Numărul 3 / 2010

 

Association « Henri Capitant » des amis de la culture juridique française

Journées roumaines - Les successions, Bucarest et Cluj-Napoca, 23-28 mai 2010

SUCCESSIONS ET FAMILLE

Rapport roumain - Mircea Dan BOB*

 

 

 

 

            Le droit patrimonial roumain de la famille reste respectueux à ses racines françaises. Son passé et son présent donnent néanmoins le très intéressant exemple d'une réception partiellement adaptée aux particularités locales, suivie par une croissance stimulée par l'affirmation de son individualité, brutalement troublée au XXème siécle par un changement de régime politique.

            Le code civil roumain entré en vigueur le 1er décembre 1865 est l'interaction entre les textes du Code Napoléon et l'effort fait par ses rédacteurs en vue de l'adapter aux réalités autochtones. Après avoir traduit en roumain le modèle (1862-1863), les membres de la commission ont sélecté st corrélé ses textes avec le projet de loi sur les mariages élaboré par Barbu Ştirbei (prince qui a régné en Valachie entre 1849-1853 et 1854-1856), avec les rapports envoyés par les tribunaux et les observations critiques formulées par Victor Marcadé dans son Explication du code civil français. En 1864, le prince Alexandre Jean Couza changeait d'avis et recommandait comme modèle le projet de code civil italien élaboré par le ministre Pisanelli. La commission a ignoré cette recommandation et a finalisé son travail sur le code français, tout en acceptant quelques textes influencés par le futur code civil italien de 1865.

            Notre rapport traitera les différents problèmes suivant l'ordre des matières. Des considérations historiques y seront chaque fois apportées, accompagnées par les références aux textes comprises dans le nouveau code civil roumain de 2009 (projeté pour entrer en vigueur le 1er janvier 2012). Les textes du code civil français de 1804 sont notés avec CN (Code Napoléon), ceux issus des reformes de 2001 et 2006 avec Fr. ; les textes roumains de 1864 apparaissent avec R, en temps que ceux du nouveau code civil (Loi no. 287 du 25 juin 2009 sur le Code civil) sont notés avec NR.

 

Aspects généraux

            Le droit roumain des successions et des régimes matrimoniaux est aujourd'hui unitaire ; la législation fondée sur le code civil de 1864 a progressivement remplacé en Transylvanie ceux autrichienne et hongroise (1943, 1947 et le début des années cinquante). Comme en France, la dévolution légale est la règle, ayant dans le testament la possibilité alternative et exceptionnelle de transmettre un héritage. L'institution contractuelle n'est pas utilisée en pratique, suite au caractère confus des textes dans notre code civil et suite à l'abrogation en 1954 du régime de la séparation des biens.

            La dévolution successorale est en principe unitaire. Des dispositions spéciales situées en dehors du code civil ont progressivement apporté des exceptions à cette règle. L'art. 5 de la loi no. 319 de 10 juin 1944 sur les droits successoraux du conjoint survivant lui octroi dans la dévolution légale un droit spécial sur les meubles affectés au foyer familial et sur les donations reçues lors du mariage. La loi no. 105 de 1992 sur les rapports de droit international privé prévoit le régime scissionniste pour déterminer la loi successorale applicable. L'art. 27 de la loi no. 114 de 1996 sur les logements et les habitations prévoit une transmission anomale du droit du locataire à ses parents cohabitants (l'époux ou l'épouse, les descendants et les ascendants) ou aux tiers qui y ont cohabité dans certaines conditions. Le Statut de l'Eglise orthodoxe roumaine (approuvé par l'arrêt gouvernementale no. 53 du 16 janvier 2008) accorde aux éparchies une vocation générale sur tous les biens apporté dans ou donnés aux couvents par les moines, ainsi que sur tout bien acquis par ceux-ci pendant leur vie monacale. Ces dispositions sont également applicables aux hiérarques (art. 192-194).

 

La dévolution selon la loi

Les successions sont déférées aux enfants et descendants du défunt, à ses ascendants et à ses parents collatéraux, dans l'ordre et suivant les règles ci-après déterminés (art. 731 CN/ 659 R).

