Numărul 3 / 2010

 

 

Association « Henri Capitant » des amis de la culture juridique française

Journées roumaines - Les successions, Bucarest et Cluj-Napoca, 23-28 mai 2010

SUCCESSIONS ET ENTREPRISE

Rapport roumain - Gheorghe Piperea*

 

 

 

I.       Introduction

 

La Constitution roumaine prévoit à l'article 42 que: «Le droit de succession est garanti" en assurant à titre de principe constitutionnel que ce droit peut être effectivement protégé par l'intervention des institutions de l'Etat.

Le Livre III du Code civil roumain relatif aux différentes modalités d'acquisition de la propriété comprend deux titres consacrés à la succession : Titre I «Des successions» (articles 650-799) et Titre II « Des donations entre vivants et des testaments » (articles 800-941).

Conformément à l'article 650 du Code civil roumain, « la succession est déferrée soit par la loi soit par la volonté humaine, par testament ». La succession, en Roumanie, est soit légale soit testamentaire.

En ce qui concerne la succession, le rôle de la loi est de prévoir la manière dont intervient la transmission du patrimoine successoral du défunt, en précisant  les personnes appelées à la succession, l'ordre et les parts revenant à chacune de ces personnes. Certaines de ces dispositions sont d'ordre public. La dévolution légale de la succession sera applicable lorsque le défunt n'a pas disposé de ses biens par testament ou si le testament ne contient pas de dispositions relatives à la transmission de la succession, mais uniquement d'autres dispositions (notamment sur la suppression de l'héritage d'autres parents, l'organisation des funérailles, etc.). En revanche, un testament - en tant que manifestation de la volonté du testateur avec l'intention de produire des effets juridiques - représente l'acte de volonté essentiellement personnel du testateur par le biais duquel il déroge aux règles du droit de la succession légale.

Le droit des successions faisant partie du droit civil, est donc une branche du droit privé. En ce qui concerne le caractère familial / patrimonial du droit des successions, il faut faire la distinction suivante. Dans l'ancienne doctrine roumaine de droit civil, la succession a été traitée comme un effet patrimonial des rapports de famille après la mort : « la transmission du patrimoine par succession est un effet des relations de famille[1]». Actuellement, on considère que le droit de succession a un caractère mixte, à la fois patrimonial et familial.

L'objet principal du testament est représenté par les legs, qui sont des dispositions relatives au patrimoine successoral (legs universels ou à titre universel) ou aux biens qui font partie de ce patrimoine (legs à titre particulier). Cependant, à côté des legs ou même sans prévoir de legs, le testament peut également contenir d'autres manifestations de la dernière volonté du défunt: (i) le déshéritement, c'est-à-dire la suppression des droits des héritiers légaux, au moment du partage de la succession, dans les limites prescrites par la loi ; (ii) la nomination de l'exécuteur testamentaire, habilité à faire appliquer les dispositions testamentaires ; (iii) les conditions imposées aux héritiers ou aux légataires, de nature patrimoniale (legs) ou d'autre nature ; (iv) la révocation totale ou partielle d'un testament antérieur ou d'une disposition testamentaire antérieure ou la rétraction de la révocation antérieure ; (v) la division par ascendant; (vi) la reconnaissance par la mère de l'enfant inscrit dans le registre de l'état civil comme né de parents inconnus ou la reconnaissance par le père de l'enfant né hors mariage ; (vii) d'autres dispositions de dernière volonté, telles que la reconnaissance d'une dette - étant précisé que les dispositions de la loi ne sont pas exhaustives sur ce point.

En matière successorale, le Code civil roumain établit plusieurs principes généraux : le principe de l'appel à la succession des parents dans l'ordre des classes d'héritiers légaux ; le principe de la proximité du lien de parenté ; le principe de l'égalité. La loi prévoit aussi des règles obligatoires en ce qui concerne l'héritage par représentation, les droits successoraux du conjoint survivant, mais aussi des interdictions en ce qui concerne le pacte sur une succession non ouverte ou future, les substitutions fidéicommissaire et la réserve successorale ainsi que le droit d'option successorale.

