Numărul 2 / 2009

 

 

CONTRADICTION DES DEBATS ET DOCUMENTS CONFIDENTIELS. L'ETAT DE LA QUESTION EN DROIT BELGE

 

 

Michel LEROY*

 

 

Résumé: Le respect des droits de la défense implique que les parties à un procès puissent prendre connaissance de toutes les pièces du dossier et en discuter le contenu et l'incidence sur le litige. Ce droit peut entrer en conflit avec d'autres valeurs fondamentales.

En droit pénal, il est possible de recueillir des témoignages de manière anonyme, pour assure la sécurité des témoins.

En contentieux administratif, certains documents sont protégés par un secret légal. Ce secret est absolu en Belgique, pour les communications entre le cabinet du Roi et les ministres.

Le secret médical oppose fréquemment les médecins, qui refusent de divulguer des informations relatives à l'état de santé de personnes en cause dans un litige, aux juridictions, qui estiment que ces informations doivent être versés au dossier si c'est nécessaire pour trancher un litige.

Les documents issus d'une instruction répressive peuvent être produits en justice avec l'autorisation du procureur général près une cour d'appel ou du procureur fédéral.

Les documents «classifiés», auxquels la loi attribue un caractère secret ne peuvent pas être produits tels quels, mais le contenu doit être porté à la connaissance du juge et des parties lorsque c'est nécessaire pour apprécier la légalité d'un acte administratif.

En ce qui concerne les documents que les lois sur la transparence administrative autorisent à soustraire à la publicité, ils doivent être communiqués à la juridiction, mais cachés aux parties.

Pour les secrets de fabrication et les secrets commerciaux, la Cour constitutionnelle belge et la Cour de justice des Communautés européennes estiment toutes deux qu'aucun document ne peut être soustrait aux juges, mais que certains d'entre eux peuvent ne pas être communiqués aux parties. La Cour constitutionnelle rattache la protection des secrets d'affaires au respect du droit à la vie privée, comme l'avait fait la Cour européenne des droits de l'homme, mais en allant plus loin qu'elle. La Cour de justice des Communautés européennes base son raisonnement également sur le respect de la vie privée et, en outre, sur les directives relatives aux recours en matière de passation des marchés publics.

L'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - qui garantit «le droit d'accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires» - fournira à cette jurisprudence une base plus adéquate.

 

 

 

Mots clés: documents confidentiels, droit belge, contentieux administratif, droit de la défense

 

Cuvinte cheie: documente confidențiale, drept belgian, contencios administrativ, dreptul la apărare

 

 

 

            Introduction

 

            Le respect des droits de la défense, ou, plus généralement de la contradiction des débats, est un des principes les plus fondamentaux de l'exercice de la justice. Il implique que non seulement les parties puissent avoir connaissance de tous les arguments présentés au juge et qu'elles soient en mesure de les discuter, mais aussi qu'elles puissent prendre connaissance de toutes les pièces du dossier et formuler à leur sujet toute observation qu'elles jugent utile.

            Ce droit fondamental d'accès des parties à tous les documents utiles à la solution d'un litige peut, en certaines occasions, entrer en conflit avec d'autres valeurs fondamentales.

            C'est une problématique à laquelle la justice pénale est régulièrement confrontée. Les mœurs du milieu criminel sont telles que la sécurité, et même la vie des témoins, indicateurs ou complices repentis, est en grand danger si les personnes poursuivies apprennent par qui la police ou les autorités judiciaires ont obtenu les informations qui ont permis leur arrestation. Aussi, dans bon nombre de pays, les règles de procédure pénale ont-elles été aménagées en vue de sauvegarder l'anonymat des témoignages. Une affaire où cela s'était produit, aux Pays-Bas, a été portée devant la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci a admis cette entorse aux droits de la défense, non sans exprimer quelque réticence:

            «Le maintien de cet anonymat confronta la défense à des difficultés qui ne devraient normalement pas s'élever dans le cadre d'un procès pénal. Néanmoins, aucune violation de... la Convention ne peut être constatée s'il est établi que la procédure suivie devant les autorités judiciaires a suffisamment compensé les obstacles auxquels se heurtait la défense... S'il eût été clairement préférable que le requérant assistât à l'interrogatoire des témoins, la Cour considère, tout bien pesé, que la cour d'appel d'Amsterdam a pu estimer que les intérêts du requérant étaient, à cet égard, moins importants que la nécessité de garantir la sécurité des témoins...»[1].

            Le contentieux administratif a rarement affaire à des justiciables aussi dangereux que les truands qui forment la «clientèle» habituelle des juridictions pénales, mais des cas peuvent se présenter où des informations ne peuvent être divulguées sans risque grave pour la sécurité de personnes, pour le fonctionnement des pouvoirs publics, ou pour les intérêts de tiers. Certains documents sont protégés par un secret légal, et ce serait même commettre une infraction que leur donner de la publicité.

            A notre connaissance, l'affaire la plus ancienne où le problème s'est posé s'est passée en Angleterre. Un sous-marin avait fait naufrage le 1er juin 1939 lors de sa première plongée d'essai, et les proches des marins qui avaient perdu la vie dans l'accident soutenaient qu'un vice de conception était la cause du drame. Ils ont agi en justice pour entendre condamner le constructeur en raison de ce vice. Les plans du sous-marin ont été remis au juge, mais l'Amirauté avait expressément indiqué qu'ils étaient couverts par le secret militaire, et qu'ils ne pouvaient être exhibés aux plaignants. Le juge a fait droit à cette demande et a refusé que les plaignants puissent consulter les plans et documents relatifs à la construction du navire[2]. Bien plus tard, il est apparu que c'était bien jugé, car le sous-marin était équipé de tubes lance-torpilles d'un modèle nouveau, qui était encore secret en 1942, lors du procès.

