et l'idiotie, personne n'avait le temps de s'attarder à de tels propos et encore moins à des analyses fastidieuses concernant le monde réel ou les situations sociales existantes ou à leurs dynamiques complexes et compliquées. Dans l'euphorie idéologique de l'époque, seul le « mouvement » comptait, dans son sens proprement physique et biologique, de même qu'une conscience en feu imaginant que le monde changeait, tambour battant, au rythme des pulsions freudiennes propres à la tribu identitaire de référence ou encore à la secte politique auxquelles on adhérait. Duncan Kennedy était (et reste) l'idéologue de ces baby-boomers et il est, tant à cette époque lyrique qu'aujourd'hui, leur porte-parole attitré pour véhiculer leurs aspirations idéologiques et de pouvoir au sein des facultés de droit; bref, c'est sans doute le chef-boomer par excellence pour s'accaparer le « pouvoir » et le « control » dans les Faculté de droit tant aux États-Unis qu'ailleurs.

 

Retrouver et redécouvrir ce texte fondamental (et fondationnaliste) qu'est indubitablement « L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies. Une polémique autour du système », représente ainsi une opportunité unique qu'il ne faut pas laisser échapper, pour re-réfléchir l'idéologie contre-culturelle dans le domaine du droit. Que se passait-il dans la brouille idéologique et politique de l'époque? Qu'étaient les enjeux de cette lutte de contre-culture à l'assaut des Facultés de droit et de cette sacralisation élégiaque en faveur du Pouvoir de l'Un, à savoir d'une soi-disant « gauche » (qui n'était peut-être pas de « gauche » du tout!) ou encore de l'imposition de l'idéologie du « politiquement correct » que chacun pouvait définir tout seul et à son propre bénéfice? De telles questions laissent songeur et pour répondre, modestement bien entendu, il faut, tel est notre objectif, analyser critiquement le texte de Duncan Kennedy, une génération plus tard et surtout l'évaluer rationnellement quant à son sens et sa portée. Peut-être s'agit-il là d'un devoir intellectuel!

 

Re-réfléchissons donc! Il s'agit de soumettre, à notre tour, ce texte légendaire aux dents de la critique à la lumière distanciée que procure le temps écoulé, le démystifier autant que faire se peut. Cet exercice nous semble relever d'une exigence intellectuelle profitable de clarification des enjeux et bien sûr un rejet du cul-de-sac que représente Duncan Kennedy. Car si Hegel a raison et que "la chouette de Minerve ne prend son envol qu'à la tombée de la nuit"[3], le fait que la chouette de Duncan Kennedy s'égarait dans l'ombre pour mourir épuisée et exsangue dans les limbes, nous permettra de soumettre le texte mentionné à une analyse de lucidité critique. Si Duncan Kennedy a bien la réputation de ne jamais accepter la critique, risquons ce défi en ouvrant ce texte tant littéralement que philosophiquement, soit-il « magique », « prophétique » et intouchable, pour le considérer de plus près et surtout l'évaluer critiquement. Nous procéderons à cette analyse en privilégiant les « thèses » centrales de son livre; commençons donc par l'autojustification de son auteur, pour ensuite, étape par étape, analyser «les mises en images discursives» qui le constituent.

 

                        Le « moi » et la justification de tout.

 

Soulignons que le plus important dans le discours de Duncan Kennedy est Duncan Kennedy lui-même. C'est le point de départ et le pont d'arrivée, l'alpha et l'oméga, - et surtout l'épreuve ultime que son discours (voir sa « doctrine idéologique») est juste et politiquement correct en ce qui concerne la politique de pouvoir dans une faculté de droit. Avant d'élucider davantage ce point de vue, quelques précisions sur la naissance et le développement du Critical Legal Studies Movements (abrégé en CLS) aux États-Unis nous seront utiles.

 

C'est la prestigieuse Faculté de droit de Yale University, qui se désigne, idéologiquement, en tant que berceau du CLS dans les années 60 et 70[4]. Ici deux récits sont envisageables: un récit romantique et héroïque (et certainement celui que Duncan Kennedy préfère[5]), d'une part, et un autre un peu plus réaliste, qui ne possède guère le charme d'être « idéologiquement et politiquement correct », d'autre part.

 

Quant au récit romantique, c'est la turbulence universitaire et étudiante des années 60 et 70, caractérisée par la contestation contre l'engagement des États-Unis dans la guerre en Viêt-Nam, contre le service militaire obligatoire, contre la « distribution » (sic!) inégale des richesses dans la société États-Unienne, etc., qui en constitue la trame. Le monde universitaire et les étudiants, de même que les jeunes apprentis professeurs et chercheurs en droit, deviennent ici le symbole et les protagonistes dans une lutte de pouvoir social et politique élargie. Mieux, le centre contre-culturel de cette lutte réside, à les croire, dans le monde académique et dans la «reproduction des hiérarchies» qui se font et se perpétuent sous les colonnes des athéniums. Résumer toutes les issues des années héroïques des étudiants contestataires à Yale risque toutefois de nous éloigner de notre objectif; disons uniquement que c'était initialement une reforme universitaire qui était voulue et cela dans le sens d'un communautarisme inclusif et subjectiviste. Il s'agissait, concrètement, de briser le pouvoir des professeurs en faveur d'un « communautarisme subjectiviste»[6], en forgeant une alliance idéologique entre étudiants, professeurs et professionnels de la faculté (secrétaires, appariteurs, etc.) en vue d'une cogérance et surtout d'une réorientation du curriculum des études en droit. 

 

S'agissant du récit plus réaliste, c'est l'avènement d'une nouvelle élite, de même qu'un élargissement des lieux de recrutement des élites, qui se mettent en place dans les années 60 à 80. Vus de cette façon les événements universitaires dans le monde des privilégiés - en notant que les étudiants universitaires nient avec véhémence et cela depuis des millénaires une telle vérité - s'expliquent par des clivages et des tensions culturelles en raison de la transformation de l'université initialement réservée à une élite présélectionnée, à une université de masse incapable de fournir à tout le monde une place assurée et certaine au sein des différentes élites.  « Surfant » sur la transformation d'une université restreinte à l'université de masse, les baby-boomers pouvaient avec confiance rêver de voir le pouvoir tomber entre leurs mains, mais l'assurance certaine de trouver une place garantie dans les élites leurs échappait complètement et irréductiblement. Le tsunami démographique connu sous l'étiquette du « baby-boom » - les personnes nées entre 1944 et 1966 - ne pouvait plus garantir une place au soleil à tous les étudiants universitaires et la lutte compétitive (voir : « la lutte de tous contre tous ») avait pour conséquence de laisser planer une certaine incertitude traumatisante dans le système de reproduction des élites - et surtout quant à l'accès au haut niveau élitaire et au recrutement vers les strates les plus convoitées des hiérarchies sociales! L'idée, voire la consécration, de faire partie de l'élite devient, vers 1970, aléatoire, même problématique, et surtout troublée par des outsiders, ces personnes intelligentes, honnêtes et intègres qui profitent de cette ouverture pour prendre une place! Une menace qui ne peut être compensée que par la maîtrise et le contrôle de la sélection de l'élite et donc logiquement le désir d'une mainmise politique et idéologique accrue sur l'Université; une mainmise qui peut, certes, être de « gauche », de « droite » ou de « centre », mais surtout soumise au risque de la « dénaturalisation » et de la «marchandisation» de cette même Université.

 

Et Duncan Kennedy dans tout cela ? En fait, nous le retrouvons d'abord recevant un Bachelor en économie de Harvard en 1964 avant de rejoindre la CIA la même année.  Son affectation en tant qu'agent de la CIA vise à infiltrer les associations étudiantes, les contrôler et établir « des listes de noms » et les influencer, voire les noyauter.

 

Duncan Kennedy quitte la CIA en 1966 pour aussitôt entrer à la Faculté de droit de Yale. En 1970, il reçoit sa licence et agit alors comme clerk (i.e. auxiliaire de « recherche ») auprès du Juge Potter Stewart de la Court Suprême des États-Unis, pour ensuite faire carrière comme professeur de droit à Harvard Law School. Il est reconnu comme l'un des professeurs le plus médiatisé et comme marqueur idéologique éminent de cette Faculté dans sa compétition épique avec Yale en vue de gagner le classement du numéro 1  des Law School aux États-Unis permettant ainsi de la qualifier comme lieu par excellence formant l'élite du pays! Il s'agit sans aucun doute d'une carrière remarquable où Duncan Kennedy a forgé sa place dans l'oligarchie universitaire et sociale.

 

Duncan Kennedy fonde, avec Karl Klare, Mark Kelman, Roberto Unger et d'autres encore, le «Critical Legal Studies Movements » (CLS), début 1977, lors d'un Congrès à l'Université de Wisconsin à Madison. Il ne s'agissait guère d'une « école théorique » ou encore d'une «organisation unifiée » mais plutôt d'un « mouvement » (ou groupe d'affinités) qui se constituait pour des considérations largement idéologiques et où il n'existait guère de vrais consensus ou d'agenda, si ce n'était que de représenter un lieu politique de changement contre-culturel. Ce manque de consensus idéologique est facile à étudier chez Roberto Mangabeira Unger qui avait une vision philosophique très classique (issue d'une philosophie catholique très « sociale »)[7] et qui avait très peu en commun avec un « brasseur d'images esthétiques» comme l'est Duncan Kennedy. Sauf que les deux (et le Critical Legal Studies Movement - CLS - en général) témoignent amplement d'une nostalgie à l'égard du très classique « Sociological Jurisprudence ». Même plus, le CLS cherche fébrilement à obtenir une légitimé en se présentant (plutôt en illégitimité) comme le successeur, voire l'héritier, de l'École dite «Sociological Jurisprudence».