            L'art. 659 R divise les héritiers en trois classes ou catégories, conformément à la Novelle 118 de Justinien : les descendants, les ascendants et les collatéraux ; mais cette division est écartée par le code et il faut reconnaître quatre catégories d'héritiers :

1. les enfants et tous les descendants à l'infini (669 R) ;

2. les ascendants privilégiés et les collatéraux privilégiés (671-673 R) ;

3. les ascendants ordinaires (670 R) ;

4. les collatéraux ordinaires.

 

1. Les descendants. Le privilège de la masculinité était, une fois, une caractéristique générale de la succession coutumière dans la collectivité rurale féodale en Valachie. On n'a jamais connu en Moldavie le privilège de la masculinité; en Valachie il a été abandonné pendant le XVIe siècle (il a encore subsisté pendant le XVIIe siècle, mais uniquement dans les testaments des boyards). La dissolution des collectivités rurales, l'apparition du testament et la modernisation de la vie sociale et des institutions juridiques ont conduit au principe d'égalité de sexes. Mais les lois écrites rétablissent ledit privilège à la fin du XVIIIe siècle - commencement du XIXe[1]. Ainsi, pendant une certaine période, l'ancien droit écrit de Valachie excluait les filles de la succession de leurs parents (on a précisé : le privilège des mâles était inconnu en Moldavie). Ce rétablissement législatif a été tout à fait éphémère. Le code d'Ipsilanti a été appliqué de 1780 jusqu'en 1818 ; théoriquement, le Code Caragea a duré jusqu'au 1er décembre 1865, mais son retentissement pratique a été peu important.

            Le privilège de primogéniture (ou droit d'aînesse) n'a jamais été connu en Roumanie : l'art. 669 R a renoncé aux dispositions de l'art 745 CN (735 Fr.) concernant cet aspect. Au contraire, une coutume encore vivante dans les villages plus isolés confère la propriété du foyer paternel au plus jeune des frères. Au Moyen Age, lors du mariage d'un jeune homme, son père et tous ses frères aidaient à la construction de son nouvel foyer. Le cadet restait avec ses mère et père, afin de les soigner et les assurer les obsèques ; sa récompense - il héritait le foyer paternel.

Cette règle était bien inscrite dans la conception d'ensemble suivie par l'ancien droit coutumier roumain : le partage successoral ne devait aucunement émietter la fortune immobilière. On trouve ici encore une explication à l'hostilité manifestée par les paysans envers le code civil de 1865. A long terme, l'application du partage par tête a contribué à l'éparpillement des terres agricoles et a contribué au déclenchement des émeutes paysannes comme celle de 1907.

L'art. 732 CN est resté en dehors du code civil roumain, car notre ancien droit ne faisait aucune référence à la nature et à l'origine des biens pour en régler la succession. Le système des parentèles n'a pas été pratiqué en Roumanie.

            Les enfants naturels n'avaient, selon le droit coutumier roumain, aucun droit dans la succession des leurs pères. Cette règle, richement influencée par la religion, a été maintenue par l'ancien droit écrit. Le code civil roumain de 1865 a emprunté les dispositions françaises dans cette matière, avec quelques exceptions : trois textes originels (652 &2, 677 et 678 R) qui ont permis aux enfants naturels de succéder à leur mère comme ceux légitimes.

Le code roumain consacrait une seule catégorie d'enfants naturels, sans distinguer entre ceux proprement dits et ceux adultérins et incestueux. Les enfants naturels avaient le régime des enfants légitimes, mais uniquement par rapport à leur mère et aux parents de celle-là ; ils n'ont jamais été réduits à des tiers, comme le faisait le Code Napoléon. Enfin, ces enfants n'ont eu aucun droit dans la succession de leur père.

La situation familiale et successorale précaire des enfants naturels a été une des principales critiques administrée au Code civil de 1864 par la jurisprudence et par les auteurs roumains. L'adoption en 1954 d'un Code de la famille a anéanti presqu'entièrement le premier livre du code civil (dédié aux personnes et à la famille) et a éliminé toute différence entre les enfants naturels et légitimes : « L'enfant naturel duquel filiation a été établie par aveu ou par décision de justice a, envers son parent et la famille de ceci, la même situation que la situation légale d'un enfant légitime. » (art. 63)

Le droit successoral roumain semble avoir développé une affection particulière pour la quotité disponible spéciale du conjoint survivant en concours avec les enfants issus d'un mariage antérieur (art. 939 R / 1098 CN). L'égalité juridique des enfants, institué en 1954 en droit de la famille, a implicitement modifié ce texte. Il est devenu applicable pour le concours du conjoint survivant avec tout enfant du prédécédé, non issu de leur liaison. L'art. 1090 NR est le résultat de cette conception.