            Le Conseil d'Etat belge a également été confronté à la question, et depuis fort longtemps, il admet que certains documents présentent un caractère confidentiel ou secret qui empêche qu'ils lui soient communiqués ou que, lui étant communiqués, ils soient portés à la connaissance des parties.

 

            «Colloque constitutionnel»

 

            Un exemple classique est donné, dans la monarchie constitutionnelle qu'est la Belgique, par les correspondances entre le cabinet du Roi et les ministres, couvertes par le secret de ce qu'on appelle le «colloque constitutionnel», expression qui désigne les propos échangés entre le chef de l'Etat et les ministres qui assument la responsabilité de ses actes. Ces documents ne peuvent jamais être remis au Conseil d'Etat ni figurer au dossier administratif[3]. La règle est d'ordre public car elle est liée à un élément essentiel du régime politique.

            Des solutions plus nuancées s'imposent pour d'autres documents couverts par un secret légal; ceux-ci sont de différentes natures, et la solution varie.

 

            Secret médical

 

            Le secret médical incite souvent les médecins à ne pas divulguer à des non-médecins, et notamment aux juridictions, les documents relatifs à l'état de santé de personnes en cause dans un litige. Les juridictions, et notamment le Conseil d'Etat, ne partagent pas cette conception, estimant que les documents couverts par le secret médical doivent être versés au dossier si la personne qu'ils concernent le demande expressément, ou implicitement, en exposant une argumentation qui repose sur eux[4]. En outre, les conclusions du service de santé administratif - service du ministère de la Santé publique chargé d'apprécier l'état de santé des fonctionnaires - sont par nature destinées à l'administration et doivent se retrouver dans le dossier relatif à l'élaboration des décisions fondées sur elles[5]. Il en va de même des rapports établis par des médecins conseils de l'administration lorsque celle-ci est appelée à prendre une décision en fonction de l'état de santé d'un administré[6].

            Le problème concerne toutes les juridictions, y compris la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de justice des Communautés européennes[7]; partout, juristes et médecins s'opposent de manière récurrente.

 

            Documents issus d'une instruction répressive

 

            Les documents afférents à une information ou une instruction répressive sont couverts par le secret de l'instruction, mais le procureur général ou le procureur fédéral, selon le cas, peut autoriser que des copies soient transmises[8].

            C'est une faculté que les administrations utilisent fréquemment lorsque des faits qui sont poursuivis pénalement sont de nature à donner lieu à des mesures administratives (poursuites disciplinaires, rectifications fiscales, etc.). Quant à savoir si, une fois l'autorisation obtenue, le document est soumis aux règles relatives à la publicité des actes administratifs, la jurisprudence est partagée[9]. Il nous paraît que lorsque le procureur compétent a donné son autorisation, le bénéficiaire de celle-ci peut entrer en possession du document et en faire ce qu'il veut - généralement, le produire en justice - sans que personne ne soit en mesure d'en contrôler ou d'en limiter l'usage; il en va de même quand c'est une autorité publique qui a été autorisée à prendre connaissance d'un dossier répressif, à cela près qu'en sa qualité d'autorité publique, elle est tenue à certaines obligations, notamment en matière de publicité des documents administratifs, obligations qui n'ont pu échapper au procureur lorsqu'il a donné l'autorisation de communiquer le dossier répressif. Autrement dit, il nous paraît cohérent de soumettre les documents issus d'un tel dossier au droit commun des documents administratifs, et de n'y refuser le droit d'accès que dans les conditions où un document administratif «ordinaire» peut y être soustrait.

 

            Documents classifiés

 

            Lorsqu'une disposition législative attribue expressément un caractère secret à certains documents, elle s'oppose à ce qu'ils soient portés à la connaissance de personnes non autorisées à les consulter. L'exemple le plus caractéristique est donné par les classifications décidées en application de la loi[10]: une multitude de «choses»[11] peuvent être classifiées comme confidentielles, secrètes ou très secrètes pour des raisons qui tiennent soit à la sécurité, soit à des intérêts fondamentaux de l'Etat[12]; elles sont alors accessibles uniquement aux personnes qui sont titulaires d'une «habilitation de sécurité», laquelle n'est délivrée qu'après une enquête destinée à établir si ceux qui la demandent, ou pour qui elle est demandée, présentent des garanties suffisantes de discrétion, de loyauté et d'intégrité. La loi porte, il est vrai, que l'interdiction d'accès à ces informations est établie «sans préjudice des compétences propres des autorités judiciaires»[13]; les exceptions étant, en règle, de stricte interprétation, on peut douter que le Conseil d'Etat - dont aucun membre n'est titulaire d'une habilitation de sécurité - puisse en bénéficier[14], encore qu'aucune raison n'apparaît de lui refuser ce qu'on accorde aux membres du pouvoir judiciaire.

            Le Conseil d'Etat ne semble avoir été confronté à ce problème qu'à propos des informations recueillies par la Sûreté de l'Etat. Les pièces elles-mêmes, qui seraient notamment de nature à révéler l'identité des informateurs, restent secrètes; mais si des informations collectées par la Sûreté sont à l'origine d'une décision administrative, le dossier doit au moins contenir une note indiquant de quoi il s'agit[15] et sur quoi elles reposent[16]. Les dossiers de la Sûreté ne sont pas couverts par une sorte d'exception générale qui les soustrairaient tous à la publicité; il faut examiner cas par cas si leur contenu peut être divulgué, partiellement s'il échet[17]. Et si le document lui-même ne peut être exhibé, sa teneur doit être révélée, au moins succinctement, dans la mesure où elle est nécessaire pour justifier la légalité d'un acte administratif.