 

Insistons sur ce dernier point puisqu'il est important pour comprendre les idées juridiques américaines. L'école du «Sociological Jurisprudence» meurt en tant que lieu actif de recherche doctrinale dans les années 60s[8], d'une mort tout à fait naturelle et en soi non-problématique, où les grands noms de l'école quittent la scène théorique et où les jeunes s'investissent ailleurs et autrement. En tant que philosophie du droit la « sociological jurisprudence » demeure pourtant disponible en tant que réservoir théorique (i.e. un lieu « passif ») toujours là et qui ouvre ainsi la possibilité pour des « germes » philosophiques qui se concrétisent dans d'autres théories qui prendront alors la relève. C'est ainsi que naît une pluralité de « néo-sociological jurisprudence » où l'aspect sociologique sera de plus en plus dominant aux dépens de la dimension « juridique » souvent réduite à une formalité dite opportunément « normative »[9] . Or, tant que le Critical Legal Studies Movement n'arrivait pas à présenter une charpente théorique adéquate ou acceptable sur le plan académique, l'héritage de la « Sociological Jurisprudence » est simplement là comme un réservoir théorique orphelin qui peut être utilisé pour obtenir une légitimité. Les partisans du CLS n'ont pu résister à la tentation de s'emparer stratégiquement du « Sociological Jurisprudence » pour ainsi obtenir la légitimé qui leur était refusée sur la base de leurs propres résultats doctrinaux. De là la prétention des partisans du CLS, largement partagée et de toute évidence fausse, de reprendre et de poursuivre l'héritage de cette école théorique (quoique illégitimement, avec maladresse et avec une surcharge de l'idéologie qui renie l'enseignement spécifique obtenu par le Sociological Jurisprudence). Constater que tous les universitaires du CLS se réfèrent assidument à l'école Sociological Jurisprudence est d'ailleurs un indice de cet attrait de récupération idéologique gratuite et de la nécessité d'établir, de l'extérieur, une généalogique et une justification aux thèses particulières du CLS[10].

 

C'est surtout la lutte contre l'idée que l'éducation « juridique » est « neutre » qui sera le noyau dur du CLS. Qu'il enfonce joyeusement les portes, d'ailleurs grandement ouvertes depuis fort longtemps, ne le préoccupe guère, car il s'agit là du sous-marin idéologique à introduire, à savoir l'opinion que l'enseignement du droit ne relève de rien d'autre que d'un « perspectivisme » (à la façon de Nietzche) et donc que si une forme de perspectivisme est acceptable, une autre doit l'être également. Certes, il s'agit ici d'un illogisme, d'une tautologie pour les naïfs, mais surtout d'une autojustification immédiatement réinvestie en faveur d'un « perspectivisme » opérationnel afin de faire mainmise sur le pouvoir universitaire et facultaire. Et là le « perspectivisme » devient imbattable puisqu'il est immunisé contre toute argumentation ou tout raisonnement contraires; il ne peut que servir à écraser l'infâme, à savoir anéantir celui qui ose s'opposer, critiquer ou encore penser par lui-même. Bref, le « mouvement » devient la «Raison idéologique » et l'adhérence au mouvement, une assurance (quoique sans contenu) d'œuvrer dans la bonne direction. C'est un paradoxe qu'avec un tel point de départ, largement anti-théorique - nous reviendrons sur cette question -, le CLS devienne ainsi le lieu de naissance, dès 1977, d'une avalanche d'articles et de livres[11] tous bâtis d'une manière fondationaliste sur le perspectivisme propre à chaque auteur!

 

En ce qui concerne concrètement Duncan Kennedy deux choses s'ajoutent et doivent être soulignées.

 

D'abord, Duncan Kennedy n'a jamais reçu de formation scientifique et théorique en droit. Il n'a jamais fait une thèse ou une œuvre qui peut être qualifiée de « scientifique ». L'absence (voire la négligence) de méthodologique juridique et surtout une brume épistémologique juridique déficitaire et défaillante (ou simplement non-existante) sont frappantes dans tout ce qu'il a écrit. Pour faire bref, Duncan Kennedy est avant tout un brasseur d'images esthétiques, un professeur qui « surf » sur des images qu'il invente sur le « droit » (son propre Idéo-droit). Qu'il s'agisse de ses autres ouvrages, tels que « Sexy dressing. Violences sexuelles et érotisation de la domination »[12] ou de «A Critique of Adjucation (fin de siècle) »[13], Duncan Kennedy crée littéralement des images qu'il colle sur un «Idéo-droit » propre à lui et qui lui obéit au doigt et à l'œil. Tel un artiste (un art esthétique dans l'assemblage) il se confirme, de ce fait, en tant que « pluridisciplinaire » en utilisant de manière ludique tout ce qui lui plaira pour faire ses tableaux dits, toujours inopinément, du « droit ».

 

Ensuite, en ce qui concerne la question de la « théorie » et de la « pratique », soulignons, en droite ligne avec ce que nous venons d'affirmer, que Duncan Kennedy a une étrange relation autant avec l'une qu'avec l'autre.  Il récuse plutôt les deux et il le fait toujours d'une façon bizarroïde  en reniant toute valeur propre à la pratique du droit sauf si celle-ci sert en tant que confirmation (ou démenti) des paramètres idéologiques qu'il invente. Il fait de même avec la « théorie », laquelle est systématiquement enclavée dans un sens idéologique pour ainsi mieux la mythologiser en tant qu'image artificielle et manipulable. Le résultat est toujours que ni la « pratique » ni la « théorie » n'a de sens propre et surtout qu'une imagerie de l'Idéo-droit, brossée par Duncan Kennedy, remplace les deux. Retenons que la mise en image de cette Idéo-droit relève d'une rationalité esthétique et qu'il est rationnellement impossible de justifier comment l'image brossée par Duncan Kennedy peut avoir une quelconque relation avec le droit existant en tant que possibilité dans des sociétés spécifiques.

 

Si Duncan Kennedy n'a obtenu aucune formation « méthodologique » ou « épistémologique », il a par contre suivi un entraînement qui ne se prête en rien à la science juridique mais qui l'a pourtant placé existentiellement! Ceci nous oblige à revenir sur sa formation en tant qu'agent de CIA.

 

                                    Le « moi » et la C.I.A.

 

De 1965 (ou 1964) à 1966, Duncan Kennedy travaille en tant qu'agent de la CIA, affecté au renseignement, au noyautage, à l'infiltration et au contrôle auprès des organisations étudiantes, dans une perspective mondiale. 

 

Concrètement, il fera de l'infiltration pour le compte de la CIA dans l'Association Nationale des Étudiants (i.e. National Student Association/NSA). Après son initiation au travail de la NSA aux États-Unis, il sera ensuite stationné à Paris, en 1965, en tant que Overseas representative pour la NSA (ce qui explique sa maîtrise élégante de la langue française, sa connaissance de la French Theory[14] et son habilité à parler de façon savante des juristes et des théories françaises du droit au « tournant 1900 ») pour ainsi rapporter des noms et des renseignements sur les « activités » du monde universitaire parisien, de même que l'identité d'étudiants réfugiés ou politiciens qui ont fait de Paris leur lieu de refuge, fuyant ainsi les régimes militaires ou totalitaires de l'Amérique du Sud, de l'Afrique, de l'Asie ou de l'Europe!

 

Duncan Kennedy quitte officiellement la NSA en 1966 et, prétend-il, la CIA. Il intègre alors une firme de consultation en management, la Intercontinental Research Co. Inc. Il est à noter que Laura Kalman, historienne de la faculté de droit de Yale, se questionne sur ce poste de consultant et sur cette compagnie, en suggérant ouvertement qu'il s'agit là, peut-être, d'une couverture pour la CIA et donc d'une autre assignation pour Duncan Kennedy[15] qu'il ne semblait pas apprécier autant que le monde universitaire.

 

Si Duncan Kennedy prétend avoir quitté la CIA en 1966, et qu'il ne revient jamais sur ce sujet pendant près de 35 ans, il se voit forcé d'intervenir en ces termes, en 2001, en raison des informations publiés par l'historienne de Yale, Laura Kalman [16] :

 

«J'ai travaillé pour la CIA pendant deux ans, dans l'opération qui a financé et contrôlé les activités à l'étranger d'une organisation appelée l'Association Nationale des Étudiants.  Je justifiais ce que je faisais sur le principe bizarrement Schmittien d'un conflit de 'modes de vie' et nos activités trompeuses étaient dans la norme des prix à payer pour contenir les Soviétiques.   J'étais un « libéral de la Guerre Froide »: quelqu'un avec un penchant pour les réformes de gauche (mais anti-communistes) partout dans le monde.  Mon non-libéralisme à débuté en 1966 (juste avant que l'opération ne soit découverte) lorsque j'ai commencé à sentir que la menace soviétique n'était pas assez sérieuse pour justifier ce que nous faisions et que les réformes gauchistes ne se matérialiseraient jamais.  J'ai quitté l'opération et ensuite j'ai pensé être déployé vers ce que la classe gouvernante en grande majorité libérale faisait au Vietnam, mais ne faisait pas pour répondre aux émeutes des ghettos noirs, sans me soucier pendant une seconde que la vraie menace venait du communisme.

 

J'ai été surpris quand l'enquête de l'Église a révélé les complots d'assassinats de la CIA, parce que j'avais naïvement imaginé une telle conduite extrêmement peu probable ainsi qu'injustifiée et stupide dans les circonstances, plutôt que parce que je la jugeais catégoriquement mal même dans certaines circonstances.  En rétrospectif, j'ai pris la mauvaise décision en joignant la CIA (analysant faussement la situation stratégique, et trop fortement influencé par l'offre d'un report de mon appel sous les armes); c'était une décision mauvaise en les circonstances plutôt que catégoriquement.»[17]

 

Hélas l'explication se révèle trop naïve et politiquement correct pour être crédible! Existe-t-il vraiment quelqu'un sur la terre qui croit qu'on s'engage dans le CIA parce qu'on a fait une mauvaise estimation de la situation? Peut-on se permettre de croire une personne qui s'engage librement en tant qu'agent de la CIA, qui commence à travailler auprès des associations étudiantes pour les espionner et les influencer, et tout cela en même temps qu'elle clame être déjà de « gauche » mais avec le défaut (!) de n'être pas assez « antilibéral »? Le fait demeure que la CIA recrute, en règle générale, dans l'Université avant l'obtention d'un diplôme, qu'elle donne une première «formation » pendant les années universitaires, que tout nouvel agent de la CIA reçoit ensuite une formation élargie avant d'être envoyé sur le terrain, que la CIA travaille en équipe et en réseaux, et surtout qu'on ne quitte pas si facilement ses rangs à un point tel que les contrats standards exigent une connexion à la Boîte, en silence et en fidélité, après des années de service. De toute évidence Duncan Kennedy prend ses lecteurs (et ses admirateurs) pour des tartes!

 

Tentons une autre explication beaucoup plus probable! Comme Duncan Kennedy nous le confirme candidement, c'est en 1966, quand la « couverture » de l'opération de noyautage de la CIA a été révélée au public, que tout change. Cela impliquait que l'identité de Duncan Kennedy comme agent de CIA était compromise et qu'il était inapte au travail sur le terrain pour une certaine période; en fait il aurait pu être affecté à un travail de bureau, au bas de l'échelle, ou encore comme simple agent-fonctionnaire dans une quelconque affectation. Pour quelqu'un qui vient de la bourgeoise aisée et qui a fréquenté Harvard, cela représente-il un idéal? Au lieu d'être au milieu de l'échelle, n'aurait-il pas été plus tentant pour lui de grimper plus haut et de faire des études en droit? C'est justement le choix qu'il a fait en intégrant la faculté de droit de l'élite des États-Unis! Et s'il était un activiste étudiant au compte de la CIA, il n'avait qu'à récidiver comme activiste travaillant pour son propre compte! Il savait quoi faire!