 

2. Les ascendants privilégiés et les collatéraux privilégiés. L'art. 733 CN a été écarté; le législateur roumain a voulu limiter l'application de la règle dimidia paternis, dimidia maternis à la catégorie des collatéraux privilégiés. Par conséquence, en droit français, s'il n'existe ni descendants ni collatéraux privilégiés, les ascendants les plus proches recueillent la succession quel que soit leur degré, mais en procédant à la fente ; en droit civil roumain, l'ascendant privilégié va toujours exclure les ascendants ordinaires - autrement dit : l'ascendant le plus proche exclut l'ascendant le plus éloigné, sans distinction de ligne paternelle ou maternelle (voir l'absence des art. 746 &2 CN ; le premier alinéa de l'art. 753 CN a été reformulé dans l'art. 675 &1 R, les dispositions des art. 752 CN/674 R et les différences entre l'art. 915 CN et l'art. 843 R - reformulé en 1947).

La vocation successorale a été étendue par l'art. 676 R (755 CN) jusqu'au douzième degré. En Roumanie, l'art. 4 de la loi de 28 juillet 1921, loi concernant l'impôt progressif sur les successions, a limité la vocation en ligne collatérale au quatrième degré. Quoique mise en doute à cause d'une formulation moins heureuse d'une loi ultérieure (la loi du timbre de 29 avril 1927), cette reforme a été définitivement confirmée par l'art. 6 de la loi no. 319 du 10 juin 1944.

3, 4. Les droits successoraux des ascendants et des collatéraux ordinaires ne présentent pas des particularités par rapport au modèle français.

5. Le conjoint survivant. En dépit de ses racines romaines postclassiques, le droit coutumier roumain accordait une situation privilégiée au conjoint survivant. La veuve avait les droits successoraux d'un enfant (une portion virile - pro numero virorum), plus l'habitation viagère du foyer. Lors de la réception du droit romano-byzantin (siècles XV-XVIII), les lois écrites durcirent sa situation[2].   

            Le Code Ipsilanti (Valachie, 1780) est particulièrement important pour le code civil entré en vigueur en 1865. Il conférait au conjoint survivant femme ou homme, un droit de succession sur les biens de l'autre conjoint, sans exiger l'état d'indigence. D'après ce code, la femme qui a eu des enfants avec son mari a droit pour son entretien à une portion virile en usufruit. Mais si les enfants viennent à mourir, la femme, soit qu'elle reste veuve, soit qu'elle se remarie, a droit au tiers des biens en pleine propriété, parce qu'elle a souffert les douleurs de l'enfantement et mis sa vie en danger, à moins qu'elle ne se soit remariée avant l'expiration de son deuil. Le conjoint survivant d'un couple stérile voyait anéantis ses droits dans la succession de l'époux décédé.

            Ces dispositions du code Ipsilanti ont passé, avec quelques légers changements, en 1818 dans le Code Caragea (IV.3.17 k et 23), et dans le code civil de 1864.

            Le code civil roumain a généralement emprunté le modèle français pour désigner les successeurs irréguliers : l'époux non divorcé, l'Etat et la veuve pauvre. A défaut d'héritiers légitimes et naturels, les biens passaient à l'époux non divorcé (art. 723 CN/652 R et 767 CN/679 R in fine).

L'époux survivant était tenu de transformer le mobilier en numéraire ou de donner caution solvable pour en assurer la restitution au cas où se présenterait des héritiers du défunt, dans l'intervalle de trois ans ; après ce délai, la caution est déchargée (art. 682 R). Il est à remarquer que, par cette mesure, la loi n'a pas atteint le but qu'elle s'est proposé, attendu que l'argent étant plus facile à dissiper que les objets en nature, les héritiers qui se présenteraient plus tard n'ont en réalité aucune garantie. C'est pourquoi l'ancien art. 771 CN, beaucoup plus logique, ne se contentait pas de la simple transformation des meubles en argent, mais obligeait le conjoint à faire emploi du prix provenant de la vente du mobilier : le tribunal pouvait ordonner le mode d'emploi qui, suivant le cas, paraîtrait le plus convenable et le plus sûr.