La Loi sur les sociétés commerciales (« LSC ») prévoit de façon restrictive, à l'article 2, les cinq formes classiques de société ,une sixième forme étant régie par l'article 2702a)-e) : (i) la société en nom collectif ; (ii) la société en commandite simple ; (iii) la société par actions, qui est la société de capital classique ; (iv) la société en commandite par actions ; (v) la société à responsabilité limitée qui est une société à caractère mixte puisqu'elle réunit le caractère intuitu personae des sociétés de personne avec une responsabilité limitée aux apports sociaux ; (vi) la société européenne issue de la modification, en Juin 2008, de la LSC. Le groupement d'intérêt économique ainsi que les sociétés non-commerciales (comme l'association en participation et la société civile notamment) sont règlementés de façon spécifique et distincte.

La différence principale  entre ces formes de société réside dans l'étendue de la responsabilité des associés à l'égard des tiers pour les dettes sociales (article 3 de la LSC)[2]. Il existe aussi des différences en ce qui concerne l'organisation, le fonctionnement et la dissolution des sociétés commerciales.

Les sociétés par actions peuvent être classées aussi en sociétés « fermées » et en sociétés « cotées » (listées sur la bourse ou sur tout autre système organisé de transaction).

Les sociétés peuvent prendre la forme de sociétés de personnes ou de capitaux. Certaines sociétés ont des formes juridiques spéciales : les sociétés unipersonnelles et les sociétés dans lesquelles l'Etat roumain participe en qualité d'actionnaire unique ou d'actionnaire majoritaire. Dans ce cas-là, on retrouve de nombreuses règles juridiques spécifiques, dérogeant au droit commun.

Les actions, en tant que fractions du capital social, peuvent être classées tout d'abord en fonction des droits qu'elles confèrent, celles-ci étant soit ordinaires soit de préférence, et ensuite en fonction de leur négociabilité, les actions pouvant être divisées en actions cotées, actions ordinaires (non cotées), actions non cessibles (par exemple, les actions de contrôle) et des actions cessibles dans des conditions restrictives (spécifiques aux sociétés par actions fermées, appelées aussi « de famille »).

D'un autre point de vue, les actions peuvent être classées comme des biens mobiliers par l'effet de la loi (article 474 du Code civil). Si les actions au porteur sont des biens mobiliers corporels, les actions émises sous la forme dématérialisée constituent des biens mobiliers incorporels.

Le principal droit conféré par les actions est le droit de propriété. En fonction de leur contenu, les droits des actionnaires peuvent être soit patrimoniaux soit extra-patrimoniaux.

Font partie de la catégorie des droits extra-patrimoniaux: (i) le droit de participer aux assemblées générales et le droit de voter, excepté les détenteurs d'actions avec droit préférentiel de vote ; (ii) le droit d'être informé ; (iii) d'autres droits extra-patrimoniaux, tels que : le droit de convoquer l'assemblée générale, le droit de nommer et révoquer les membres des organes de direction, le droit de contrôle, le droit d'actionner en responsabilité les administrateurs, le droit de se retirer de la société, etc.

Au nombre des droits patrimoniaux, figurent notamment: (i) le droit aux dividendes ; (ii) le droit à l'obtention d'une partie du boni de liquidation de la société ; (iii) d'autres droits patrimoniaux attachés aux actions comme le droit de transmettre les actions, le droit préférentiel de souscription, le droit de faire la transaction des droits attachés aux actions (pour les sociétés cotées).

Les droits des actionnaires sont également divisés en droits politiques, collectivement exercés lors des assemblées générales, et en droits financiers, qui permettent aux actionnaires de partager les bénéfices et les droits patrimoniaux.

Le droit des sociétés est régi par les suivants principes généraux : la liberté d'association ; l'égalité des actionnaires ; l'affectio societatis ; la responsabilité des associés et des actionnaires dans la limite de leur apport au capital social (ce qui constitue la règle en droit roumain des sociétés) ; la protection de l'investisseur (dans le cas des sociétés cotées).

Il convient de noter que pour certaines sociétés, il y a des règles juridiques spécifiques. Il faut considérer premièrement la situation des sociétés cotées régies principalement par la Loi no. 297/2004 relative au marché du capital, et ensuite la situation des sociétés d'État (Loi no. 15/1990 sur la transformation des anciennes sociétés socialistes d'Etat en sociétés publiques autonomes et sociétés commerciales), des sociétés du secteur bancaire, des assurances, etc.