 

Une pensée effleure notre esprit! Si la CIA est bien une organisation légitime qui fait un travail formidable pour assurer la paix et la sécurité dans le monde, qu'en était-il du travail qu'effectuait Duncan Kennedy? A-t-il présenté des excuses aux réfugiés étudiants qui venaient de partout dans le monde et qui ont pu se retrouver sur les listes de la CIA grâce à Duncan Kennedy ? Des listes qui ont pu circuler partout, au risque de tomber dans des mains malveillantes. Des étudiants de la Grèce des colonels, du Brésil des généraux et tant d'autres pays encore ! Ont-ils eu des problèmes avec leurs visas, leurs bourses, leurs vies? Ont-ils été mis en prison dès leur retour dans leur pays? Qu'en est-il de leurs familles, de leurs amis et de leurs collègues? Tant de questions qui demeurent sans réponse et desquelles, faute de faits, on ne saura jamais tirer la vérité.

 

                                    Le « moi » et la narration.

 

Retenons que celui qui cherche à introduire « une image idéologique », que celle-ci soit de l'Idéo-droit ou de la « hiérarchie », doit le faire par le poids de sa propre autorité. C'est la condition même d'un artiste, voire sa damnation, car cette autorité ne peut s'obtenir que par la séduction, une mise à nu (i.e. la création d'un « nom » d'artiste par la « provocation » ou par la «controverse » à la façon par exemple d'un Andy Warhol ou encore Marcel Duchamp), où l'artiste joue sa personnalité dans un vis-à-vis avec le monde pour ainsi voir estimer sa propre valeur marchande. Ainsi Duncan Kennedy a dû se mettre sur le marché lui-même pour avoir une autorité marchande et dessiner, à sa façon, la question de « L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies ». Ici la valeur marchande s'estime en mettant l'emphase sur le fait que :

 

« Je suis beaucoup plus convaincu de la véritable nature des types de réactions que je viens de décrire que de celle des attitudes envers la hiérarchie qui les accompagnent. Ma propre position au sein du système de classe, de sexe et de race (je suis un homme blanc, de la classe moyenne supérieure), ainsi que mon rang dans la hiérarchie professionnelle (je suis professeur à Harvard) me font percevoir la hiérarchie comme étant omniprésente et extrêmement importante, alors même que je passe mon temps à la condamner. Cela demande une imagination bien plus féconde que celle que je peux avoir étant donné mon intérêt dans le système. Il est difficile pour moi de savoir s'il m'est possible de comprendre les attitudes qu'ont envers la hiérarchie les personnes noires ou les femmes, ou encore les personnes nées de parents de la classe ouvrière, ou bien les avocats indépendants qui gagnent tout juste leur vie avec la signature de contrats immobiliers.

 

Les membres de ces groupes sous-entendent parfois que la particularité de leur expériences de l'oppressions ne peut être compris par des personnes étrangères aux groupe, mais parfois aussi que l'incapacité de la comprendre est personnelle plutôt qu'inévitable. Il me semble quant à moi que tout le monde a affronté des expériences analogues à celles éprouvées par des personnes opprimées par la hiérarchie, même par celles qui s'avèrent être les plus favorisés par le système. Le collier est tout aussi serré quand on est au bout de la laisse, que celle-ci mesure trois mètres ou qu'elle en mesure quinze. De l'autre côté, il parait évident que la hiérarchie crée des fossés qui ne seront jamais comblés.»[18]

 

Il est aisé de constater que Duncan Kennedy est passé maître en sophisme. Dans notre perspectif, attirons l'attention sur le fait qu'il se forge en autorité en affirmant deux choses : (1) que je suis une victime comme vous autres et (2) que «je suis quelqu'un d'autre ». Examinons donc la valeur « marchande » de ses deux affirmations.

 

Quant à la première  se rapportant à sa victimisation, notons que Duncan Kennedy insiste qu'il n'y a pas de différence entre une laisse de trois ou quinze mètres lorsque le « collier est tout aussi serré ». Nous sommes donc tous des victimes nonobstant tout statut ou social, race ou sexe, puisque la différence se constitue sur le plan de celui qui sait et de celui qui refuse de savoir, ou encore de celui qui profite de la situation ou de celui qui ne profite que peu ou pas du tout. Nous n'avons de ce fait pas besoin, défend Duncan Kennedy, des théories compliquées ou encore des analyses ringardes ou qui suivent un schème marxiste, mais plutôt d'une mise en scène sincère de « ma propre position » en tant que victime. Bien évidemment, une telle mise en scène sincère révèle que nous avons réussi à prendre conscience de notre situation dans les hiérarchies, à débusquer les forces « hiérarchiques » qui y agissent, à les éloigner (autant que possible) de notre pratique quotidienne et surtout à faire acte public de combattre les dites « hiérarchies ». Il faut, insiste-t-il, identifier le « mal » et acquérir la force idéologique (issue du « politiquement correct ») de le combattre.

 

Bref, dans un monde de « victimes », ce qui prévaut est la compréhension de notre statut de victime : «Le problème ne consiste pas à savoir si la hiérarchie existe ou non. Il s'agit plutôt de comprendre comment la hiérarchie fonctionne et de saisir ses implications pour s'aligner sur une politique bien précise. »[19] Bref, il faut s'aligner sur une politique dessinée par les Duncan Kennedy de ce monde!

 

Constatons donc que nous ne savons pas véritablement quel est le sens que Duncan Kennedy attribue au mot « hiérarchie ». Selon nous, il s'agit du « péché » et le « péché » ne se définit pas! Le « péché », autant que la « hiérarchie », se révèle dans la lutte en suivant la politique sur laquelle on « s'aligne »! De la même façon d'ailleurs que toute opposition à cette lutte (et à ses justes et bienveillants guerriers luttant ardemment contre le « péché » et contre les « hiérarchies ») révèle, pour sûr, l'existence, l'étendue et le pouvoir du « péché » autant que de la « hiérarchie » dans notre monde. Il faut croire! Il faut avoir la foi! Il faut avoir à l'esprit l'esquisse d'un éventuel tableau de messianisme fou et politico-théologique[20] où l'engagement dans la lutte justifie tout à partir d'une politique « d'alignement »[21]!

 

Quant à la deuxième assertion de Duncan Kennedy, à savoir la prétention que « je suis quelqu'un d'autre », il dévoile du même souffle ce dessin d'une politico-théologique de croyance aveugle. Son point de départ est que mon être empirique, voire mon statut social et professionnel, et surtout mon statut de privilégie dans la hiérarchie (et dans l'oligarchie), n'a guère d'importance. Que Duncan Kennedy se réclame d'être un « traître à sa classe sociale » et qu'il se construise ainsi une image confortable et esthétique d'un transfuge qui a adopté « en conscience » et « en moral » la position des autres victimes, n'est ici qu'un symbole de ce « je suis quelqu'un autre ». À savoir que « je suis quelqu'un autre » et donc que je suis vrai et véridique par mon discours et par mon adhérence à ma doctrine politico-théorique.

 

Il s'ensuit que le « je suis quelqu'un d'autre » est avant tout un bouclier qui sert à faire bifurquer, neutraliser et «mettre en échec» toute tentation ou tentative de critique qui peut lui être adressée. Cela sert à s'assurer qu'aucun jugement (dans un sens pratique ou théorique), aucun examen, aucune analyse, aucune évaluation, etc., ne peut être fait sur cette prétention. Bref, que toute interrogation intellectuelle doit être écartée du revers de la main et surtout que toute tentative de critique devrait être cataloguée en tant qu' «attaque », «blâme », «censure », « contrôle », « manipulation », ou simplement de «contre-attaque de l'Empire» (pour évoquer le film : la Guerre des Étoiles) ou en tant que péché. Pourquoi? Parce ce que si « je suis quelqu'un d'autre », personne n'a le privilège (ou encore la liberté!) de me critiquer ou encore d'écrire des réflexions non-autorisées sur mon compte. Cela relève, à suivre un tel raisonnement tordu, d'une attaque personnelle où ce qui est en jeu est mon statut de « victime », ma propre personne, à savoir qu'on m'attaque parce que je suis une femme, un noir (ou jeune, rouge, « cuivre », latino et Dieu sait quoi encore!), où parce que je suis un professeur « contestataire », ou quelqu'un qui n'aime pas les « hiérarchies » (ou encore le gavage des oies!). Dans cet ordre d'idée, cela prouve que « j'ai » vu « juste » et que ceux qui m'attaquent sont des machistes et misogynes, des racistes ou des vrais (ou de faux) suprématistes, des oppresseurs et des discriminateurs, et ainsi de suite, suivant les litanies tristement connues du politiquement correct. Bref, elles sont dans le péché. Bien sûr cela peut aussi, dans certains cas, être considéré d'une façon bénigne et dans ce cas la critique ne sera cataloguée que comme le soupir d'un égaré ou encore comme la détresse d'une « victime » qui, hélas, n'a pas encore vue la lumière! 

 

Bref, Duncan Kennedy, en s'insérant dans une telle imagerie de « je suis quelqu'un d'autre », a ainsi produit une bulle narrativiste d'immunité qui exige d'être « vrai » par la sincérité de sa propre personne. Ce qui, in petto, n'est pas une position universitaire mais plutôt une position du politiquement correct ou encore aristocratique.

 

Tout se résume en fin de compte à une mode d'exposition : je me narre et quand je me narre je dis la « vérité » et quand je dis la « vérité » c'est la « vérité » de toutes les victimes qui sera narrée par moi! Duncan Kennedy met ainsi en orbite un univers narrativiste où ce qui compte est l'esthétisme de l'image que l'artiste brosse idéologiquement au profit de ceux qui sont supposément exclus de la « hiérarchie » ou simplement qui ne profitent pas adéquatement de leur existence, de leur position de victime. 

 

                        Le moi et les images de « la hiérarchie ».