Deux observations à faire ici. Dans l'art. 399, au titre de la tutelle (art. 455 CN), le législateur roumain a traduit les mots faire emploi par l'expression place à intérêt. La deuxième observation : en France, la loi du 26 mars 1957 et l'abrogation de l'art. 771 CN par l'Ord. 58-1307 de 23 déc. 1958 ont fait du conjoint survivant un héritier saisi ; en Roumanie, même après la reforme de 1944, il a besoin d'un envoi en possession.

Le mari ne venait jamais à la succession de sa femme, alors même qu'il serait dans la plus complète indigence, si ce n'est à défaut d'autres héritiers.

            Quant à la veuve pauvre, elle avait droit à une partie de la succession de son époux prédécédé, même concurremment avec n'importe quels autres héritiers. Ce droit subsistait alors même que, de fait, les époux auraient vécu séparément et que, après la mort du mari, la femme aurait convolé an secondes noces. Voici comment s'exprimait à ce sujet l'art. 684 R :

            « Lorsque le mari meurt en laissant des descendants, la veuve qui se trouve dans l'indigence prend dans sa succession une portion virile en usufruit. Si le mari a un seul descendant, la femme a droit au tiers de la succession et ce droit commence à la cessation de l'usufruit légal. Si le mari a laissé des ascendants ou des collatéraux, la femme reçoit en pleine propriété le quart de la fortune du défunt ».

            Le législateur roumain de 1864 a ajouté une troisième section au chapitre consacré aux successions irrégulières ; cette section avait un article unique - le célèbre 684. On voit sans difficulté comment ce texte trouve sa raison historique dans les anciennes coutumes et lois écrites du pays. Il était emprunté aux Novelles 53, 54 et 117 de l'empereur Justinien et conférait à l'épouse pauvre un droit de succession anomale sur les biens de son mari. L'usufruit de la veuve commençait uniquement à la fin de son usufruit légal sur la succession, conféré par l'art. 338 R (384 CN, modifié en 1984) en présence d'enfants mineurs.

Elle n'avait pas la saisine et n'était pas réservataire ; ne pouvait pas cumuler sa part de succession avec les aliments accordé par l'art. 1279 R (art. 1570 &2 CN) à toute veuve, aux dépens de la succession du mari, pendant l'année de deuil ; mais elle avait droit pendant ce temps à l'habitation et aux habits de deuil. Le droit d'habitation étant une charge de la succession pesait sur les héritiers, alors même que le défunt aurait légué à sa veuve la maison où il habitait. Mais au lieu du logement, les juges pouvaient - à la requête des héritiers - lui allouer une somme en espèces, appréciée selon les circonstances.

            L'art. 684 R a donné lieu à plusieurs difficultés.

1. en droit de Justinien, la femme était pauvre quand elle n'avait pas apporté une dot lors du mariage. En droit roumain, la constatation de l'indigence restait aux lumières des juges ; en sorte que la femme sera pauvre, quoiqu'elle ait été dotée, si sa dot est insignifiante par rapport à la fortune du mari. L'art. 684 trouvait aussi son application dans le cas où la fortune personnelle de la veuve ne lui permettait pas de maintenir le standard de vie partager durant le mariage, compte tenu la position sociale des époux.

2. On s'est demandé : comment se calculera la masse des biens sur lesquels la femme prélèvera son droit ?

            Les tribunaux ont décidé que le calcul s'opérera conformément à l'art. 849 R (922 CN). Cette solution a été formellement adoptée par la loi française de 9 mars 1891, qui a modifié les droits de l'époux sur la succession de son conjoint prédécédé. Mais la solution a été vivement critiquée en Roumanie, parce que l'art. 849 R étant exceptionnel, ne s'applique qu'au calcul de la quotité disponible et de la réserve, dans les successions dévolues aux héritiers réservataires. Et nous venons de dire que la femme n'a pas de réserve dans la succession de son mari ; elle ne pouvait demander la réduction des libéralités. Elle ne prendra donc sa part que dans les biens existants au moment de la mort du mari, déduction faite des dettes et des libéralités de ce dernier. Si, après ces déductions, il ne reste rien, elle ne prendra rien. Le système du législateur roumain était loin d'être équitable, mais il était le seul juridique eu égard le texte de la loi, tel qu'il est conçu, et aux vrais principes du droit.