            La même solution avait été adoptée dès avant que n'existe la législation sur les classifications[18].

 

            Documents soustraits à la publicité

 

            L'administration publique a longtemps été dominée par la règle du secret; le terme «secrétariat» lui-même en dérive. La conception du secret professionnel que la plupart des fonctionnaires avaient les conduisait à ne divulguer qu'avec une extrême réticence les renseignements qui étaient en leur possession.

            Une série de textes adoptés depuis 1990 vont à l'encontre de cette tendance. Le plus important est l'article 32 de la Constitution belge[19]:

            «Chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s'en faire remettre copie, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi...»[20].

            A l'opposé des conceptions qui avaient de tout temps prévalu, la Constitution pose à présent le principe que les documents administratifs sont publics, sauf si un acte législatif en dispose autrement. Diverses législations de l'Etat fédéral et des entités fédérées[21], permettent ou imposent, toutes à peu près dans les mêmes termes, que certains documents soient soustraits à la publicité. Pour les uns, l'interdiction de divulguer est absolue: il s'agit notamment de documents relatifs à la vie privée d'un administré, à une obligation légale de secret, ou au secret des délibérations gouvernementales. Pour d'autres, il appartient à l'autorité d'apprécier si l'intérêt de la publicité ne l'emporte pas sur la protection d'intérêts énumérés dans les diverses législations; parmi ces intérêts figurent notamment la sécurité et l'ordre publics, les droits des administrés, les relations internationales, la recherche des faits punissables, certains intérêts économiques.

            La plupart des législations ont organisé un recours contre les décisions par lesquelles des autorités administratives refusent l'accès à des documents administratifs qu'elles détiennent. Le demandeur peut leur adresser une demande de reconsidération[22], et saisir en même temps une des commissions d'accès aux documents administratifs[23] créées à cette fin. La commission compétente donne un avis[24] à l'autorité, qui statue sur la demande de reconsidération après réception de l'avis, ou après expiration du délai dans lequel l'avis aurait dû lui parvenir. A défaut de décision, l'autorité est réputée avoir rejeté la demande de consultation.

            Un des effets de ces législations est de mettre fin à une perversion qu'a connue le recours en annulation au Conseil d'Etat. Parfois des recours étaient introduits sans que les requérants connaissent les tenants et aboutissants de l'acte qui les contrariait, et c'est en consultant le dossier administratif au greffe du Conseil d'Etat qu'ils se rendaient compte que cet acte n'était pas critiquable. La requête en annulation faisait là office d'action ad exhibendum, et une fois qu'ils étaient correctement informés des motifs de l'acte, bien des requérants se désistaient du recours, s'en désintéressaient, ou poursuivaient la procédure sans conviction.

            L'on ne peut toutefois aligner purement et simplement la catégorie des documents qui doivent figurer au dossier produit en justice sur celle des documents communicables en application des législations sur l'accès aux documents administratifs. Les finalités sont différentes: assurer l'information du public dans un cas; permettre à une juridiction de trancher en pleine connaissance de cause dans l'autre. Cette mission-ci justifie parfois le dépôt au dossier contentieux de documents qui ne pourraient pas être obtenus au nom de la transparence administrative[25]. Les données personnelles (situation familiale, informations étrangères aux aptitudes requises pour la fonction...) relatives à des candidats à un emploi public, par exemple, font partie des documents que les commissions d'accès aux documents administratifs refusent de communiquer, alors que les curriculum vitae de tous les candidats - du moins de tous ceux qui sont affectés par le recours - font normalement partie du dossier remis à la juridiction.

            Quand une personne a demandé à prendre connaissance d'un document administratif et que cela lui a été refusé - autrement dit, quand la demande de reconsidération a été rejetée - c'est par une décision administrative; celle-ci est donc susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation. Ici surgit un problème: le document dont la consultation a été refusée peut-il ou doit-il être communiqué au Conseil d'Etat et versé au dossier administratif? Répondre oui réduirait à néant les dispositions qui confèrent un caractère secret à certains documents. Répondre non irait à l'encontre du droit qu'a le Conseil d'Etat de se faire communiquer par les autorités administratives tous les documents relatifs aux affaires qui lui sont soumises[26], droit essentiel pour rendre la justice en matière administrative. On peut aussi répondre oui à la première partie de la question (le document doit-il être communiqué au Conseil d'Etat?) et non à la deuxième partie (doit-il être versé au dossier?), mais là, c'est le principe du contradictoire qui est mis à mal.

            La jurisprudence s'est d'abord montrée hésitante, et, avant d'avoir été confrontée directement au problème, les allusions qu'elle y a faites penchent en sens divers[27]. Certains arrêts semblent distinguer la communication de documents au Conseil d'Etat de leur divulgation aux parties, mais la tendance dominante a d'abord été que le Conseil se fasse produire les documents et les verse au dossier, où les parties peuvent en prendre connaissance, au risque de susciter des inconvénients pour les administrations[28], ou de mettre à mal le secret fiscal et le respect de la vie privée qu'il tend notamment à protéger[29]. Mais le jour où la communication d'une pièce a risqué de mettre en péril la sécurité de personnes, la production en a été ordonnée en vue de la consultation de la pièce par la juridiction uniquement, sans communication à la partie qui attaquait le refus de la lui laisser consulter[30].

            C'est la voie qu'a adoptée également le conseil d'Etat français[31]: certains documents peuvent être communiqués à la juridiction, mais cachés aux parties. Cela heurte le principe du contradictoire, mais dans certaines circonstances, la publicité donnée à certains documents pourrait avoir des conséquences graves, dépassant de loin «les inconvénients que susciterait pour une autorité administrative le dépôt de certaines pièces» évoqués par quelques arrêts du conseil d'Etat belge[32]. On songe particulièrement à la divulgation de «l'identité de la personne qui a communiqué le document ou l'information à l'autorité administrative à titre confidentiel pour dénoncer un fait punissable ou supposé tel»[33], qui serait lourde de menaces pour la sécurité de cette personne.