 

II.      Conciliation des deux domaines du droit. Lacunes. Possibilités de fraude à la loi


Dans la mesure où en droit roumain, les actes normatifs régissant le droit des sociétés sont à la fois le Code de commerce et la Loi des sociétés commerciales, les dispositions relatives aux sociétés sont concentrées dans ces règlements. Néanmoins, le Code Civil contient quelques dispositions spéciales, qui s'appliquent dans certaines circonstances aux sociétés commerciales. Ainsi, l'article 1530 du Code civil prévoit que « A l'occasion du partage du patrimoine de la société entre les associés, on applique les règles relatives au partage de la succession, la forme de ce partage et les obligations qui en résultent pour les successeurs ». Quant à la dissolution de la société, l'article 1530 du Code civil prévoit que le partage du patrimoine social sera effectué selon les règles du partage de la succession, les associés étant considérés comme des copropriétaires en indivision des biens de la société. A cette occasion, on procédera d'abord au paiement des dettes, au recouvrement des créances, et ensuite à la répartition entre les associés (ou le cas échéant entre les héritiers de l'associé décédé) de l'actif et du passif en résultant à proportion de la contribution de chacun au capital social, en tenant compte des stipulations contractuelles et des interdictions prévues par la loi (clause léonine).

Dans le système du droit roumain, le partage met fin à tout état d'indivision, quel que soit sa source. Dans ce contexte, il aurait été souhaitable que le partage ne soit pas réglementé dans la partie relative aux successions, mais dans un chapitre distinct du Code Civil précisant sa portée (cessation de toute propriété commune) ainsi que ses règles de mise en oeuvre. Mais en l'absence d'une telle réglementation distincte, ce sont les règles sur le partage contenues dans le chapitre sur la succession du Code Civil qui représentent le droit commun applicable à toute forme de partage.

En revanche, la LSC contient de nombreuses dispositions relatives à l'héritage :

(i)      l'article 102 paragraphes (2) et (3) prévoit que lorsqu'une action nominative ou au porteur devient la propriété de plusieurs personnes (c'est-à-dire une action nominative transmise à plusieurs héritiers en état d'indivision), la société ne sera pas obligée de tenir compte de cette transmission, tant que ces personnes ne vont pas procéder à la désignation d'un représentant commun pour exercer les droits attachés à l'action ; dans les sociétés fermées, le représentant agira en vertu d'un pouvoir spécial donné par écrit conformément à l'article 125 paragraphe (2) de la LSC. En ce qui concerne les sociétés cotées, il existe des règles spéciales relatives au contenu du pouvoir.

(ii)    l'article 102 paragraphe (4) prévoit expressément que, lorsqu'une action est la propriété indivise de plusieurs personnes (y compris en cas de transmission par héritage), les héritiers seront solidaires des dettes sociales. Il s'agit ici d'une exception au principe consacré à l'article 1060 du Code Civil, selon lequel la dette est divisible entre les héritiers qui ne seront tenus qu'à proportion de leurs parts respectives. 

(iii)    l'article 202 paragraphe (3), applicable aux sociétés à responsabilité limitée, établit une exception à la règle qui soumet la transmission des parts sociales à des personnes extérieures à la société, à la validation des associés représentant ¾ du capital social (droit d'agrément). En effet, en vertu de cette exception, les parts sociales peuvent être acquises par succession légale ou testamentaire sans la nécessité d'obtenir un agrément préalable ; les statuts peuvent néanmoins passer outre cette exception. Dans cette hypothèse, et en l'absence d'agrément, la société se trouve dans l'obligation de rembourser aux héritiers la valeur des parts qui auraient dû leur revenir dans le cadre de la succession.

(iv)   l'article 202 paragraphe (4) prévoit que dans l'hypothèse où le nombre maximal des associés (50) viendrait à être dépassé par l'entrée dans la société d'héritiers, ceux-ci seront obligés de choisir les titulaires des parts, afin de respecter le nombre maximal légal précité.

(v)    les articles 229 et 230 se réfèrent au cas de la dissolution de la société en nom collectif, en commandite simple / par actions ou à responsabilité limitée du fait du décès des associés, mais aussi à certains aspects liés à la responsabilité des héritiers jusqu'à la publication des changements intervenus dans la société.