 

            En conclusion, l'emprunt français dans cette matière - même amélioré par la présence de l'art. 684 - a été une erreur législative. Les critiques ont invoqué la tradition du droit roumain et le rôle essentiel joué par la femme dans le ménage. La loi spéciale de 21 décembre 1916 sur les droit successoraux des veuves des soldats morts dans la guerre n'a fait que renforcer les positions critiques mentionnés ; cette réglementation accordait audites veuves des droits en pleine propriété en concours avec tous les successeurs. Elle a été rééditée, dans un contexte vraisemblable, en 1941. L'adoption d'une nouvelle loi plus favorable au conjoint survivant était inévitable.

Conformément aux dispositions de la loi no. 319 du 10 juin 1944 sur les droits successoraux du conjoint survivant, ceci est appelé à la succession en concours avec tout héritier appartenant à n'importe quel ordre ; l'absence d'héritiers légaux lui conférera l'intégralité de la succession. Sa part est toujours en pleine propriété et varie en fonction de l'ordre avec lequel il vient en concours : ¼ avec les descendants, en concours avec les ascendants et les collatéraux privilégiés - 1/3 ou ½ (selon qu'il s'agit des deux catégories ou d'une seule) et ¾ avec les ascendants et collatéraux ordinaires (art. 1er). La réserve du conjoint représente toujours la moitié de la part successorale qui lui revient en tant que successeur légal.

            Outre sa part en propriété, le conjoint survivant démuni d'une habitation lui appartenant est le titulaire d'un droit temporaire d'habitation (jusqu'au partage et au moins un an après l'ouverture de la succession) sur le logis commun des époux (art. 4). Il acquiert aussi les meubles affectés au foyer et les donations reçues à l'occasion du mariage (art. 5), mais seulement en absence de descendants et faute de disposition testamentaire du défunt concernant ses biens.

Toutes ces questions ont été intégrées dans le nouveau code civil roumain, en ajoutant la mention expresse du caractère gratuit pour l'habitation temporaire et en renonçant, faute d'application pratique, aux donations reçues lors du mariage (art. 963, 970-974 NR).

 

Le testament

            Le régime roumain des testaments est emprunté au Code Napoléon : solennité obligatoire, exclusion du testament verbal, l'existence des testaments privilégiés à coté des formes ordinaires. De point de vue statistique, la forme authentique est préférée pour exprimer ses dernières volontés.

 

La réserve successorale

            On est devant une institution jouissant d'une tradition ancrée dans les mœurs du peuple roumain et dans la tradition législative. Les anciens droits coutumier et écrit faisaient référence à la soi nommée falchidie (on lit falquídié), héritage de la dénomination fondatrice romaine - lex Falcidia. Le code civil de 1864 a importé les règles françaises en matière de réserve, avec une exception importante : seulement les père et mère l'auront en ligne ascendante. La loi de 1944 a introduit le conjoint survivant au cercle privilégié des réservataires. Malheureusement, ses textes sont trop laconiques et son critère pour calculer la réserve du conjoint diffère de ceux institués dans le code pour les autres réservataires. Ces circonstances ont conduit à des malentendus en pratique et à des controverses doctrinaires sur la modalité de calcul, qui seront éliminés seulement par l'entrée en vigueur du nouveau code.

 

Aspects procéduraux

            L'adoption en 1953 du Décret no. 40 sur la procédure successorale notariale a partiellement modifié le régime d'inspiration française qui y préexistait. Le partage maintien son effet déclaratif, la succession est transmise ipso iure, mais le notaire (devenu notaire d'Etat, ce qui revient à sa mise sous le contrôle du pouvoir central) doit rédiger avec le concours des parties un certificat d'héritier. Cet acte conclut la procédure successorale et a la valeur d'un contrat entre les héritiers ; il établi et prouve l'identité et la qualité des successeurs et leurs droits respectifs dans la succession du défunt. Emprunt forcé du droit soviétique, il a gagné par application pratique son droit de cité : la loi no. 36 de 1995 sur les notaires publiques et l'activité notariale l'a maintenu et le nouveau code a confirmé cette solution (art. 1132-1134 NR). Par une heureuse coïncidence, la Proposition de Règlement européen relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen (2009/0157/COD du 14 octobre 2009) l'envisage dans ses dispositions.