 

            Secret de fabrication et secret commercial

 

            Lorsqu'un dossier administratif contient des pièces émanant de firmes industrielles ou commerciales qui contiennent des informations confidentielles destinées à l'autorité mais non à leurs concurrents, comme les offres qu'elles ont présentées à un marché public ou dans une autre procédure d'appel à la concurrence[34], leur divulgation risque de porter atteinte à des secrets de fabrication. Les détenteurs de ces secrets peuvent légitimement s'y opposer. Mais cette confidentialité est malaisément compatible avec le respect des droits de la défense, qui commande que toute pièce soumise à l'appréciation du juge soit communiquée aux parties[35].

            Comme la question met en cause à la fois des principes constitutionnels et des règles de l'Union européenne, des questions préjudicielles ont été posées à ce sujet par le Conseil d'Etat belge à la Cour constitutionnelle et à la Cour de Justice des Communautés européennes[36].

 

            Jurisprudence de la Cour constitutionnelle

 

            La Cour constitutionnelle a rattaché[37] la protection des secrets d'affaires au respect du droit à la vie privée, dont, à son estime, les personnes morales bénéficient aussi. Cette extension est pour le moins surprenante. Le droit à la vie privée est protégé par plusieurs textes: la Constitution belge, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le Pacte international sur les droits civils et politiques. Dans sa conception première, il n'est guère douteux qu'il vise essentiellement les personnes physiques. La Convention européenne et la Constitution belge protègent «la vie privée et familiale», comme s'il s'agissait d'une seule et même chose, ce qui implique que les bénéficiaires de la protection ont une «famille», donc qu'ils sont des êtres humains. Mais la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a étendu la protection. Deux arrêts sont particulièrement significatifs, qui concernent, l'un, le secret des documents détenus dans un cabinet d'avocat[38], l'autre l'interdiction professionnelle qui frappe les faillis[39]. La Cour constitutionnelle a étendu la portée de ces arrêts et a intégré à la vie privée, dans un premier temps du raisonnement, «les secrets d'affaires détenus par une personne physique» et, dans un second temps, ceux des personnes morales. La conclusion était malaisément compatible avec le principe de la contradiction des débats; sur ce point la Cour s'est montrée particulièrement nuancée:

            «Les droits de la défense doivent... être mis en balance avec les intérêts qui relèvent du domaine de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. On peut ainsi concevoir des situations exceptionnelles dans lesquelles certaines pièces du dossier, en raison par exemple de leur caractère confidentiel, échappent à la contradiction... Seules sont légitimes au regard de l'article 6.1 de la Convention précitée les mesures restreignant les droits de la défense qui sont absolument nécessaires. De surcroît, les difficultés qu'éprouverait une des parties dans l'exercice de sa défense en raison d'une limitation de ses droits doivent être compensées par la garantie qu'offre la procédure suivie devant la juridiction... Inversement, les atteintes à la vie privée qui découlent d'une procédure judiciaire doivent se limiter autant que faire se peut à celles rendues strictement nécessaires par les spécificités de la procédure, d'une part, et par les données du litige, d'autre part.»

            D'où elle conclut que, pour respecter la Constitution, les règles relatives à la contradiction des débats doivent permettre qu'une partie au procès puisse demander que certaines pièces ne soient pas communiquées aux autres parties en raison de leur caractère confidentiel.

            Et elle ajoute: «Si le droit à un procès équitable est violé lorsque des documents essentiels à la solution du litige ne sont pas communiqués à l'une des parties à la cause..., ce principe doit céder lorsque son application stricte engendrerait une violation manifeste du droit au respect de la vie privée de certaines personnes, en leur faisant courir un risque particulièrement grave et très difficilement réparable... Dans ces hypothèses, des éléments décisifs pour la solution du litige peuvent être soustraits à la contradiction des parties pour autant que la procédure compense, dans toute la mesure du possible, le handicap sévère qui en découle pour certaines d'entre elles. A ce titre, les parties doivent être informées de ce qu'il existe des pièces confidentielles et être en mesure de consulter, si possible, une version non confidentielle de ces documents. En outre, il convient qu'un juge indépendant et impartial puisse contrôler la confidentialité alléguée de ces pièces ainsi que leur exactitude et leur pertinence.»

 

            Jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes

 

            La Cour de justice des Communautés européennes[40], quant à elle, a basé son raisonnement sur les directives relatives aux recours en matière de passation des marchés publics[41]. Celles-ci imposent d'abord aux autorités administratives qui attribuent des marchés publics d'informer les candidats non retenus des raisons pour lesquelles leur offre a été écartée ou une autre offre a été préférée à la leur. Dès ce stade, toutefois, ces autorités peuvent omettre certains renseignements «lorsque leur divulgation ferait obstacle à l'application des lois, ou serait contraire à l'intérêt public, ou porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d'entreprises publiques ou privées, ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs»[42]. Ceci n'est qu'une application de la règle selon laquelle «les pouvoirs adjudicateurs doivent respecter le caractère confidentiel de tous les renseignements donnés par les fournisseurs»[43]. Plus fondamentalement, l'enjeu du débat est l'ouverture à la concurrence au niveau de l'Union européenne, qui s'oppose à ce que soient divulguées des informations dont le contenu pourrait être utilisé pour fausser la concurrence.

