Numărul 1 / 2007

 

 

Comment peut-on être civiliste ? Ou le paradigme de Michel Grimaldi

 

 

En prenant la décision d'octroyer le titre de doctor honoris causa à Monsieur le professeur Michel GRIMALDI, l'Université Babeş-Bolyai a pris une heureuse et mémorable décision. Cela dit que notre université s'est enfin décidé à rendre hommage au droit civil tout entier, en arrachant le voile de l'indifférence qui s'est déposé sur la signification de la force civilisatrice du droit des particuliers capables de rendre civile, à savoir policée, notre société.

Tandis que les mathématiques décrivent un monde sans être et le droit public un monde dédié à un être toujours désirable mais plutôt incontournable, l'Etat, le droit civil fut forgé par ses sujet et pour ses sujets. Le droit civil se présente comme un corpus de valeurs normatives centrées sur la réification d'un monde patrimonialement ordonné par ses sujets soucieux à leur liberté ayant aussi comme but la liberté d'autrui. L'animus du droit civil relève de la liberté personnelle de ses sujets en mettant à portée de la société des moyens pour se développer patrimonialement.

Voici les deux axes autour desquels le droit civil s'édifie : la personne humaine et son avoir. La personnalité juridique de l'individu humain est assurée par le système des capacités civiles, exportées et utilisées ensuite dans tout le système de droit, que ce soit public ou privé. Le parangon de la capacité civile reste la clef de voûte de l'autonomie juridique de tout système moderne de droit, en assurant ainsi l'autonomie des individus, leur liberté. Aussi qu'ainsi peut-on assurer la base humaine du droit rendu à la société moyennant les énergies dégagées par les travaux des particuliers. La vocation contemplative du droit civil réside du fait qu'il a toujours reconnu et défendu une vérité indéniable : c'est la personne qui fait le droit, qui rend juridique son comportement social.

Le droit civil est naturaliter universel et muni d'un esprit propre et autonome. La vocation universelle du droit civil réside du fait qu'il s'applique à toute affaire des particuliers, aussi qu'il observe la personnalité des tous. C'est l'intérêt patrimonial particulier qui fait avancer la société, en y édifiant la base patrimoniale respective. Les affaires des particuliers, sur lesquelles escompte l'Etat pour forger la fortune publique, se déroulent selon des lois civils, pas publiques. Mais ces affaires patrimoniales doivent avoir des titulaires et le droit civil l'assure. La personnalité des sujets de droit civil n'est qu'une clef technique de lire juridiquement l'humanité intrinsèque du droit moderne. L'individu et ses appareils juridiques patrimoniaux peuvent ainsi se débarrasser de tout puissance venant d'extérieur. L'extérieur, à savoir le droit public, doit se contenter soit de limiter la capacité naturelle de l'individu - en forgeant ainsi les incapacités civiles, qui ne sont que de limites publiques des pouvoirs naturels du sujet civil, soit de bricoler au bord du droit civil, en mettant en place des droits objectifs extraordinaires, tels que le droit de la consommation, de la distribution, droit social, bancaire etc.

Autrement dit, la vocation universelle du droit civil c'est la conséquence de son humanité immanente. Chaque fois qu'une branche spéciale de droit mire certains intérêts spéciaux séquentiels (commerciaux, bancaires, de la consommation etc.), la norme juridique spéciale perd de son amplitude et de sa vocation universelle, en décrivant un cercle moins vaste que celui civil originaire.

Les branches postmodernes du droit privé, mélange idéologique des fins juridiques privées suivies à des instruments relevant de la politique publique, mettent en exergue la fragilité du droit privé postmoderne, qui se trouve en quête d'une impossible solution : faire du droit privé à l'aide des moyens de droit public.