 

L'autorité de Duncan Kennedy ainsi établie, ce sont maintenant les images de « la hiérarchie » et surtout de « la reproduction des hiérarchies » qui doivent être mises en lumière. Conformément à la pratique de Kennedy, il faut semer des images pour former un tableau complet de la « hiérarchie » existante dans les facultés de droit (et ailleurs). Il faut surtout le faire comme l'artiste qui, de l'inspiration à l'esquisse, de l'épure à la finition, utilise les traits et les couleurs pour séduire et se faire admirer par les éventuels acheteurs. Au-delà des modes de composition qui peuvent subséquemment osciller du pur naturalisme (l'art imitant la nature) à la pure abstraction (l'art s'imaginant sa propre « nature »), le tableau de la « hiérarchie » et de la « reproduction des hiérarchies » s'effectue, par Duncan Kennedy, à la façon d'une abstraction purement esthétique, tant que « L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies » regorge de telles abstractions, telle une caverne à l'Ali-baba.  Afin de comprendre son « œuvre », nous devons nous restreindre aux images brossées par Duncan Kennedy en ce qui concerne d'abord l'enseignement et ensuite la « vie » facultaire vue du coté de l'étudiant.

 

En ce qui concerne, de prime abord, l'enseignement de la doctrine du droit dans une faculté de droit, il se révèle, pour celui qui accorde foi à Duncan Kennedy, que le dit enseignement confirme un archétype de la « reproduction des hiérarchies », à savoir le modèle par excellence de la « hiérarchie ». Selon lui la situation actuelle est la suivante :

 

« Dire que la faculté de droit est engagée dans une idéologie revient à dire que ce que les professeurs enseignent, parallèlement aux techniques élémentaires, n'est pas ce qu'il faut enseigner, que c'est une blague compte tenu de la véritable nature du droit et de son fonctionnement. Cela revient à dire que l'idée que l'on se fait de la nature de la compétence juridique et de son partage entre les étudiants est trompeuse, que c'est une blague. Cela revient à dire aussi que les débouchés éventuels que les étudiants en droit croient pouvoir trouver sont illusoires, que c'est une blague »[22].

 

Autrement dit, seul un partisan du CLS connaît la vraie nature du droit! Les autres ne font que de la « technique » ou encore un enseignement professionnel. Toute faculté de droit est donc divisée en deux : d'un côté, ceux qui savent, de l'autre ceux qui ne savent rien! Cela n'est pourtant pas une hiérarchie (!), car Duncan Kennedy affirme qu'elle est ailleurs :

 

«que l'enseignement du droit installe une hiérarchie dans le système juridique. L'enseignement du droit la confirme par analogie, l'engage dans une idéologie totalitaire qui la rend légitime en justifiant les règles qui la sous-tendent et lui fournit une idéologie particulière en faussant le processus du raisonnement juridique. L'enseignement du droit agence le bassin des futurs avocats de telle sorte que leur classification hiérarchique leur semble inévitable. Il leur enseigne méthodiquement à ressemble, à penser et à se comporter comme tous les autres avocats dans le système »[23]

 

«Les facultés de droit apprennent très peu aux étudiants et le font de façon maladroite. Ainsi, de la façon dont elles sont actuellement constituées, elles sont incapables de préparer les étudiants à choisir plus qu'une seule carrière au sein du barreau. La raison de cette incapacité se trouve dans le fait que les facultés de droit recouvrent l'apprentissage d'habilités d'un écran de fumée d'absurdités et qu'elles consacrent le principal temps d'enseignement à transmettre une foule de règles mal assimilées »[24].

 

Autrement dit, les professeurs de droit savent finalement peu de choses! Ce sont des ignorants et des « innocents »! Des personnes qui ne maîtrisent pas le « sous-courant » idéologique qui existe dans la profession juridique et qui, en conséquence, ont besoin d'être rééduquées par des gens qui savent!

 

S'agissant de la hiérarchie vue par les étudiants, Duncan Kennedy brosse l'image qu'en :

 

« général, les étudiants apprennent que les relations humaines dans le milieu de travail dépendent du bon vouloir des supérieurs, et non des besoins humains et de la justice sociale »[25].

 

Ce qui signifie que la faculté de droit est bien un endroit de dépravation humaine! Comment se fait-il que les parents ne protestent pas ? Qu'ils n'interdisent pas à leurs enfants de fréquenter de tels lieux de perversion où ne règne que le « bon vouloir » hiérarchique, le péché, et où les exigences de justice et d'humanité, pour rien dire des « besoins humains », soient bafouées, écrasées sous les pieds des ignorants! Mystère!

 

À suivre Duncan Kennedy, lesdits parents ont raison d'être inquiets pour la morale de leurs enfants. Comme il l'affirme :

 

«la plupart des étudiants croient ce qu'on leur dit explicitement ou implicitement au sujet du monde dans lequel ils entrent, ils agissent de façon à réaliser les prédictions que le système fait à leur sujet et au sujet de ce monde »[26].

 

Et si les parents savaient! Car, dans les salles de classe, les étudiants :

 

«apprennent à encaisser d'une humeur égale afin de tolérer d'être interrompu au milieu d'un phrase, d'accepter la moquerie, les attaques personnelles, les petits apartés, les questions tellement vaques qu'il est impossible d'y répondre mais pour lesquelles il est impossible de donner la mauvaise réponse, les fins de non-recevoir et le manque d'encouragements (même si ces pratiques ne sont pas toujours ni partout la norme »[27].

 

La conclusion qui s'impose est donc simple et claire : les parents des étudiants en droit ont sacrifié leurs enfants! Ils ont abandonné leurs enfants à un bande de scélérats qui se moquent de ceux-là, leur inculquent de fausses valeurs, leur donnent des fausses informations et qui, de surcroît, ne connaissent pas le « vrai droit » non plus! Bref, les professeurs réduisent les enfants en victime, sans que personne ne proteste. Ou peut-être que les parents (et les étudiants eux-mêmes) possèdent-ils assez de bon sens pour ne jamais généraliser à partir de concepts ou encore des mots « attrape-mouche »!

 

Or, à suivre Duncan Kennedy, cette situation déplorable ne s'arrête pas là car il s'ensuit également que les professeurs de droit sont coupables de « hiérarchie » partout dans la profession juridique; autant en ce qui concerne le barreau, les cabinets d'avocats, la profession d'avocat, les juges et ainsi de suite, car le message idéologique est, selon Duncan Kennedy, sans appel. Avec aplomb Duncan Kennedy écrit ce qui suit :

 

«les professeurs de droit doivent porter la responsabilité de l'existence de la hiérarchie juridique en générale, et pas seulement de celle du système de l'enseignement du droit »[28].

 

Et comme il est « un autre », il peut ainsi conclure esthétiquement qu' :

 

«il faut la dénoncer même lorsqu'on profite de ses avantages et elle représente un argument militant contre un mode de vie qui nécessite ce type d'avantages »[29].

 

Si le tableau idéologique est clairement dessiné, évaluons maintenant sa probité, son autorité. Deux observations méritent d'être soulignées : la vision manichéenne du monde jus-facultaire et la banalité même du contenu.

 

En fait, tout se résume à une rejection des « ils », des « autres », qu'il faut combattre sans peur et sans reproche. Comme il le dit : « Le système se perpétue uniquement parce qu'ils le recréent chaque jours »[30], et il s'ensuit donc logiquement qu'il faut impérativement mettre les « ils » en échec, les battre, les écraser! D'où la constatation que Duncan Kennedy crée artificiellement (et idéologiquement) une exception pour lui-même (et pour les « siens »!). De même, bien sûr, que cela justifie une guerre sans merci contre « l'ennemi », à la façon des théories du constitutionnaliste-juriste nazi Carl Schmitt et que la « gauche » d'aujourd'hui adore de plus en plus[31].

 

En effet, Duncan Kennedy arrive à créer une exception pour les « purs », pour eux qui n'enseignent pas des « blagues » (sic!) ou de la « hiérarchie » (sic!), qui connaissent la « vraie nature du droit » (sic!), qui respectent les étudiants (sic!) et surtout les minorités ethniques (sic!), etc., qui enseignent le vrai fonctionnement du droit (sic!), qui œuvrent au bénéfice de la « justice sociale » (sic!) et la transformation sociale (sic!), et tutti quanti. Bref, il crée une autre hiérarchie! Une autre hiérarchie encore plus brutale et fasciste, idéologique et sans issue. Car il y a désormais, pour celui qui accepte le tableau idéologique de Duncan Kennedy, une « hiérarchie » forgée en fer entre ceux qui ont compris et ceux qui en profitent en conscience ou en aveuglement volontaire du système. Projetons-nous ainsi dans le monde d'Orwell :

 

            «Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres »[32].      

 

Il existe donc des professeurs de droit qui, tels « les cochons » dans le roman La ferme des animaux d'Orwell, sont plus « égaux » que les autres. Qui, comme « plus égaux », ont ainsi obtenu, par la magie et par l'imagerie propres à Duncan Kennedy, une « légitimité » (quoique uniquement « animalière »!), une « autorité » leur permettant de monopoliser, autant que possible à leur avantage, le pouvoir et ainsi écraser les « ils » qui leur font obstacle. Mais surtout, des professeurs qui ont obtenu une exception de pureté pour eux-mêmes pour mieux décrier « les autres », ces « autres » qui osent critiquer ceux qui font semblant de « critiquer »!

 

Or, sous-jacente à une telle conception manichéenne de la vie jus-facultaire se trouve rien d'autre qu'une banalité, à savoir la constatation de Duncan Kennedy, tout à fait ordinaire, non-controversée et partagée par une majorité absolue et écrasante de professeurs de droit, à savoir que « les facultés de droit sont de véritables arènes politiques »[33] et que les questions de droit s'insèrent dans des enjeux et des considérations fortement politiques. Il s'agit là d'une évidence ! Il est facile d'être en accord avec cette assertion, on peut même faire de la surenchère en ajoutant que ces considérations politiques se conjuguent avec des considérations sociales, économiques, culturelles, historiques, religieuses, morales et éthiques. Depuis des millénaires, des juristes (et des professeurs de droit) ont, avec vigueur, martelé le message que le droit est un produit de la société et qu'il convient, avec lucidité et intelligence, de comprendre l'activité juridique et judiciaire dans une dialectique ouverte et réfléchie avec les forces réelles qui agissent dans une société qui a fait du « droit » l'horizon symbolique de son avenir.

 

Or Duncan Kennedy, en forçant des portes béantes et en mystifiant à outrance l'enseignement du droit, transporte une mission idéologique unique derrières ses propos, à savoir faire accepter une position particulière et idéologique de ce qu'il considère tout seul (et avec l'assentiment de son troupeau) comme étant « la politique unique» à imposer; plus précisément : l'idéologique du moralement et politiquement correct telle que conçue par les partisans de l'académique de « gauche » (si ce n'est pas de « droite », tout simplement!).

 

                                    Mon moi et mon « gauche ».