            L'obligation de confidentialité qui s'impose aux administrations rejaillit sur la juridiction qui est saisie d'un recours contre leurs décisions. Son effet serait évidemment anéanti si, à l'occasion de ce recours, les informations confidentielles étaient mises à la disposition des personnes à qui l'administration ne pouvait les communiquer, ou de leurs avocats.

            Il reste que la solution malmenait le respect du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la Cour de justice des Communautés européennes veille à respecter. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, elle relève que «dans certains cas, il peut être nécessaire de ne pas communiquer certaines informations aux parties afin de préserver les droits fondamentaux d'un tiers ou de sauvegarder un intérêt public important». Le droit fondamental en cause, elle le trouve, comme la Cour constitutionnelle belge et en se fondant en partie sur les mêmes arrêts, dans le droit au respect de la vie privée. Pour les trois juridictions, la vie privée s'étend aux «activités professionnelles ou commerciales des personnes physiques comme des personnes morales, activités qui peuvent comprendre la participation à une procédure de passation d'un marché public». La Cour de justice rappelle qu'elle «a reconnu la protection des secrets d'affaires comme un principe général», renvoyant à des arrêts qui déduisent cette protection de l'article du Traité de Rome qui interdit aux fonctionnaires et agents de divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient[44]. Elle ajoute que «le maintien d'une concurrence loyale dans le cadre des procédures de passation de marchés publics constitue un intérêt public important dont la sauvegarde est admise...». Elle conclut que, «dans le cadre d'un recours formé contre une décision prise par un pouvoir adjudicateur relative à une procédure de passation d'un marché public, le principe du contradictoire n'implique pas pour les parties un droit d'accès illimité et absolu à l'ensemble des informations relatives à la procédure de passation en cause qui ont été déposées devant l'instance responsable du recours. Au contraire, ce droit d'accès doit être mis en balance avec le droit d'autres opérateurs économiques à la protection de leurs informations confidentielles et de leurs secrets d'affaires».

            En revanche, «l'instance responsable des recours doit nécessairement pouvoir disposer des informations requises pour être à même de se prononcer en toute connaissance de cause, y compris les informations confidentielles et les secrets d'affaires».

 

            Conclusion

 

            Le traitement juridictionnel des données confidentielles touche à des matières très diverses, et la question a surgi devant plusieurs juridictions, dans plusieurs pays. La réponse a toujours été, en substance, la même: à l'exception de ceux qui touchent à l'inviolabilité de la personne du Roi, aucun document ne peut être soustrait aux juges, mais certains d'entre eux peuvent être soustraits à la communication aux parties.

            La justification de la réponse, elle, a varié. Pour tenir en échec un droit fondamental, il faut, en droit et en logique, lui opposer un autre droit fondamental. D'où la recherche à tout prix d'une disposition de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - où trouver plus sûrement un droit fondamental? - qui puisse être opposée à une des composantes essentielles du droit au débat contradictoire. La Cour constitutionnelle belge et, pour une part de son raisonnement, la Cour de justice des Communautés européennes, ont retenu à cet effet le droit à la protection de la vie privée. Elles pouvaient invoquer à l'appui de cette option la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, mais il fallait extrapoler.

            A Strasbourg, en effet, une atteinte à la vie privée a été reconnue par un premier arrêt à propos d'une perquisition menée dans un cabinet d'avocat en vue de découvrir des preuves à l'encontre d'une personne que cet avocat avait défendue[45]. L'affaire présentait deux particularités qui devraient inciter à se montrer prudent avant de transposer son enseignement à d'autres hypothèses. D'une part, la profession en cause était celle d'un indépendant, et la Cour a relevé que «dans les occupations de quelqu'un, on ne peut pas toujours démêler ce qui relève du domaine professionnel de ce qui en sort. Spécialement, les tâches d'un membre d'une profession libérale peuvent constituer un élément de sa vie à un si haut degré que l'on ne saurait dire en quelle qualité il agit à un moment donné». D'autre part, la profession en cause est de celles dont les clients sont le plus amenés à faire part de questions strictement privées, de sorte que les dossiers conservés dans un cabinet d'avocat regorgent d'informations qui ne peuvent en sortir. Selon l'autre arrêt, les incapacités que le droit italien attache à une déclaration de faillite en ce qui concerne l'exercice de la tutelle, l'administration d'une société et l'accès à certains emplois publics, sont contraires à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales[46].

            Bien rares sont les notions juridiques dont les contours sont parfaitement définis. Celle de «vie privée» ne fait pas exception. Il reste quand même que, dans l'usage courant à tout le moins, elle s'oppose à celle de «vie publique» - ce qui n'est pas en cause ici -, mais aussi à celle de «vie professionnelle». En plaçant celle-ci, ou certains aspects de celle-ci, sous la protection due à la vie privée, les juges de Strasbourg ont déjà procédé à une extension sensible de son champ d'application.

            Mais la Cour de justice des Communautés européennes et la Cour constitutionnelle belge ont franchi un pas de plus, qui est d'étendre la protection de la vie privée - «privée et familiale» porte la Convention - aux activités, forcément professionnelles, des personnes morales.

            Il n'est guère douteux que certains secrets de fabrication doivent être protégés, et que ni une procédure administrative, ni un procès ne peuvent les porter à la connaissance des concurrents. Mais la justification tirée du droit européen de la concurrence est plus convaincante que celle qui a été déduite du droit au respect de la vie privée.

            La jurisprudence qui invoque l'article 8 de la Convention procède apparemment de l'idée que seul un droit déposé dans un instrument de garantie des droits fondamentaux peut utilement être opposé à cet autre droit fondamental qu'est la contradiction des débats et ses implications, garanti par l'article 6 de la même Convention. Elle pêche à notre sens par un formalisme excessif. Quand deux règles de droit sont en opposition, et qu'elles trouvent leur source dans des textes qui sont de même valeur - et une convention internationale en vaut une autre -, il n'y a pas d'hérésie juridique à ce qu'un droit de l'une tienne en échec un droit de l'autre. L'entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne fournira à la jurisprudence une base plus adéquate en son article 41, qui garantit «le droit d'accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires».