Malgré quelques différences inhérentes aux époques distinctes de promulgation des lois régissant les deux matières - le Code civil (1865) en matière de droit des successions et la Loi sur les sociétés (1990) en matière de droit des sociétés, on peut toujours considérer les deux domaines du droit compatibles.

Il ressort de l'analyse de ces deux domaines du droit certaines  lacunes, notamment :

a.       une réglementation insuffisante s'agissant de la transformation de la société à responsabilité limitée en société à responsabilité limitée unipersonnelle suite au  décès d'un des associés, notamment en présence d'une clause de continuation avec un des héritiers de l'associé décédé : on peut légitimement s'interroger sur le sort des autres héritiers et, a fortiori, sur celui de la société (dissolution ou continuation d'activité)

b.       dans la situation de la dissolution et de la liquidation d'une société, quel sera le sort du surplus de liquidation : il est difficile de savoir si ce boni de liquidation sera réparti entre les héritiers en suivant les règles de la succession ;

c.       la loi ne prévoit pas les modalités de désignation du représentant commun des héritiers de l'un des associés/actionnaires, et encore moins la procédure de désignation d'un tel représentant en cas de divergences / refus de la part des autres héritiers ;

d.       la LSC ne contient pas de dispositions sur la transmission des actions pour cause de décès, mais uniquement la cession entre actionnaires ;

e.       en ce qui concerne la dévolution légale, la doctrine actuelle considère que les sociétés ne peuvent pas avoir la qualité de successible, c'est-à-dire d'hériter des associés/actionnaires; il sera donc intéressant d'avoir un texte légal régissant ce problème ;

f.        en ce qui concerne la dévolution testamentaire, la loi prévoit seulement la possibilité de faire des legs à titre particulier en faveur des sociétés. Dans cette situation, on peut se poser des questions quant à la possibilité de faire des legs universels, à titre universel ou à titre particulier avec charge. De plus, une autre question se pose : qui va accepter ces legs ? faudra-t-il une décision spéciale de l'assemblée générale et dans l'affirmative, sera-t-elle ordinaire ou extraordinaire? Peut-on également appliquer les règles de l'acceptation tacite, par les représentants de la société, ou celles de l'acceptation forcée ?

g.       comment est-ce que le droit de propriété des associés/actionnaires sera transmis aux héritiers ? Comment est-ce que les actions seront évaluées (au moment du décès ou au moment du débat de la succession) ?

h.       est-ce que les sociétés peuvent accepter des legs universels ou à titre universel étant donné qu'on ne peut pas anticiper les biens existants dans le patrimoine au moment du décès et en considération du principe de la capacité de jouissance limitée des personnes morales?

i.         la loi ne prévoit pas de solution pour le cas où le de cujus déshérite ses héritiers uniquement des droits de préférence conférés par l'action. Est-ce que ces droits sont des droits intuitu rei ?

En ce qui concerne la possibilité de frauder la loi, on peut imaginer les hypothèses suivantes: (i) le conjoint survivant cache l'existence de la société dans laquelle le de cujus avait la qualité d'associé, ce qui aura comme conséquence la fraude des intérêts des autres héritiers ;  (ii) le conjoint survivant s'appropriera les dividendes devant en principe revenir aux héritiers. Toutefois, selon le Code de la famille, les parts sociales sont considérées comme des biens propres de l'associé et pas comme des biens communs.

Le remède à ces tentatives de frauder la loi est établi par le Code civil, qui qualifie de délit civil le fait pour un successible de cacher ou d'enlever une partie des biens appartenant aussi aux autres héritiers, prévoyant comme sanction l'acceptation forcée de la succession en ce qui concerne ledit héritier. Les conséquences de cette acceptation forcée sont, d'un côté, la déchéance du droit d'option successorale (le successible ne pourra plus renoncer à la succession et ne pourra plus l'accepter sous bénéfice d'inventaire) et, de l'autre côté, la déchéance des droits successoraux sur les biens enlevés ou cachés (qui vont être acquis par les cohéritiers du successible coupable).