 

Duncan Kennedy jure qu'il est de «gauche » et que tout ce qu'il écrit l'est également! Il nous implore de lui faire confiance et nous invite à utiliser cette étiquette! Or, comment s'en convaincre? S'agit-il d'une question de « foi »? Une « foi » qu'un auteur croit posséder et qu'il veut faire respecter, voire imposer? Ou encore une « foi » qui a plus de valeur marchande sur le marché culturel dit de « gauche », puisqu'elle procure à l'auteur un bouclier idéologique de protection? Ne s'agit-il pas plutôt d'une question de «carte de membre » - d'adhésion culturelle à un club politiquement correct, à une secte! - qui trouve sa juste valeur marchande dans la chaleur des cercles intellectuels opportunément proclamés de «gauche », ou encore, comme on le dit aux États-Unis, qui s'inscrit dans la « left-academica »?

 

Puisqu'il s'agit d'une question importante qui transcende le cas limité de Duncan Kennedy, un a parte d'éclaircissements s'impose dès à présent.

 

Constatons tout d'abord qu'être de « gauche » sur l'échelle politique était, jusqu'à 1960, largement tributaire d'une dialectique sur l'axe de « l'économie » et de «l'État ». Ainsi, ce qui caractérise « gauche » et « droite » se rapportait au rôle à attribuer à l'État (dans le domaine économique), à la question de la liberté (ou de contrainte) des acteurs (également dans le domaine économique), au degré, modes et finalités de «redistribution » des ressources pécuniaires au bénéfice d'individus jugés « en besoin » (ce qui a justifié l'avènement de l'État-providence), et ainsi de suite. C'était en somme une dialectique entre politique et économie qui reflétait, à sa façon, l'entrée des « classes économiques » dans le jeu démocratique élargi et contemporain (à partir d'environ 1850 dans les pays occidentaux).

 

Les artistes ou les intellectuels pouvaient certes, à partir de cette dialectique (qui donne donc une préexcellence absolue aux acteurs de l'économie et de la politique, à savoir les organisateurs ouvriers et leurs partis, et réciproquement au monde patronale et leurs soutiens politiques) montrer leurs affinités politiques en faveur de la « gauche » ou de la « droite », mais ils ne pouvaient, qu'avec illégitimité et fausseté, caractériser leur propre « produit » (ou encore leur « existence ») comme étant l'un ou l'autre. En d'autres mots, aucune philosophie ou aucune doctrine ou théorie n'était, en soi, de « gauche » ou de « droite »; elle pouvait plutôt être jugée telle (à partir de l'extérieur) selon les critères de la dialectique entre « politique » et « économique ».  Un roman, ou n'importe quel produit culturel et intellectuel, ou encore universitaire, - prenons comme exemple Zola et son chef d'œuvre « Le Germinal » - se méritait l'étiquette de « gauche » que suivant l'appréciation politique qu'une multitude de lecteurs lui avait accordée. En soi, le livre de Zola n'est ni de « gauche » et ni de « droite »!

 

Certes, il existe de grandes zones d'ombre dans l'analyse si modeste que nous venons de faire et cela s'accentue surtout quant aux « mouvements totalitaires » du vingtième siècle (quoique nous les retrouvions également à l'œuvre dans le 21ème siècle comme l'atteste le « islamo-fascisme »), et qui, littéralement, brouille la distinction entre « gauche » et « droit ». Le totalitarisme « bolchévique, léniniste ou stalinien », ou aujourd'hui islamo-fascisme, était-il de droite ou de gauche? Le nazisme n'avait-il pas la réputation dans les années 1920 d'être de « gauche »? Et cela n'a-t-il pas poussé, historiquement parlant, des individus qui se réclamaient de « gauche » à se faire les partisans de la « droite »? Ou encore, le mouvement « fasciste » de Mussolini en Italie ne pouvait-il pas, surtout dans les années 20, combiner une rhétorique de « gauche » pour mieux séduire et gouverner à « droite »? D'autres exemples peuvent aisément être ajoutés. Soulignons surtout que l'ambigüité et la particularité du fait d'obtenir une marchandisation culturelle par l'utilisation du mot « gauche » a poussé beaucoup de personnes à rejeter un tel langage et que d'autres en ont escompté une valeur marchande immédiate lors de son utilisation notamment en matière de liberté publique et individuelle.

 

Quoiqu'il en soit, soulignons maintenant que l'utilisation des étiquettes de « gauche » et de « droite » n'avait visiblement pas de raison d'être en ce qui a trait aux produit culturels, artistiques ou intellectuels (autrement que comme étant des étiquettes en faveur d'une politique située ailleurs!) Or, tout cela change dans les années 60 - et donc nous voilà de retour dans l'univers d'imageries idéologiques de Duncan Kennedy - où soudainement un revirement contre-culturel s'effectue. Subitement, les produits culturels, les philosophies, les théories, les peintures, la poésie, les films, obtiennent, par l'incursion de la magie dans l'histoire, le statut d'être de « gauche ». Et cela ne s'arrête pas là, puisque soudainement le même statut était attribué à des individus qui, du jour au lendemain, obtenait l'épithète de « gauche », de parler à « gauche », de penser à «gauche » et d'écrire « à gauche ». Comprenons bien que l'étiquette de « gauche » était le bouclier, ou encore la valeur marchande, qui pouvait ou non protéger un individu. Il s'agit également d'un terrible piège intellectuel (et moral)! Sartre (ou encore Foucault, Agamben, Negri, etc.) est-il de « gauche »? Le dilemme est que, pour répondre et pour dire qu'il (i.e. Sartre) s'agit d'un romancier génial, avec une conscience politique nulle et qui disait n'importe quoi sans trop réfléchir, il faut sortir de la « gauche » et faire confiance à son propre jugement. Or, cela ne peut se faire que dans une « non-foi » à ce qui est consacré en tant que « gauche » et relève donc de la trahison, du péché. Puisque la trahison dite idéologique n'a guère de valeur, surtout à « gauche », il fallait donc que tout produit culturel consacré comme «à gauche » soit« à gauche », et d'en faire son univers de référence voire même son univers idéologique, en opposition à la « droite ». Que le juriste-constitutionnaliste nazi Carl Schmitt, nous l'avons déjà souligné, devienne subitement l'homme fétiche de la « gauche » - comme le reconnaît d'ailleurs Duncan Kennedy[34] - n'est donc pas si surprenant après tout, car en mettant l'emphase sur la lutte contre ennemi (i.e. la « droite » ou plus précisément tout ce que n'est pas consacré comme étant de « gauche ») comme l'ultime justification de la « gauche », cette dernière n'a subitement plus besoin de se légitimer ou de s'expliquer, sinon de se confirmer dans une situation culturelle où tout ce qui se dit « à gauche » (et qui dit n'importait quoi!) est « à gauche » et est donc légitime.

 

Cela nous renseigne également sur le fait que Duncan Kennedy ne veut rien savoir de la gauche historique aux États-Unis, ni de sa lutte, de ses victoires et de ses défaites, car pour lui la « gauche » est un produit, « une marchandise », culturelle et intellectuelle à la façon des années 60. Voilà donc l'opportunité qui lui est offerte pour introduire sa « gauche » à lui, car :

 

«Il ne s'agit pas de dégager l'essence de notre situation globale à partir de laquelle nous pourrions formuler des propositions particulières. Il s'agit plutôt de la projection sur un écran panoramique des idées et des images qui surgissent au cours d'actions à contre-courant que nous mourons d'envie de raccorder au grands courant de pensée. Ce qui suit est une tentative d'élaboration de cette sorte de théorie générale d'un point de vue existentiel-marxiste, anarcho-syndicaliste et moderniste (tout en reconnaissant que cet amalgame d'étiquette ne signifie pas grand-chose).»[35]

 

Or, par cette version très « politiquement correct » du mythe de la caverne de Platon[36], il arrive que Duncan Kennedy et Platon affirment la même chose : il faut démasquer les fausses idées projetées sur la paroi de la caverne (ou sur l'écran panoramique) pour que, dans le feu de l'action de l'Un (i.e. l'élu ou le « mouvement » des élus et les initiés), soit diffusé, à contrecoup, le vrai message. Quant au contenu de cette projection abstraite, il se réfère, nous le constatons, à un amalgame d'étiquettes qui se contredisent les unes et les autres, témoins d'une confusion philosophique et idéologique frôlant l'imbécilité absolue; mais surtout la confiance absolue et sans restriction que la production abstraite des « idées » et des « images » peut se subsumer en réalité (et à la véracité d'une vie dans une société partagée en commun avec les autres) et comme placebo de circonstances, s'imposer en tant que « vision des choses » et comme un « mode de résistance par des radicaux engagés dans le processus d'enseignement du droit à la grandeur du pays »[37].

 

Bref, vous êtes de « gauche » si vous le croyez, si vous avez la foi et que vous ne voulez pas vivre dans le péché! Il faut donc en conséquence le croire avec véhémence pour ainsi écraser celui qui ne respecte pas votre foi si laïque et tellement idéologique soit-elle!

 

                        Le « moi » et la gérance du « politiquement correct ».

 

Une règle générale existe dans la vie pratique: si vous voulez que rien ne change, il faut simplement formuler l'objectif de l'action de façon telle qu'elle sera si « abstraite », si éloignée de toute réalité, que sa réalisation soit impossible (voire absurde), en la projetant dans un avenir « utopique » à venir, sine die. Ainsi, si sa réalisation est impossible, il n'en va pas de même du bénéfice qu'un individu, ou encore un groupe d'individus, peut en retirer à l'égard du « pouvoir » et du « statut social » (i.e. sur l'échelle de la hiérarchie!). Eux peuvent avec facilité faire « le plein », tellement la séduction même du concept attire, séduit et engage. C'est ainsi que Duncan Kennedy peint un tableau de la « hiérarchie » dans les professions juridiques (et dans les Facultés de droit) qui se condamne dès le début à aboutir à rien, à aucun changement, à aucune « réforme! », sinon à une mobilisation perpétuelle de non-satisfaction! Rappellons, si besoin est, que la notion abstraite de «l'égalité » a mobilisé des millions d'opprimés pour (sans exception) aboutir du pareil au même, sinon au pire, à savoir à davantage d'inégalités et d'oppressions. On a qu'à se remémorer les mots de Karl Marx qui ironisait sur la devise de « égalité, liberté et fraternité » en n'y voyant là que de l'« infanterie, cavalerie, artillerie »[38]. On se retrouve ainsi dans le domaine du « politiquement correct » et surtout face au privilège (« hiérarchique » !) de le gérer.