            Le délai d'option successorale a été successivement (1954 et 1958) réduit à six mois (art. 700 R / 789 CN). Le nouveau code civil prolonge ce délai (un an - art. 1103 NR) et change sa signification : en principe, la renonciation ne pourra plus être présumée (art. 1120 NR, avec l'exception prévue à l'art. 1112 NR), le non renonçant est présumé d'avoir accepté et le partage aura un effet constitutif de droits (art. 1143 et 680 NR).

 

Régimes matrimoniaux

Les reformes déclenchées après la deuxième guerre mondiale ont ébranlé l'édifice du code de 1864. Le premier livre a été presqu'entièrement remplacé par le Décret no. 31 de 1954 sur les personnes physiques et juridiques et par un nouveau Code de la famille (Loi. No. 4 de 1954), les deux mis en application par le Décret no. 32 du 30 janvier 1954. Les régimes matrimoniaux ont été complètement détruits par ce changement, car le Code de la famille a permis la seul communauté légale des meubles et des acquêts (art. 30), qui constituait en même temps un régime primaire et impératif.

La Constitution de 1948 a affirmé le principe de l'égalité des sexes (art. 16 et 21) et le Code de la famille l'a expressément réglementé en 1954[3]. Le mariage produit des effets successoraux parfaitement égaux pour chacun des époux, n'importe quel soit son sexe. Le nouveau code civil réintroduira les régimes matrimoniaux, la réglementation étant un longuement souhaité retour aux racines françaises.

La fiscalité joue en Roumanie un rôle négligeable dans la planification successorale.

 

Conclusions

            Le droit roumain des successions et de la famille reste fidèle à la tradition européenne continentale (en général) et latine (en spécial) : la dévolution légale a une primordialité par rapport à celle testamentaire et la réserve successorale assure la protection des proches contre la prodigalité du decujus. Les plus importantes modifications subies depuis l'adoption du code civil moderne (1865) envisagent les droits du conjoint survivant et ceux des enfants naturels lato sensu. Ces reformes témoignent un changement de conception présent maintenant un peu partout en Europe : la famille ménage remplace progressivement la famille lignage. De ce point de vue, la reforme de 1944 a été un pas important et courageux ; les manquements dans sa rédaction ont provoqué des controverses interminables sur certains points : qui aura priorité pour imputé sa part sur l'intégralité de la succession dans une dévolution légale : le conjoint survivant ou les descendants ? Comment concilier les critères (malheureusement) différents établis par le Code et par la Loi no. 319 de 1944 pour déterminer la quotité disponible et la réserve ? Le conjoint survivant est devenu réservataire, mais pourquoi la saisine lui est refusée ? etc.

De l'autre coté, l'entrée en vigueur des dispositions permettant le choix du régime matrimonial est vivement attendue par les roumains ; une liberté, arrêtée trop longtemps et avec des conséquences désastreuses en plan social, sera rétablie de cette manière.

 

 

 

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* Chargé de cours, Faculté de Droit UBB Cluj-Napoca ; mirceabob@law.ubbcluj.ro.

[1] Le code d'Alexandre Ipsilanti (Valachie, 1780) disposait : « Le frère pauvre est tenu de marier sa sœur selon ses facultés, c'est-à-dire qu'il ne doit pas lui faire épouser un homme mal famé ou de condition inférieure, dans le but d'échapper aux obligations de la dot ; de même, le frère riche sera tenu de doter sa sœur en proportion de la fortune laissée par le père, à moins qu'il ne soit prouvé que, par un cas fortuit, la fortune a été compromise et les enfants réduits à la misère. Dans ce cas, le frère, qu'il soit riche ou pauvre, sera strictement tenu, lorsqu'il procédera au mariage de sa sœur, de ne le faire qu'avec l'avis des parents les plus considérés, ainsi que de l'archevêque du lieu ; afin qu'il n'arrive pas, par suite de la cupidité des uns et de la misère des autres, que les sœurs soient livrés à des maris indignes d'elles ou de basse extraction. Que les frères aient également l'obligation de procéder, après la mort de leurs parents, à un inventaire de tous les biens de la succession, lequel inventaire sera visé par l'archevêque du lieu, ou par d'autres personnes dignes de foi, afin que cet acte serve de norme à la constitution de dot. Quant à ceux qui enfreindront cette disposition, ils seront passible de certaines peines et tenus à la réparation du préjudice causé ».