 

 

*                               Autorul este Preşedinte de Cameră la Consiliul de Stat belgian şi titular de curs la Université libre de Bruxelles - michel.leroy@raadvst-consetat.be

[1]              Cour européenne des droits de l'homme, arrêt Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, §§ 72 et 74.

[2]              Voir H.W.R. WADE, Administrative law, 3rd edition, Clarendon law series, Oxford, 1971, p. 307.

[3]              Conseil d'Etat, arrêts no 1222, 19 décembre 1951, Michielsen; no-7082, 19 mai 1959, Meulemeester; no 7888, 24 mai 1960, Vandendries et crts.

[4]              Conseil d'Etat, arrêt no 41.211, 27 novembre 1993, Jander.

[5]              Conseil d'Etat, arrêt no 16.702, 6 novembre 1974, Van De Plas.

[6]              Conseil d'Etat, arrêt no 67.541, 22 juillet 1997, Lando.

[7]              Voir particulièrement l'arrêt de la C.J.C.E. du 10 juin 1980, J.T., 1978, 739, et l'étude de François GLANSDORFF et Dominique LAGASSE, «Le secret médical administratif et ses prolongements. A propos de l'arrêt Mlle M... du 10 juin 1980 de la Cour de justice des Communautés européennes, J.T. 1981, pp. 733 à 738.

                Selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'absence de communication de l'avis du médecin désigné par la juridiction pour procéder à l'examen médical préalable de son dossier, à une partie afin qu'elle puisse le discuter, constitue une violation de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales(Cour eur.D.H., 11 janvier 2007, req. 71665/01, aff. Augusto c. France).

[8]              Code judiciaire, article 1380; règlement général sur les frais de justice en matière répressive (arrêté royal du 28 décembre 1950), articles 125 et 144bis.

[9]              Conseil d'Etat, arrêts no 39.104, 30 mars 1992, Navez; no 94.41 9, 28 mars 2001, Swartenbroekx et Vercruysse; no 97.056, 27 juin 2001, Tassin; no 97.057,27 juin 2001, s.c.r.l., «AS»:

                «A la suite de l'autorisation d'accès et de copie donnée par le procureur général à l'administration fiscale, les copies des pièces du dossier judiciaire acquièrent le statut de document administratif entrant dans le champ d'application de la loi du 11 avril 1994».

                Conseil d'Etat, arrêts no 85.177, 8 février 2000, Ghysels et Van Roy; no 85.178, 8 février 2000, Lambert et crts Ghigny; no 94.759,18 avril 2001, Michel; no 94.760, 18 avril 2001, Rosoux:

                «Qu'il se déduit à la fois de la définition du "document administratif" et de celle d'"autorité administrative", figurant à l'article 1er de la loi précitée du 11 avril 1994, ainsi que du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs que les informations utilisées par les organes de l'ordre judiciaire dans le cadre de la recherche ou de la poursuite de faits punissables ne constituent pas des "documents administratifs", pas plus que le procureur général, le procureur du Roi ou le juge d'instruction ne peuvent être considérés comme des "autorités administratives" lorsqu'ils constituent et gèrent un dossier répressif; qu'il se déduit de ces éléments que des informations provenant d'un dossier judiciaire à l'instruction ne peuvent être obtenues sur la base de la loi relative à la publicité de l'administration».

[10]             Loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité.

[11]             Informations, documents ou données, matériel, matériaux ou matières, sous quelque forme que ce soit.

[12]             La liste des intérêts qui peuvent fonder une classification est la suivante:

                «a) la défense de l'intégrité du territoire national et des plans de défense militaire;

                b) l'accomplissement des missions des forces armées;

                c) la sûreté intérieure de l'Etat, y compris dans le domaine de l'énergie nucléaire, et la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel;

                d) la sûreté extérieure de l'Etat et les relations internationales de la Belgique;

                e) le potentiel scientifique et économique du pays;

                f) tout autre intérêt fondamental de l'Etat;

                g) la sécurité des ressortissants belges à l'étranger;

                h) le fonctionnement des organes décisionnels de l'Etat.

                i ) la sécurité des personnes auxquelles en vertu de l'article 104, § 2, du Code d'instruction criminelle, des mesures de protection spéciales sont octroyées».

[13]             Et «de celles de la cellule de traitement des informations financières et de celles des membres de l'organe de recours visé par la loi du 11 décembre 1998 portant création d'un organe de recours en matière d'habilitations, d'attestations et d'avis de sécurité», mais ceci est étranger au problème de la production de documents en justice.

[14]             Pascal GILLIAUX, «Le renvoi préjudiciel à la Cour de Justice des Communautés européennes. L'expérience du Conseil d'Etat belge», A.P.T. 2003, note 398, p. 48.

[15]             Conseil d'Etat, arrêts nos 1707 à 1711, 4 juillet 1952, Alpi et autres; n 2861, 28 octobre 1953, Groesz; no. 3109, 29 janvier 1954, Bettini:

                «Considérant que, si... la loi n'oblige pas le gouvernement à communiquer et à révéler des informations qui ne seraient susceptibles de recevoir aucune publicité sans grave danger pour l'ordre public, cet article oblige cependant la partie adverse à justifier devant le Conseil d'Etat la décision incriminée; qu'il ne lui suffit pas de se référer à un motif formulé en termes généraux dans l'acte lui-même».