 

Nous l'avons déjà indiqué, Duncan Kennedy est un idéologique fervent du « politiquement correct ». Puisqu'il n'existe pas de définition officielle - d'autant plus que l'expression demeure controversée - un éclaircissement exploratoire se révèle nécessaire. Définissons donc l'idéologie du politiquement correct comme se rapportant à l'opinion, la croyance ou encore le postulat que:

 

1.       Les opinions (et les problématiques, les mots, les références, etc.) qui n'entrent pas dans mon cadre idéologique ne peuvent pas être prononcées en ou avec liberté. Des mots, des produits culturels ou intellectuels, qui m'offusquent doivent être interdits, empêchés d'exister ou noyés dans le bruit des protestations. Comme de telles choses n'ont pas raison d'être, tous les moyens d'intimidation, de désinformation et de mots ad hominum sont permis.

2.       Tout est discutable et relatif et il n'y a pas de « vérité » à l'exception de la vraie vérité que nous défendons et cherchons à imposer (pour votre bien!). Nous sommes donc très tolérants (à la façon d'une tolérance répressive selon Herbert Marcuse[39]) et nous sommes prêts à vous corriger, éduquer et guider (pour votre bien!).

3.       Des individus issus des minorités (ethniques, raciales, sexuelles, etc.) sont des mineurs qui ne connaissent pas leur bien et le bien que nous souhaitons faire pour eux. Ils n'attendent que nous pour les guider, les libérer, les dévictimiser! En conséquence, nous sommes en faveur de toutes politiques de discriminations et de sacrifices sociaux et intellectuels que nous jugeons bien pour eux et la société. Nous défendons qu'il faille de l'inégalité et de la discrimination (« positive » bien entendu!) pour aboutir, un jour (!), à l'égalitarisme.

4.       Le monde est manichéen : d'un côté nous trouvons le mal et le péché et de l'autre, le nôtre bien sûr, nous retrouvons le bien, la justice, le bonheur, de même que la « vérité » vraie. Nous sommes donc légitimés et justifiés d'utiliser tous les moyens nécessaires pour combattre nos ennemis identifiés au « politiquement incorrect » (suivant le mode ou l'humeur de nos « penseurs »).

 

Satisfaisons-nous de cette esquisse! Observons, froidement, qu'elle peut servir autant la « gauche » que la « droite » - selon la formule que personne n'a (heureusement) le monopole de la bêtise! Même si notre analyse critique se rapporte uniquement au livre de Duncan Kennedy, et nullement au syndrome du « politiquement correct » en général dans le monde intellectuel, qu'il nous soit permis d'ajouter qu'au centre du mouvement du « politiquement correct » se retrouve l'idéologie du soupçon (ou encore de suspicion!)[40] Une idéologie du soupçon qui tourne à la folie, à la sottise et qui, en sanctifiant le dit « suspicion » en tant que « théorie », ouvre grande la porte à toutes les manipulations et à la désinformation qui se limitent à se satisfaire d'arguments superficiels, et à l'assimilation facile qui nécessite guère d'analyse rigoureuse des complexités sociales. Le mouvement du «politiquement correct » représente de cette façon le cancer (ou le SIDA) de la pensée intellectuelle et critique car, en attaquant et en détruisant le système immunitaire, il laisse l'intellectuel ou l'universitaire dans un état de béatitude, prêt à croire n'importe quoi, incapable de se défendre en pensée.

 

Duncan Kennedy correspond du tout au tout aux quatre exigences susvisées. Son discours est manichéen; il est pour un monde inégalitaire et de discrimination au profit des uns et au sacrifice des autres; il parle sur la mode de « vérité » (à un point tel qu'il témoigne en son âme et conscience de cette (soi-disant) vérité) et il n'a aucun respect pour l'opinion des autres même s'il se prétend « tolérant » (!), mais à la façon élitiste.

 

En ce sens, le politiquement correct est l'exact opposé du « critique ». C'est même remarquable que rien, absolument rien, dans « L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies » de Duncan Kennedy puisse être assimilé à la critique comprise de façon normalement acceptable au niveau intellectuel! Car là où la pensée critique commence avec soi-même pour soumettre cette instance de l'agir et à l'être dans le monde, à une interrogation sans merci quant à sa « construction intellectuelle» et à ses capacités de « compréhension », voire à l'empathie et aux valeurs autotéliques.  Duncan Kennedy n'a introduit que la foi dans l'imagerie qu'il a inventée suivant ses propres idiosyncrasies. Que l'ultime instance de la rectitude soit donc la nécessité d'un « mouvement » en tant que l'ultime confirmation, comme l'aurait dit Nietzsche (et qui, disons-le en passant, était l'un des maîtres fondateurs de l'idéologie contemporaine de soupçon), de la volonté de puissance, n'est qu'un signe de cette « non-critique ». 

 

                        Le moi et mon « mouvement ».

 

En fin de compte, c'est donc au « mouvement » qu'aboutit Duncan Kennedy! C'est par le « mouvement » que le monde bouge et surtout le petit monde jus-facultaire! Il faut en conséquence une organisation organisée, un « mouvement », qui peut actualiser et imposer le politiquement correct dans les facultés de droit. Entendons que c'est imposé pour leur bien et qu'il n'y a rien à discuter ou à négocier! Le modèle que Duncan Kennedy propose - impose - est en fait le très classique « entrisme » à la mode dans les années 70, lorsqu'il travaille pour la CIA avec, toutefois, un doigt de sauce hippie et postmoderne pour atténuer le tout.

 

Insistons d'abord sur le modèle de l'entrisme en rappelant, si besoin est, qu'il s'agissait du mode d'organisation privilégié des trotskistes et des marxistes-léninistes (et staliniens purs et durs) - sinon également de l'organisation du SDS (i.e. Students for a Democratic Society) aux États-Unis - en vue de gagner en crédibilité et obtenir une adhérence élargie des indécis ou insatisfaits au-delà du noyau idéologique ferme et déjà endoctriné. Comme Duncan Kennedy l'affirme il faut donc commencer par le « groupe d'étude ».

 

«Le groupe d'études de gauche devrait constituer le cœur de toute stratégie d'organisation à la faculté de droit. Il suffit de se lever un jour à la fin d'un cours et de dire : «Les personnes intéressées à former un groupe d'études de gauche pour discuter de questions concernant ce qui se passe à la faculté et pour créer des liens avec d'autres personnes impliquées dans des activités et des projets juridiques de gauche sont invités à participer à une réunion ce soit. » Ou encore, on peut inscrire l'invitation sur le tableau de la salle de cours ou distribuer un tract. »[41]

 

Il faut donc commencer en tout innocence pour discuter « ce qui se passe à la faculté »! Puisqu'il se passe très peu de chose dans une faculté de droit, sauf que les étudiants ont de difficultés à se réveiller le matin (après des heures de cuites tardives), qu'ils n'ont pas fait leurs lectures obligatoires avant de se présenter en classe (car la drague bouffe trop de temps), que les cours magistraux sont trop difficiles et abstraits (d'autant plus de raisons pour travailler davantage et pour être à la hauteur, pour ne rien dire sur le bienfait de fréquenter la bibliothèque du droit!), la phrase « ce qui se passe à la faculté » dit tout! Il doit se passer des choses effrayantes à la faculté! Rien d'autre qu'un complot sournois et dans l'ombre du péché- et qu'il faut un ancien de la CIA pour comprendre - qui constitue la reproduction de la «hiérarchie»!

 

Toute la vérité ne peut pas être révélée tout de suite - elle est réservée aux initiés - et il faut que les recrues fassent leurs preuves. Encore une fois une analogie à la question du « péché » nous sera utile, en ce sens qu'il faut que les recrues dans la cellule d'étude découvrent par eux-mêmes l'existence de celle-ci et son terrible effet sur la société et le petit monde jus-facultaire! La vérité ne peut venir que par l'implication, par le fait d'étudier le « péché » dans des livres saints (sic!) qui en parlent, ou encore de la recevoir par la clameur de la lutte et la foi. À Duncan Kennedy donc d'affirmer que :

 

«Il est probable que peu de personnes assistent à la réunion, mais il se peut que quelques-unes y soient. Ces personnes risquent fort bien d'avoir en commun un sentiment de vive indication envers le style autoritaire d'au moins un des professeurs de première année et d'éprouver un malaise encore vaque concernant le fait que le programme d'études de la première année soit profondément idéologique même si personne réussit à expliquer pourquoi il en est ainsi. De plus, ces personnes risquent de partager le sentiment que d'étudier le droit implique nécessairement une certaine capitulation et qu'il faut donc trouver une activité en dehors de l'apprentissage du droit qui leur permettra de rester fideles à leurs idéaux »[42].

 

L'ambigüité de cette affirmation saute aux jeux. Ce que Duncan Kennedy affirme c'est qu'il faut exploiter le désarroi tout à fait réel qui existe effectivement chez les étudiants de première année d'étude du droit. L'objectif du groupe d'étude est de leur fournir une weltanschauung (i.e. une idéologie de soupçon). Avec des personnes ainsi recrutées, la deuxième étape à suivre, selon Duncan Kennedy, est de transformer le  « groupe d'étude » en une organisation structurée:

 

«Un groupe de personnes partageant vaguement des sentiments comme ceux-ci se transforme en une organisation structurée en discutant de leur expérience à la faculté de droit, en lisant des textes ensemble et en tentant d'appliquer ces textes à leur situation institutionnelle. On peut trouver une littérature critique assez substantielle pourtant sur le programme d'études de la première année. Des ouvrages comme The Politics of Law ou bien Transformation of American Law de Horwitz peuvent être de bons points de départ pour alimenter les discussions. Ce type de textes donne au groupe un aperçu des plus pertinent de la vie des tous les jours de l'étudiants en droit. Il est toutefois également utile de lire des textes qui traitent de la théorie sociale générale de gauche, que ce soit Marx concernant la question juive, Genovese sur le droit de l'esclavage ou le livre de E. P. Thompson pourtant sur la légalité en Angleterre au XVIIe siècle. »[43]

 

La phrase importante ici est lorsque Duncan Kennedy affirme qu'il faut lire  « des textes ensemble »! Car le modèle en est un de « protestantisme de lecture » destiné à un club de rectitude politique. Un club qui ne connaît rien sur le monde et sa complexité, autre que le tableau de « rectitude » imposé par le maître des céans par lectures interposées.