                Au titre des successions, le même code ajoute : « Une fois la fille dotée par ses parents, il lui est défendu, après leur mort, de venir à leur succession, alors même qu'elle proposerait de rapporter la dot ; elle doit se contenter de ce qu'elle a reçu de leur vivant ». Enfin, dans l'article final du titre des successions, le même législateur précise : « quant au foyer - et on entend par foyer paternel l'immeuble dont la famille tire son nom et son origine ; voilà pourquoi on n'appelle pas foyer tout immeuble indistinctement - il sera constamment le lot des mâles et de leurs descendants, jusqu'aux fils et petits fils, et des collatéraux, jusqu'au neveux des frères, pour que la famille conserve son nom intact ; mais non pas de la descendance féminine, car elle n'a pas la même raison de revendiquer le foyer paternel, attendu qu'elle change le nom paternel contre celui du mari ; néanmoins les femmes auront aussi un droit de protimissis (préemption) sur lesdits foyers, en introduisant leur demande dans les délais fixés pour chaque degré de parenté ».

Selon le Code Caragea (Valachie, 1818), les filles étaient exclues de la succession de leurs parents, afin de conserver les biens dans les familles : « Quand les parents ont des fils et des filles, les fils héritent seuls ; quant aux filles qui n'ont pas encore été dotées, ils doivent les doter et les marier » (LCar IV.3.17 c) et l'art. 13, III.16 du même code ajoutait : « Si le père meurt et qu'il reste une fille non dotée et une fortune paternelle, le frère est tenu de doter sa sœur en utilisant cette fortune et en y mettant même du sien, si ces biens sont insuffisants, pour lui faire épouser un mari digne de son rang et de sa réputation. Et alors même qu'il n'hériterait de rien, le frère est obligé de la doter avec ce qui lui appartient en propre ». Enfin, l'art. 20, IV.3 de ce code dit : « A la succession des foyers (la moştenirea căminurilor), quels que soient les héritiers - ascendants, descendants ou collatéraux - ce sont les mâles qui sont préférés, et ils sont tenus uniquement de reproduire en argent la part afférente aux femmes ».

[2] En Moldavie, l'art. 957 Code Calimach disposait : « La veuve qui, ayant des enfants, ne se remarie pas, prendra dans la fortune de son mari défunt la part d'un enfant, en usufruit seulement » ; le même traitement était réservé au mari, avec la même exception du remariage.

                « La femme riche qui n'a pas apporté de dot à son mari n'aura pas cette part ; il en est de même du mari qui, étant riche, n'aurait constitué à sa femme aucun avantage nuptial » (art. 958). « La femme pauvre, ayant jusqu'à trois enfants de son époux, prendra le quart de sa fortune nette en usufruit ; et si elle en a plus de trois, elle ne prendra qu'une portion égale à celle d'un enfant, toujours en usufruit » (art. 959).

                « Si le mari laisse des enfants de sa première femme, la veuve pauvre prendra en pleine propriété, soit le quart de la succession, soit une part proportionnelle au nombre des enfants. S'il laisse, non des enfants, mais d'autres parents, elle prendra invariablement le quart en pleine propriété. Il en est de même du mari pauvre venant à la succession de sa femme » (art. 960).

[3] « L'homme et la femme ont des droits égaux dans les relations entre époux, ainsi que dans l'exercice de leurs droits envers les enfants. » (art. 1 &4). « Tous les deux parents ont les même droits et obligations envers leurs enfants mineurs, sans aucune distinction entre leurs enfants légitimes, naturels et adoptés. » (art. 97). « Les mesures concernant la personne et les biens de l'enfant sont prises ensemble par les père et mère, d'une manière concertée. » (art. 98).

 


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