[16]                   Conseil d'Etat, arrêt no 102.788, 23 janvier 2002, Amand:

                «Que l'on ne peut... se satisfaire des renseignements fournis en l'espèce par la Sûreté de l'Etat, sans indications de sources, selon lesquels lors d'une réunion, le requérant aurait tenu des propos racistes non autrement précisés et se serait, au cours de réunions, vanté d'avoir été impliqué dans l'affaire des tueries du Brabant wallon, d'avoir travaillé avec la Brigade de surveillance et de recherches et d'avoir touché de l'argent pour se taire sur certaines affaires, d'autant que ces renseignements n'ont pas donné lieu à des informations ou enquêtes judiciaires qui leur auraient donné consistance et en auraient révélé la gravité».

                Conseil d'Etat, arrêt no 139.171, 13 janvier 2005, XXX:

                «Considérant que ledit rapport (de la Sûreté)... se borne à affirmer que "XXX nous est connu depuis des années, pour ses liens suivis avec le Groupe Islamique Armé", sans donner aucune autre indication; que la partie adverse déduit de ce seul rapport que le requérant représente un danger pour l'ordre public; qu'ainsi, le Conseil d'Etat est mis dans l'impossibilité de vérifier si ce motif est exact et adéquat».

                Conseil d'Etat, arrêt no 103.016, 30 janvier 2002, XXX:

                «Considérant qu'en l'espèce, la Sûreté de l'Etat a communiqué les renseignements suivants:

                "XXX a été imam à la mosquée radicale bruxelloise El Khalil.

                En plus, il nous est connu comme une des figures de proue du salafisme djihadien dans notre pays.

                Le salafisme djihadien est l'émanation la plus radicale (voire violente) du salafisme, un courant de pensée islamique ultra-orthodoxe, qui défend l'instauration d'un état islamique, et qui est opposé à la démocratie occidentale et à l'intégration des immigrés musulmans dans la société d'accueil";

                Considérant... que le ministre, qui est responsable de l'ordre public, dispose d'un pouvoir d'appréciation pour évaluer si le danger pour l'ordre public qui est porté à sa connaissance justifie que l'intéressé soit exclu du bénéfice de la loi du 22 décembre 1999; qu'en l'espèce, sachant que des actes de violence d'une gravité extrême ont parfois été commis par des personnes au passé judiciaire irréprochable, mais appartenant à des courants d'opinion analogues à celui dont le requérant est considéré par la Sûreté comme une "figure de proue", le ministre a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, estimer que le requérant représentait un danger pour l'ordre public ou la sécurité nationale».

[17]             Conseil d'Etat, arrêts no 132.072, 7 juin 2004, Lybaert; no 91.531, 11 décembre 2000, Dewinter.

[18]             Conseil d'Etat, arrêts no 1707 à 1711, 4 juillet 1952, Alpi et autres, et no 2670 à 2677, 13 juillet 1953, Cazier et autres.

[19]             Introduit le 18 juin 1993 sous le no 24ter, et repris dans la coordination du 14 février 1994 sous le no 32.

[20]             La suite de l'article précise qu'il s'agit de la loi fédérale ou de la loi d'une entité fédérée, en des termes difficiles à comprendre pour qui ne connaît pas le droit constitutionnel belge.

[21]             Textes à portée générale: décret (Vl) du 23 octobre 1991 relatif à la publicité des documents administratifs dans les services et établissements de l'exécutif flamand, remplacé par le décret du 18 mai 1999, puis par le décret du 26 mars 2004 relatif à la publicité de l'administration; loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration; décret (F) du 22 décembre 1994 relatif à la publicité de l'administration; décret (W) du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l'administration; ordonnance (Bxl) du 30 mars 1995 relative à la publicité de l'administration; décret (D) du 16 octobre 1995 relatif à la publicité des documents administratifs; décret (C.o.c.o.f) du 11 juillet 1996 relatif à la publicité de l'administration; ordonnance (C.c.c.) du 26 juin 1997 relative à la publicité de l'administration; loi du 12 novembre 1997 relative à la publicité de l'administration dans les provinces et les communes; décret (W) du 7 mars 2001 relatif à la publicité de l'administration dans les intercommunales wallonnes.

                Textes propres à l'information environnementale: décret (W) du 13 juin 1991 concernant la liberté d'accès des citoyens à l'information relative à l'environnement; ordonnance (Bxl) du 29 août 1991 sur l'accès à l'information relative à l'environnement dans la Région de Bruxelles-Capitale.

[22]             En communauté française, une «demande» tout court; en communauté flamande, un «recours».

[23]             Il en existe une pour l'Etat fédéral et une par entité fédérée, sauf en communauté germanophone. Elle n'a pas de dénomination en Flandre, où il est simplement question d'«instance de recours».

[24]             En matière environnementale uniquement, la commission d'accès aux documents administratifs de la région bruxelloise se prononce par voie de décision.

[25]             Conseil d'Etat, arrêts no 83.593 et no 83.594, 23 novembre 1999, Tournemenne et Kreutz; no 84.102, 14 décembre 1999, Nysthoven; no 84.766, 19 janvier 2000, Jacqmin; no 86.150, 21 mars 2000, Blondeau:

                «Considérant qu'il ne ressort ni de la loi du 11 avril 1994 ni de ses travaux préparatoires que les procédures organisées par celle-ci se superposeraient à celles qui sont applicables devant les juridictions administratives et judiciaires, selon les textes propres à chacune d'elles; que l'article 23, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, dispose que la section d'administration a le droit de se faire communiquer par les autorités visées à l'alinéa 1er et les administrations tous documents et renseignements relatifs aux affaires sur lesquelles elle est appelée à statuer; que les exceptions portées par la loi du 11 avril 1994 ne sauraient être utilement invoquées pour soustraire à l'examen du juge de l'excès de pouvoir les documents qui lui seraient indispensables pour apprécier le fondement d'un moyen d'annulation; que les inconvénients que susciterait pour une autorité administrative le dépôt de certaines pièces ne peuvent justifier qu'une bonne administration de la justice soit entravée».