 

Or, s'il s'agissait uniquement pour Duncan Kennedy d'ajouter plus de lectures de droit ou encore d'autres lectures non-juridiques, il aurait sans doute rencontré l'unanimité des professeurs de droit qui auraient, avec bienveillance et intérêt, encouragé de telle formation des « groupes d'études » privés dans une faculté de droit. Ça aurait même était fantastique car il faut encourager, autant que possible, les étudiants en droit à lire plus et les intéresser à l'histoire, à l'anthropologie, à la sociologie, à l'économie, au mangement, à la géographie, etc., pour ne rien dire sur les questions et doctrines juridiques qui ne trouveront pas leur place dans un curriculum juridique modéré et équilibre. Bien sûr que certains professeurs auraient certainement profité de l'occasion pour souligner qu'il ne faut pas pour autant s'aveugler en lisant uniquement un courant idéologique, qu'il faut faire preuve d'intelligence et s'ouvrir à une pluralité de lectures et débats concernant le droit dans un société moderne. Plusieurs professeurs de droit auront certainement avec plaisir pu ajouter d'autres livres à lire et auraient certainement attiré l'attention des étudiants vers des œuvres précises à lire. Mais tout cela n'est pas dans l'objectif de Duncan Kennedy car si les « groupes d'études » ont l'apparence d'une auto-initiative des étudiants, la réalité est plutôt qu'ils servent de prolongement au pouvoir d'un professeur (ou encore d'un groupe de professeurs)! En fait, ils deviennent leur milice - ou encore leur Stürmabteilung (i.e. Section d'assaut) - privée. Un « groupe d'assaut » qui peut être utilisé contre d'autres professeurs en vue de rendre leur vie misérable!

 

Il se confirme en fait que le groupe d'étude (ou encore l'organisation organisée) n'est qu'un club de « pouvoir » à la disposition des « Duncan Kennedy » de ce monde! Les textes lus ensemble, ou encore la haute lutte contre la soi-disant « hiérarchie » dans une faculté de droit, se limitent en fin de compte à un club de « pouvoir » en vue de plus de « pouvoir ». Et l'ambigüité avec ce club de pouvoir est qu'il est finalement « vide » de contenu, terriblement vide, sans l'idéologie de rectitude politique qui est finalement son seul secours et son salut. De l'aveu même de Duncan Kennedy, le groupe d'étude n'est qu'une stratégie en vue de dévoiler « les présuppositions idéologiques cachées de la vie institutionnelle »[44]. Qu'il n'existe rien de cacher dans la vie institutionnelle dans une faculté de droit n'effleure guère l'esprit de Duncan Kennedy car avec un tel postulat, aidé par un illogisme de suspicion, c'est toujours le contraire qui est « vrai »; il y a simplement quelque chose qu' « ils » nous « cachent ».

 

Notons donc que c'est le (ou la) professeur(e) « politiquement correct » qui initie les étudiants pour que le groupe accomplisse, aux dires de Duncan Kennedy, « un certain acte de résistance à l'autorité dans la salle de cours »[45], ce qui équivaut à encourager la perturbation de l'enseignement des collègues qu'ils (ou elle) n'aiment pas, en vue surtout d'imposer un message idéologique issu des  « lectures privées » du groupe d'études aux autres étudiants. Ou simplement d'utiliser les paramètres idéologiques issus de l'idéologie du politiquement correct pour éviter ou empêcher toute pensée critique contraire à la lecture privée du club. Il faut intimider, abhorrer toute pensée critique, en visant, comme le confesse candidement Duncan Kennedy, un « mélange de rébellion et de calcul »[46], avec comme restriction typiquement petit-bourgeoisie qu'il ne faut pas se faire expulser de la faculté à défaut de quoi on ne pourra pas obtenir de travail comme juriste à la fin de nos études!

 

Mais comment réagiront les autres collègues professeurs dans une faculté de droit face au fait qu'un(e) de leur collègue (ou un groupe de leurs collègues) dispose d'un « groupe d'étude » qui, à tout moment, peut être activé pour perturber leur enseignement, les ridiculiser, les réduire à « néant », sinon les harasser et les discriminer? Seront-ils contents et motivés pour poursuivre leur enseignement? Défendront-ils le principe de liberté de parole et de l'enseignement? Auront-ils la force de s'opposer au « politiquement correct »? Ou renonceront-il en choisissant l'exil intérieur? Que peut-on finalement faire face au mouvement (et aux idées) totalitaire?

 

                         Cela ne se passera pas! No pasarán!

 

Avouons finalement, sans surprise, que nous n'avons aucune sympathie pour le projet idéologique et si « non-critique » de Duncan Kennedy. Nous estimons qu'il s'agit en fait d'un cul-de-sac de pouvoir et de contrôle sur les autres qui ne mène nulle part, sauf à répandre le politiquement correct en tant que cancer (ou SIDA) attaquant le jugement et la critique pour mener à l'avilissement. Dans son sillage, c'est la désolation de la vie intellectuelle, la terreur sur les autres qui osent penser par et pour eux-mêmes et la sacralisation de la bêtise! S'il existe des personnes qui raffolent de cela, avouons que dans un sol souillé et détruit rien ne pousse, rien ne prend racine, et dans la stérilité des lieux c'est la laideur et l'obscénité de la rectitude politique (et morale) qui règne en maître. Cela n'est pas pour nous! Cela n'est simplement pas une politique saine et prometteuse pour une faculté de droit et ceux qui se jettent dans un tel abîme ne trouveront rien d'autre que l'enfer à la mesure de leurs propres phantasmes. Plutôt que de suivre les idiosyncrasies de Duncan Kennedy, nous avons tout intérêt à lui tourner le dos et nous engager tous ensemble dans une politique d'ouverture et de démocratie concernant l'enseignement d'un droit moderne vue à partir d'une faculté de droit.

 

En ce sens, il n'y a rien d'étrange ou de surprenant à constater qu'il y a quelques perspectives et quelques mots qui n'existent pas dans le livre de Duncan Kennedy. Le mot de « dialogue démocratique » brille par son absence! « Communication démocratique » également. Rien sur  «l'espace public » et la nécessité d'un flux sans limite d'informations et d'opinions qui, sans crainte et sans restriction (ce que l'idéologie de « rectitude politique » abhorre!), appellent l'esprit moderne. Sont également absents des expressions telles que « modernité juridique » ou encore la modernité du droit dans une société ouverte et démocratique. Nous ne trouvons rien non plus quant aux « sujets de droit » ou encore quant à l'exigence tant démocratique que rationnelle pour que les individus puissent se considérer mutuellement comme des auteurs et des destinataires d'un droit à leur mesure. Peut-être que ces absences ne sont qu'un indice de la conception du « droit », à savoir de l'Idéo-droit à la façon de Duncan Kennedy, n'est en fin de compte qu'un abysse profondément réactionnaire et à la limite improductif, si on le compare, a contrario, à l'horizon que nous ouvre de tels mots et surtout leur défense concrète et populaire dans tout contexte démocratique.

 

À l'opposé de Duncan Kennedy, ce sont de telles avenues qui nous semblent les plus fructueuses, plus heureuses et plus adéquates pour une société évoluée et ouverte, pour un droit moderne et démocratique. Là, nous plaidons autant pour une théorie qu'une pratique, et autant en droit que dans le domaine de l'enseignement (et de recherche[47]), qui fait sien une conception moderne et démocratique du droit avec une option en faveur d'un droit démocratique, qui insiste sur la modernité juridique et le rôle non négociable des propriétaires du droit en chair et en os. Mais à ce stade, il ne nous reste qu'à nous référer à nos autres écrits qui justement explorent le paradigme d'un droit moderniste à notre mesure[48]

 

 

 

 

 

 

 

 

* Faculté de droit, Université Laval; bjarne.melkevik@fd.ulaval.ca.

[1] Duncan Kennedy, «L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies. Une polémique autour du système », Montréal, Lux Éditeur, 2010.

[2] Duncan Kennedy, « Legal Education and the Reproduction of Hierarchy: A Polemic Against the System », Cambridge, Mass., Afar, 1983; repris en juillet 2004 par New York University Press (avec des commentaires de plusieurs idéologues éminents du Critical Studies Movement) et en mars 2007 également par NYUP.

[3]George W. F.Hegel, Principes de la philosophie du droit ou Droit naturel et science de l'État en abrégé (1821), Paris, Vrin, 1982, page 58-59 : «Pour dire encore un mot sur la prétention d'enseigner comment doit être le monde, nous remarquons qu'en tout cas, la philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation. Ce que le concept enseigne, l'histoire le montre avec la même nécessité : c'est dans la maturité des êtres que l'idéal apparaît en face du réel (Wirklichkeit) et après avoir saisi le monde dans sa substance le reconstruit dans la forme d'un empire intellectuel. Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut le rajeunir avec du gris sur le gris, mais seulement la connaître. Ce n'est qu'au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol.»

[4] Voir l'histoire de la Faculté de droit de l'Université Yale: Laura Kalman, « Yale Law School and the Sixties: Revolt and Reverberations », Chapel Hill, The University of North Carolina Press, coll. Studies in Legal History, 2009. Un résumé, Laura Kalman, "The Dark Ages" se retrouve dans Anthony T. Kronman (dir.), History of the Yale Law School. The Tercentennial Lectures, New Haven, Yale University Press, 2004, p 154-213, Cf. également Laura Kalman, "Legal Realism at Yale, 1927-1960", Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1986 (Reprinted 2002 by The Lawbook Exchange).

[5] Cf. Duncan Kennedy « Critical Legal Studies », dans André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2ème édition, 1993, page 135-139.

[6] L 'expression vient de Laura Kalman, Yale Law School and the Sixties, op.cit. page 2, 3 et 5. Elle définit le "communautarisme subjective" ainsi: "Communitarian subjectivism fused disapproval of authority; distrust of the Establishment; alienation from the system; attack on the hegemony of the power elite; scepticism about the neutrality and objectivism; enthusiasm for egalitarianism, individual creativity, and passion; a focus on the emancipator power of both "doing one's own thing" and co-operation; with a sense that "mind" could remake the "reality" believed to exist largely in the mind's eye"(ibid, page 4).

[7] Cf. Roberto Mangabeira Unger, The Critical Legal Studies Movement, Cambridge (Mass.), Harvard University press, (1983) 1986.  Voir, idem, Politics: A Work in Constructive Social Theory, Cambridge (Mass.), Cambridge University Press, 1987, in 3 Vols: Vol 1 - False Necessity: Anti-Necessitarian Social Theory in the Service of Radical Democracy, Vol 2 - Social Theory: Its Situation and Its Task - A Critical Introduction to Politics: A Work in Constructive Social Theory; Vol 3 - Plasticity Into Power: Comparative-Historical Studies on the Institutional Conditions of Economic and Military Success. Voir également: idem, What Should Legal Analysis Become?, London & New York, Verso, 1996.

[8] Voir, Laura Kalman, Legal Realism at Yale 1927 - 1960, op.cit. 

[9]Des nouvelles écoles théoriques comme « criminologie critique », « criminologie de déviances », etc., peuvent exemplifier ce jugement.