D'autres possibilités de fraude peuvent être imaginées dans les cas suivants :

a)      la donation cachée sous la forme d'une vente d'un bien au profit de la société pour éluder les dispositions concernant la réserve successorale. Ainsi, on conclura une "vente" d'un bien, qui est en réalité une donation, avec une société contrôlée par la personne que l'on veut gratifier. Cette hypothèse peut effectivement poser des problèmes puisque en ce qui concerne les sociétés les règles relatives aux incapacités prévues par le Code Civil dans la matière des donations ne leur sont pas applicables ;

b)      en ce qui concerne le testament, le Code Civil prévoit certaines incapacités de recevoir le testament - par exemple, l'incapacité du médecin qui a soigné le défunt de la maladie qui lui a par la suite provoqué le décès ; dans ce cas-là, on pourra instituer un legs en faveur de la société contrôlée par ce médecin ;

c)      tenant compte du fait qu'en Roumanie l'acquisition de terrains par des étrangers est soumise à des conditions restrictives, on peut envisager un testament ayant comme objet la transmission d'un terrain en faveur d'une société dont l'associe/l'actionnaire est étranger.

d)      Par le biais d'une cession simulée inter vivos, les associés / les actionnaires peuvent éluder les dispositions concernant la réserve successorale.

 

III.    Place du droit des successions en droit des sociétés. Modalités d'application des règles de succession en droit des sociétés. Le cas particulier de la société unipersonnelle

 

En règle générale, l'objet de la succession est constitué par les actions, respectivement par les parts sociales détenues par le défunt.

Conformément à l'article 4 LSC, la société commerciale est formée par au moins deux associés, sauf si la loi ne contient des dispositions contraires. Dans des cas exceptionnels, une société peut être constituée par l'acte de volonté d'un seul associé, mais on peut trouver des sociétés dont l'actionnaire unique est l'Etat roumain, jusqu'à leur privatisation.

La société unipersonnelle peut poser beaucoup de problèmes aussi bien en théorie qu'en pratique dans l'hypothèse du décès de l'associé unique. Le décès de l'associé n'entraîne pas la disparition de la société, sauf disposition contraire dans le statut ou l'acte constitutif.  Ainsi, la société continuera avec les héritiers auxquels les parts sociales ont été transmises.  Si deux ou plusieurs héritiers ont vocation successorale aux parts sociales du défunt et s'ils choisissent de ne pas faire de partage, la société unipersonnelle deviendra une société avec plusieurs associés, qui sera régie par le droit commun des sociétés à responsabilité limitée, à condition que les exigences suivantes soient respectées : les associés devront conclure un contrat de société et ils devront respecter les formes de procédure et de publicité requises par la loi. Tenant compte du fait que les héritiers doivent choisir un représentant parmi eux pour les représenter en relation avec la société, on peut considérer que la situation de ceux-ci restera incertaine jusqu'au moment du partage, que celui-ci soit volontaire ou provoqué. Par ailleurs, vu que les créances de l'héritage se transmettent aux héritiers divisées de plein droit, proportionnellement à leur parts héréditaires (l'article 1066 du Code Civil), la société continuera (de façon paradoxale) d'exister sous la forme d'une société unipersonnelle, jusqu'au moment du partage même si les parts sociales appartiennent à plusieurs personnes.

Une autre situation exceptionnelle est constituée par la transformation de la société pluripersonnelle en société unipersonnelle. Si un des deux associés décède et les statuts ne prévoient pas de clause de continuation de la société avec les héritiers de l'associé décédé, la conséquence sera la réduction du nombre d'associés à un seul associé. De même, la société par actions peut être transformée en société à actionnaire unique. Si cette société ne régularise pas sa situation dans le délai prévu par la loi, elle sera soumise à la dissolution judiciaire.

En conséquence, dans le cas des sociétés à responsabilité limitée, l'acceptation de la succession a comme effet la transmission des parts sociales appartenant à l'associé décédé aux héritiers. Dans cette hypothèse, le droit d'agrément des, associés n'est pas applicable aux nouveaux entrants dans la société, sauf disposition contraire des statuts.