[26]             L.c.c.e., article 23, alinéa 2.

[27]             Au sujet de la corrélation entre droit d'accès aux documents administratifs et dépôt au dossier administratif produit devant le Conseil d'Etat, la jurisprudence a tenu des propos parfaitement contradictoires. Tantôt le Conseil d'Etat a considéré «que les documents visés par la loi du 11 avril 1994 couvrent notamment ceux qui font partie des dossiers administratifs qui sont déposés devant le Conseil d'Etat» (arrêt no 62.548, 14 octobre 1996, Simenon), ce qui laisse entendre que le champ d'application de la loi couvre tous les documents qui font partie d'un dossier administratif, plus d'autres. Ailleurs, il a jugé «que les exceptions portées par la loi du 11 avril 1994 ne sauraient être utilement invoquées pour soustraire à l'examen du juge de l'excès de pouvoir les documents qui lui seraient indispensables pour apprécier le fondement d'un moyen d'annulation; que les inconvénients que susciterait pour une autorité administrative le dépôt de certaines pièces ne peuvent justifier qu'une bonne administration de la justice soit entravée» (arrêts no 83.593 et no 83.594, 25 novembre 1999, Tournemenne et Kreutz; no 84.102, 14 décembre 1999, Nysthoven; no 84.766, 19 janvier 2000, Jacqmin; no 86.150, 21 mars 2000, Blondeau).

[28]             Voir les arrêts cités in fine de la note précédente.

[29]             Conseil d'Etat, arrêt no 81.741, 9 juillet 1999, Scheppers de Bergstein.

[30]             Conseil d'Etat, arrêt no 163.733, 18 octobre 2006, s.c.r.l. Jansen Frères, à propos d'une dénonciation à l'origine d'investigations fiscales:

                «...ainsi qu'il l'expose dans le rapport, l'auditeur chargé de l'instruction s'est fait produire ce document, mais ne l'a pas versé au dossier, tout en le tenant à la disposition des seuls membres de la chambre compétente;

                Considérant d'une part, qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi; que, d'autre part, si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l'instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige; qu'en se faisant produire la dénonciation dont la communication est demandée, et en la tenant à la disposition du Conseil, l'auditeur rapporteur a judicieusement usé du pouvoir de se faire communiquer tout document relatif aux affaires dont le Conseil d'Etat est saisi...; que l'entorse au principe du contradictoire que son non-dépôt au dossier emporte en ce que la requérante n'a pu y avoir accès, est une conséquence inéluctable du caractère secret que la loi permet à la partie adverse de lui conférer, caractère qui, en raison de la règle de droit administratif connue sous le nom de "privilège du préalable", prévaut jusqu'à l'annulation éventuelle de sa décision».

[31]             Cons. Et. de France, arrêt du 23 décembre 1988, Banque de France c/ Huberschwiller:

                «Considérant d'une part, qu'il appartient au juge administratif de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi; que, d'autre part, si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l'instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige;

                Considérant que l'état de l'instruction ne permettant pas d'apprécier le bien-fondé du moyen ci-dessus invoqué par la Banque de France pour justifier son refus, il y a lieu d'ordonner avant-dire-droit, tous droits et moyens des parties demeurant réservés, la production des deux rapports dont s'agit à la sous-section de la section du contentieux chargée de l'instruction de l'affaire sans que communication de ces pièces soit donnée à M. Huberschwiller, pour être ensuite statué ce qu'il appartiendra sur les conclusions de la Banque de France».

[32]             Conseil d'Etat, arrêts no 83.593 et no 83.594, 25 novembre 1999, Tournemenne et Kreutz; no 84.102, 14 décembre 1999, Nysthoven; no 84.766, 19 janvier 2000, Jacqmin; no 86.150, 21 mars 2000, Blondeau.

[33]             Exception à la publicité prévue par l'article 6, § 1er, 8, de la loi belge du 11 avril 1994.

[34]             Par exemple pour reprendre une activité industrielle que des pouvoirs publics cèdent (arrêt no 165.959, 14 décembre 2006, s.a.Telenet).

[35]             Voir Pierre-Olivier DEBROUX, «La confidentialité des secrets d'affaires et les droits de la défense dans le contentieux administratif économique», R.D.C. 2007, pp. 553 à 564).

[36]             Conseil d'Etat, arrêt no 164.028, 24 octobre 2006, s.a. Varec.

[37]             C.const. arrêt no 118/2007, 19 septembre 2007.

[38]             Cour européenne des droits de l'homme, 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne.

[39]             Cour européenne des droits de l'homme, 23 mars 2006, Vitiello c. Italie.

[40]             C.J.C.E. 14 février 2008 (aff. C-450/06), Varec SA c. Belgique.

[41]             Directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services; directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures; directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux.

[42]             Article 7, § 1er, de la directive 93/36, modifiée par la directive 97/52/CE.

[43]             Article 15, paragraphe 2, de la directive 93/36.

[44]             La Cour renvoie aux arrêts du 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 28, et du 19 mai 1994, SEP/Commission, C-36/92 P, Rec. p. I-1911, point 37. L'article pertinent du Traité de Rome était l'article 214, qui est devenu l'article 287 de la version consolidée du traité instituant la Communauté européenne.

[45]             Cour européenne des droits de l'homme, 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne.

[46]             Cour européenne des droits de l'homme, 23 mars 2006, Vitiello c. Italie.

 


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