[10]Sur la nostalgie (et le désir d'effectuer une récupération idéologique) du CLS, consulter Alan Hunt, The Sociological Movement in Law, London, MacMillian, 1978, et Peter Fitzpatrick & Alan Hunt (dir.), Critical Legal Studies, Oxford, Blackwell, 1987.

Avec une orientation différente, comparer avec Françoise Michaut, Le mouvement des Critical Legal Studies entre républicanisme et libéralisme, Québec, Les Presses de l'Université Laval, coll. Diké, 2010 (publié ensemble avec deux textes de Frank Michelman).

[11] Voir, Harvard Law School Association (dir.) "Essays on Critical Legal Studies. Selected from the Pages of the Harvard Law Review, Cambridge (Mass.), The Harvard Law School Association (editor), 1986, p 1986.

[12] Duncan Kennedy, Sexy dressing. Violences sexuelles et érotisation de la domination, Paris, Flammarion, coll. Champs essais no 843, 2008.

[13] Duncan Kennedy, A Critique of Adjudication (fin du siècle), Cambridge (Mass.), Harvard Unviersity Press, 1997.

[14] Voir, François Cusset, French Theory: Foucault, Derrida, Deleuze, & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis", Paris, La Découverte, Paris, 2003. Notons que le livre de Cusset est enthousiaste et non-critique.

[15] Laura Kalman, Yale Law School and the sixties: revolt and reverberations, op. cit., page 384, note 6.

[16] Laura Kalman, Yale Law School and the sixties: revolt and reverberations, op. cit.,  page 70 s. Notons que Laura Kalman a interviewé Duncan Kennedy sur ses années de service dans le CIA.

[17] Duncan Kennedy, « Symposium : Afterword, A Semiotics of Critique, Cardozo Law Review, vol. 22, 2001, p 1147, à page 1166-1167.:"I worked for two years for the CIA, in the operation that funded and controlled the foreign activities of an organization called the National Student Association. I justified what I was doing on the quite uncannily Schmittian ground that there was a conflict of "ways of life" and our deceptive activities were within the range of acceptable costs of containing the Soviets. I was a "cold war liberal," a person who favored left-wing but anticommunist reforms all around the world. My nonliberalism began in 1966 (just before the operation's cover was blown) when I began to feel that the Soviet threat was not serious enough to justify what we were doing, and that the leftwing reforms would never materialize. I quit, and after that I thought I could be reoccupied with what the overwhelmingly liberal American ruling class was doing in Vietnam, and failing to do in response to the black ghetto riots, without worrying for as much as a second that the real threat was from communism.

I was surprised when the Church investigation revealed CIA assassination plots, because I had naively believed such conduct extremely unlikely as well as unjustified and foolish under the circumstances, rather than because I thought it was categorically wrong regardless of the circumstances. As I now see it, I made the wrong decision when I signed up (misassessing the strategic situation and too strongly influenced by the offer of a draft deferment), wrong under the circumstances rather than categorically". (Notre traduction).  Notons que la réference de Duncan Kennedy à l'Église, date de 1975: Nicholas M. Horrock, Church Says C.I.A. Actually Tried to Slay Castro, NY. TIMES, Oct. 6, 1975, at A1.

[18] Duncan Kennedy, L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies, op. cit., p 92.

[19] Duncan Kennedy, L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies, op. cit., p 94.

[20] Notons dans ce sens l'origine religieux du mot « hiérarchie », voir Alexis Rosenbaum, « L'ordre sacré. Les representations hiérarchique en philosophie », Paris, Desclée de Brouwer, 1999, p. 9 : « Une hiérarchie est d'abord une représentation. L'acception du terme « hiérarchie » qui prévaut aujourd'hui renvoie certes à la subordination des pouvoirs dans une institution, par exemple une administration. Mais cette acceptation est relativement récente, puisqu'elle date du XVIIIe siècle, et le terme est en réalité d'origine religieuse. Il apparaît au Ve siècle de notre ère pour désigner le mode d'organisation des anges, dont le principe d'échelonnement, de dépendance et de commandement est alors désigné comme sacré (hier-arkhia) ».

[21] Sur le retour (et le refus d'un retour à un politico-théologique dit opportunément de « gauche »), voir Bjarne Melkevik, « L'abime et « l'exception » : Schmitt, Agamben et le Schmittisme », dans Mirandum, (Sao Paulo, Brésil), vol 20, 2009, p 5 - 22.

[22] Duncan Kennedy, «L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies », op. cit., p 8.

[23] Duncan Kennedy, op. cit., p. 87.

[24] Duncan Kennedy, op. cit., p. 41.

[25] Duncan Kennedy, op. cit., p. 75.

[26] Duncan Kennedy, op. cit., p. 8.

[27] Duncan Kennedy, op. cit., p. 76.

[28] Duncan Kennedy, op. cit., p. 88.

[29] Duncan Kennedy, L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies, op. cit., p. 96.

[30] Duncan Kennedy, op. cit., p. 57.

[31] Voir, Carl Schmitt, La notion de politique. Théorie du partisan, Paris, Flammarion, coll. Champs no 259, 1992. Il existe quatre éditions de ce « livre », voir la préface de Julien Freund, dans C. Schmitt, La notion de politique, op. cit., p. 17, note 2. Pour une critique de Carl Schmitt, voir Bjarne Melkevik, « Pour en finir avec Carl Schmitt : Habermas devant le hobbisme juridico-politique », dans idem, Habermas, droit et démocratie délibérative, Québec, Les Presses de l'Université Laval, coll. Diké, à paraître (2010/2011), et idem, « L'abime et « l'exception » : Schmitt, Agamben et le Schmittisme », op. cit.

[32] Georges Orwell (i.e. Eric Blair), La ferme des animaux, Paris, Gallimard, coll. Folio, (1983) 2005, p. 144.

[33] Duncan Kennedy, op. cit., p. 7

[34] Duncan Kennedy, « Symposium : Afterword, A Semiotics of Critique», Cardozo Law Review, vol. 22, 2001, p 1147, pp. 1166-1167.

[35] Duncan Kennedy, L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies », op. cit., p. 101.

[36] Platon, La République, Livre VII, traduit par Robert Baccou, sans pagination, reproduit à partir du site : http://hermanubis.com.br/Artigos/FR/ARFRILaCavernedePlaton.htm  Voir, également Platon, La République, traduction Robert Baccou, Paris, GF-Flammarion, 1966, pp. 273 - 276.

[37] Duncan Kennedy, L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies, op. cit., p. 101.

[38] Karl Marx: «Chaque fois que, pendant ces vacances, le bruit confus du Parlement s'éteignait et que son corps se dissolvait dans la nation, il apparaissait clairement qu'il ne manquait qu'une chose pour parachever le visage véritable de cette République : rendre ses vacances permanentes et remplacer sa devise : liberté, égalité, fraternité par les termes sans ambigüité: Infanterie, Cavalerie, Artillerie! »; dans idem, Œuvres IV Politique I, (édition par Maximilien Rubel), Paris, Gallimard, coll. Pléiade, 1994, p. 475 (Le 18 brumaire de Louis Bonaparte).

[39] Herbert Marcuse, Tolérance répressive suivie de quelques conséquences sociales de la technologie moderne, Paris, Homnisphères, coll. Horizon critique, 2008.

[40] Voir, Paul Ricœur, Freud and Philosophy. An essay on Interpretation, New Haven, Yale University Press, 1970, pp. 33 - 36., idem,  De l'interprétation: Essai sur Freud, Paris: Éditions du Seuil, 1965 (édition de poche : 1995), pp. 40 - 50. Ricœur, en identifiant l'école de soupçon aux noms de Marx, Nietzsche et Freud, donne la définition suivante (page 41): « Si l'on remonte à leur intention commune, on y trouve la décision de considérer d'abord la conscience dans son ensemble comme conscience « fausse ». Par là ils reprennent, chacun dans un registre différent, le problème du doute cartésien, pour le porter au cœur même de la forteresse cartésienne. (.....) Après le doute sur la chose, nous sommes entrés dans le doute sur la conscience. (.......). Mais ces trois maîtres du soupçon ne sont trois maîtres de scepticisme; ce sont assurément trois grands « destructeurs »; et pourtant cela même ne doit pas nous égarer; la destruction, dit Heidegger dans Sein une Zeit, est un moment de toute nouvelle fondation (....).» «À partir d'eux, la compréhension est une herméneutique : chercher le sens, désormais, ce n'est plus épeler la conscience, mais en déchiffrer les expressions. Ce qu'il faudrait donc confronter, c'est non seulement un triple soupçon, mais une triple ruse. Si la conscience n'est pas telle qu'elle croit être, un nouveau rapport correspondrait à celui que la conscience avait institué entre l'apparence et la réalité de la chose. La catégorie fondamentale de la conscience, pour eux trois, c'est le rapport caché-montré ou, si l'on préfère, simulé-manifeste » (page 42). 

D'où irrationalisme et « idéologisme », car la conscience a perdu ses bornes et se trouve dans une position de « surconscience » planant au-dessus du monde tel qu'un inquisiteur à partir d'une « vérité » déjà acquise. Ce qui est également détruit dans une telle impasse de soupçon c'est la possibilité d'un « sens » à partir des ressources communicatives issues d'un espace public et critique.     

[41] Duncan Kennedy, op. cit., p. 127.

[42] Duncan Kennedy, op. cit., pp. 127-128.

[43] Duncan Kennedy, op. cit., p. 128. Les références bibliographiques suivantes sont plus exactement : David Kairys (dir.), The Politics of Law : A Progessive critique, Jackson (Tn), Basic Books, 3ème édition, 1998; Morton J. Horwitz, Transformation of American Law, 1780-1860, Cambridge (Ma), Harvard University Press, 1977; Karl Marx: La question juive, dans Karl Marx, Œuvres, sous la rédaction de M. Rubel, Paris, Gallimard, coll. Pléiade; Eugene D. Genovese, L'économie politique de l'esclavage, Paris, Maspero, 1968; E. P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Gallimard, 1988.                 

[44] Duncan Kennedy, op. cit., p. 139.

[45] Duncan Kennedy, op. cit., p. 129.

[46] Duncan Kennedy, op. cit., p. 131.

[47] Voir, Bjarne Melkevik, « Scolies sur l'avenir des facultés de droit », dans Studia Universitatis Babes-Bolyai - series Iurisprudentia, no. 2/2007, pp. 3 - 10 (http://studia.law.ubbcluj.ro/articol.php?articolId=173).

[48] Voir, Bjarne Melkevik, Philosophie du droit, Volume 1, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2010.

 


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