Les sociétés intuitu personae ont un régime juridique spécial en matière de droit successoral. Par exemple, dans le cas du décès de l'un des associés d'une société en nom collectif, on peut imaginer les situations suivantes:

i)                       La société reste composée d'un seul associé : dans ce cas, la société sera soit dissoute si le contrat de société ne contient pas de clause de continuation de la société avec les successeurs, soit elle continuera avec les héritiers conformément à la clause spéciale. Dans ce dernier cas, on peut à nouveau envisager deux situations : soit les parts d'intérêt qui appartenait au de cujus sont acquises par les cohéritiers en indivision, qui vont de ce fait être obligés à designer un mandataire commun jusqu'au moment du partage, soit les parts d'intérêt seront héritées par un successeur unique, qui prendra la place du défunt associé.

ii)                      La société reste composée de plusieurs associés : dans ce cas, soit la société continuera  avec les héritiers en vertu de la clause du contrat de société ou, à défaut de clause, la société continuera avec les héritiers qui donneront leur consentement à cet effet, soit la société devra payer aux héritiers la valeur des parts sociales qui ont appartenu au défunt associé.

En ce qui concerne la transmission d'actions par succession, tenant compte de leur indivisibilité, les héritiers d'une action doivent designer un représentant unique pour procéder à l'enregistrement du changement intervenu.

En dépit du choix du représentant commun, les successeurs de l'action transmise sont tenus solidairement des versements dus qui n'ont pas été effectués au moment de la souscription au capital social.

Néanmoins, la loi ne prévoit pas la situation de la transmission d'un grand nombre d'actions aux héritiers qui se trouve en indivision. La jurisprudence des années '30 a résolu ce problème à partir de l'idée générale que l'action représente une créance contre la société. En conséquence, on appliquera les règles conformément auxquelles la créance issue de la succession sera partagée entre les héritiers proportionnellement à leur part héréditaire. Toutefois, cette règle ne s'applique qu'aux rapports entre les héritiers et les débiteurs de la succession. A leur égard, les cohéritiers restent en indivision, leurs créances étant soumises au partage, tandis qu'à l'égard des débiteurs les créances seront divisées.

Quant aux actions de préférence, en ce qui concerne leur transmission par voie successorale, celles-ci ne sont pas soumises à un régime juridique distinct des actions ordinaires. Elles garderont donc leur caractère préférentiel même après la succession. Certes, les successeurs d'une action préférentielle pourront convertir cette action en une action à droit de vote dans l'assemblée générale (action ordinaire) dans les conditions prévues par la loi.

En ce qui concerne les droits accessoires auxquels donnent droit les actions (droit de vote, droit aux dividendes, etc.), ils ne peuvent pas être transmis séparément des actions. Toutefois, le droit de préférence des actionnaires initiaux d'une société de tip fermée, de souscrire en priorité aux nouvelles actions émises, peut former l'objet d'une transaction séparée, ce droit pouvant être détaché de l'action. Même la position officielle de la Commission Nationale des Valeurs Mobilières (CNVM) soutient l'idée que la transaction des droits est une faculté de l'actionnaire. Pour cette raison, dans le cas de certaines sociétés (la société en nom collectif, la société à responsabilité limitée, etc.), les droits conférés par les actions seront transmis aux successeurs avec le respect des obligations légales et conventionnelles.

En ce qui concerne sa forme, la succession peut être légale (quand la transmission du patrimoine successorale se produit en vertu de la loi à l'égard des personnes, de l'ordre et des quotas spécifiques, ce qui correspond à une succession universelle) ou testamentaire (quand la transmission du patrimoine successoral se produit en vertu de la volonté de celui qui défère la succession par testament, transmission qui peut être universelle, à titre universel ou à titre particulier). De plus, il faut mentionner que la succession légale peut coexister avec la succession testamentaire si le testament n'épuise pas tout le patrimoine successoral.

La transmission universelle a comme objet le patrimoine successoral et les titulaires du droit sont les héritiers à vocation universelle : les héritiers légaux et les légataires universels. Grâce à la vocation universelle, ils peuvent devenir les titulaires de l'entièreté du patrimoine successoral, même si en concret l'émolument qu'ils cueilleront ne comprendra pas tout l'actif successoral.

La transmission à titre universel a comme objet une fraction de la succession, en raison de la vocation limitée du titulaire du droit qui est le légataire à titre universel.

La transmission à titre particulier a comme objet un ou plusieurs biens déterminés ou déterminables, ut singuli. C'est le cas du légataire à titre universel.

Il faut préciser aussi que le passif successoral est supporté par les successeurs universels ou à titre universel, tandis que les successeurs à titre particulier ne contribuent pas, en principe, au paiement du passif successoral (par exemple, la créance d'un tiers à la suite d'une action en responsabilité). Toutefois, on peut rencontrer une situation spéciale dans le cas du successeur qui accepte la succession sous bénéfice d'inventaire, situation qui va lui permettre, jusqu'à l'acceptation de la succession, de ne pas payer les dettes de la succession et même pas de devoir la garantie d'éviction des faits personnels (quem de evictione tenet actio, eundem agendem repellit exceptio), puisque la confusion du patrimoine du successeur et de son auteur ne s'est pas encore produite.

En ce qui concerne la succession universelle ou à titre universel, au moment de l'ouverture de la succession, les créances du défunt, y compris celles solidaires, seront partagées en vertu de la loi entre les cohéritiers et les tiers, proportionnellement avec la part de succession qui reviendra à chacun. Néanmoins, les droits réels sur les biens du patrimoine successoral seront acquis par les successeurs dans un état d'indivision (des quota-parties idéales), tandis que les droits exclusifs sur les biens concrets de la succession seront établis par le biais du partage. Les actions ordinaires, les actions de préférence et les autres valeurs mobilières, comme on l'a déjà montré, n'ont pas un régime juridique distinct du point de vue de la succession. En conséquence, celles-ci seront partagées conformément au droit successoral mais en observant aussi les règles édictées par la loi commerciale à l'égard du numéro maximal d'associés, du respect de la clause d'agrément, des actes constitutifs, etc. De plus, les valeurs mobilières peuvent être transmises aussi par des legs à titre particulier, en observant aussi les règles de la loi commerciale.

Dans les contrats de société on peut retrouver des dispositions régissant les questions de succession.

D'abord, il faut mentionner la clause de continuation avec les héritiers dans une société à responsabilité limitée, mais on peut retrouver aussi des clauses qui interdisent l'accès des héritiers à la société, à condition de dédommager les héritiers exclus, en leur remboursant la valeur des parts sociales. Toutefois, une telle clause ne peut pas être prévue dans le cas des sociétés par actions.

Ensuite, on peut retrouver des dispositions qui régissent les actions / les parts sociales et/ou leur dividendes, en leur attribuant une certaine destination. Néanmoins, dans ce cas-là, il faut tenir compte de la réserve des héritiers. En tout cas, la possibilité d'inclure un legs dans le statut / l'acte constitutif doit être envisagée avec prudence puisque le système de droit roumain prévoit expressément que le testament doit être fait par écrit in integrum, signé et daté par la main du testateur (olographe). Un testament alleograf ne sera pas valable.

Le pacte d'actionnaires (shareholders agreement) est un contrat qui est normalement inopposable aux tiers, en vertu de "l'effet relatif" des conventions, et aussi à l'entreprise elle-même, qui n'est jamais partie prenante. Ce contrat peut inclure différentes obligations pour les signataires, obligations qui revêtent un prononcé caractère intuitu personae (une clause conférant en cas de transmission des parts d'un des signataires un droit de préemption aux autres fait partie de cette catégorie ; une clause de collaboration exclusive avec la société peut être aussi incluse cette catégorie). Par conséquence, un pacte d'actionnaires conclu avec de cujus ne peut pas être opposable à ses héritiers[3]. Une situation spéciale est le cas du contrat de vote, qui est une convention pour exercer le droit de vote ; à présent, ce contrat est possible dans la mesure où il ne peut être qualifié comme la mise en pratique d'une stratégie de la société ou de ses directeurs.

Les restrictions légales dans cette matière sont concentrées principalement sur la réserve légale de certaines catégories d'héritiers, comme les descendants et les ascendants privilégiés, qui est prévue de façon impérative par le Code civil. Dans le système de droit roumain, l'inaliénabilité conventionnelle et les substitutions fidéicommissaires sont interdites sauf quelques rares exceptions, et par conséquent, on ne peut pas prévoir pour les successeurs certaines obligations liées aux actions / parts sociales que ceux-ci vont acquérir par le biais de la succession, comme la manière de les exercer, la destination des bénéfices résultants, etc. De même, on ne peut pas établir par le biais d'un contrat l'interdiction pour l'acquéreur de les transmettre aux autres personnes ou aux successeurs. Une convention par laquelle on prévoit la transmission au successeur ou à l'acquéreur des droits et des obligations du défunt liés aux actions / parts sociales (intuitu rei) est inutile puisque cette transmission opère en vertu de la loi. Au contraire, les droits et obligations intuitu personae ne sont pas transmissible ni par actes inter vivos ni mortis causa.

Si l'héritier accepte la succession déférée par son auteur, une confusion du patrimoine de de cujus et de son héritier se produit. Cette confusion produit un nombre d'effets en ce qui concerne notamment la responsabilité sociale des héritiers. La loi prévoie que les héritiers sont responsables des pertes encourues par la société jusqu'au moment de la publication des modifications intervenues. Cette disposition est l'expression du principe de la responsabilité  illimitée des associés des sociétés de personnes au titre des dettes et des pertes de la société.

IV.    Conséquences de l'héritage en droit des sociétés

 

Le décès des associées n'entraîne pas en principe la dissolution de la société commerciale.

Quand même, en fonction des caractéristiques de la société et des statuts de la société, le décès d'un associé peut aussi déterminer la dissolution de la société si le nombre minimum requis par la loi n'est plus atteint.

La société anonyme est en principe dissoute si le nombre d'actionnaires vient à être réduit à un seul. Dans cette hypothèse, l'actionnaire restant peut prendre la décision de modifier les statuts et, en conséquence, de poursuivre le fonctionnement de la société en la transformant en une société à responsabilité limitée.

La situation est pareille en ce qui concerne la société en nom collectif, la société en commandite simple et la société à responsabilité limitée, qui seront dissoutes si pour cause de décès le nombre d'associées est réduit à un seul.

Même si suite au décès d'un associé d'une société en nom collectif il reste un seul associé dans la société, il y a toujours la possibilité de poursuivre la société avec les héritiers de l'associé décédé, si les statuts de la société prévoient cette possibilité. Même à défaut d'une telle clause, la continuation reste possible si les héritiers et l'associé restant le décident.

En ce qui concerne la société à responsabilité limitée, si suite à la mort d'un associé il ne reste  qu'un seul associé, la société peut aussi poursuivre son fonctionnement en se transformant en une société à responsabilité limitée unipersonnelle.

Dans toutes les situations quand la mort d'un associé est susceptible d'entraîner la dissolution de la société et que le seul associé décide de changer la forme juridique de la société, les statuts doivent être modifiés en conséquence. Dans tous les cas quand de nouveaux actionnaires entrent dans la société, un nouveau contrat doit être signé.

En principe, les héritiers deviennent actionnaires en bénéficiant des droits attachés aux actions sauf restrictions.

La possibilité de refuser la participation des héritiers en tant qu'actionnaires dans la société à responsabilité limitée n'est pas prévue par la loi. Mais, si les statuts le prévoient expressément, le droit d'agrément peut être exercé, et les associés peuvent rembourser aux héritiers non-agrées les participations leurs revenant de l'associé décédé. Dans ce cas, l'héritier ou les héritiers ne deviennent pas associés et la société procédera à une réduction conséquente du capital social.

La possibilité d'exercer les droits attachés aux actions par les héritiers est toutefois restreinte quand ils sont copropriétaires des parts. Dans ce cas, un seul mandataire devra être nommé.

La situation reste la-même en ce qui concerne la société à responsabilité limitée, dans laquelle, dans l'hypothèse susvisée de la copropriété, les droits attachés aux parts sociales doivent être exercés par le biais d'un mandataire.

Un tel exercice des droits attachés aux actions des héritiers n'empêche pas les autres actionnaires de continuer à exercer leurs droits comme ils le faisaient auparavant.

 

 

[1] M.B. Cantacuzino, Les éléments de droit civil, ed. All Restitutio, Bucureşti, passim.

[2] St. D. Cărpenaru, Traité de droit commercial roumain, ed. Universul Juridic, Bucureşti, 2009, passim.

[3] Normalement, en droit roumain, les héritiers universelles ou a titre universelle recevront la totalité des effets produits par les contrats conclus par leurs auteurs, avec deux exceptions : les effets des contrats intuitu personae et les effets déclarés intransmissibles par les parties contractantes.

 

* Professeur à l'Université de Bucarest, gpiperea@piperealaw.ro.

 


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