Les fonctions et le spécifique du droit civil ont mené Portalis - il y a deux siècles, dans son discours préliminaire sur le Code civil des Français, à soutenir: « De bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir; elles sont la source des moeurs, le palladium de la prospérité, et la garantie de toute paix publique et particulière : si elles ne fondent pas le gouvernement, elles le maintiennent ; elles modèrent la puissance et contribuent à la faire respecter, comme si elle était la justice même. Elles atteignent chaque individu, elles se mêlent aux principales actions de la vie, elles le suivent partout ; elles sont souvent l'unique morale du peuple, et toujours elles font partie de sa liberté : enfin, elles consolent chaque citoyen des sacrifices que la loi politique lui commande pour la cité, en le protégeant, quand il le faut, dans sa personne et dans ses biens, comme s'il était, lui seul, la cité tout entière. »

Mais ces principes, règles, valeurs et lois civiles, qui constituent le corps normatif du droit civil, doivent être animés afin que l'on puisse parler d'un système de droit civilisateur, approprié à rendre policée une nation qui s'en sert. L'âme du droit civil c'est la raison et le sens des choses qui s'abritent dans l'ordre de ce monde. L'ordre inné qui attend d'être découvert et mis en valeur par les biais des principes qui inspirent le juriste en quête du sens des choses. L'âme du droit civil existe en soi-même, étant en état latent et s'exprimant dans et par les valeurs nomothètes des principes civils. Mais ainsi que la belle endormie, ces principes, leur âme, doivent être ressuscités par des personnes qui ont l'autorité de commander : lève-toi et marche ! Pour commencer ainsi la longue marche des idées et des idéaux civils vers leur finalité pratique, sociale et économique. Mais, l'ordre des choses requiert aussi que quelqu'un ait la capacité et la force d'emprunter son esprit au système des principes civils. Il convient d'animer d'un souffle personnel l'échafaudage idéel pour que le sens propre du droit civil nous se dévoile. De plus, celui qui le fait doit avoir du souffle, du savoir-faire et un esprit approprié. L'histoire intellectuelle du droit civil français nous montre que, depuis six siècles, la personne idoine à animer le droit civil n'a jamais manqué au moment opportun.

Chers collègues,

Aujourd'hui c'est Monsieur le professeur Michel GRIMALDI qui le fait. C'est lui qui incarne l'esprit du droit civil en France et ailleurs. Le professeur GRIMALDI représente l'esprit à la fois technique et moral, dont le droit civil a tant besoin à cette heure. Techniquement, le professeur GRIMALDI détient tous les moyens et les aptitudes pour pousser en avant le droit civil du vingt unième siècle. Ses préoccupations aussi que son œuvre le démontrent. Spécialiste de première marque en droit patrimonial de la famille, le professeur GRIMALDI maîtrise le droit de succession, les libéralités, les régimes matrimoniaux et leur assiette pratique, représentée par le droit notarial. Le doit patrimonial de la famille trouve, en la personne du professeur GRIMALDI, la forme d'expression la plus affinée qui imbrique le style et le fond.

Sa thèse, La nature juridique de l'institution contractuelle, 1977, demeure la preuve de son esprit d'innovation, en réussissant une présentation autant claire qu'exhaustive d'une problématique dont la recherche exige une étude approfondie et sagace de la matière successorale, tout en connaissant aussi en détail le droit civil général. Son effort intellectuel se poursuit et son traité de Successions est couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques de France, en 1996, par le prix Jean-Baptiste Chevalier. La même Académie, en 2000, lui octroie le prix Dupin Aînépour l'ouvrage Libéralités, Partages d'ascendants, en consacrant définitivement la personne et l'œuvre du professeur GRIMALDI en lice scientifique française.

Le Professeur n'épargne point ses efforts et des dizaines d'articles de droit civil apparaissent en revues scientifiques réputées, telles que : Défrenois, J.C.P., Revue trimestrielle de droit civil, Droit & Patrimoine, Les petites affiches, afin d'éclaircir les juristes praticiens et enseignants. Depuis sa chaire, le Professeur sème la science pour que la jeune génération puisse trouver la vraie voie vers l'esprit et la technique du droit civil moderne, ici étant lieu de souligner que le Professeur accomplit l'office de directeur du Diplôme d'Etudes Supérieures Spécialisées de droit notarial et du Centre d'Etudes du Patrimoine Familial, toujours au sein de l'Université Panthéon-Assas, à savoir Paris II, dont il est aussi issu. Son activité académique déployée à l'Université Panthéon-Assas est doublée des missions d'enseignement auprès du Centre de formation à la profession de notaire de Paris et du Centre sino-français d'échanges juridiques et notariaux de Shanghaï.

L'activité d'enseignement du professeur GRIMALDI est heureusement jointe à une administrative-académique. Ainsi, le Professeur est membre de la commission de spécialistes de la Faculté de droit et science politique de l'Université Paris- Nord (Paris XIII), membre du jury d'admission à l'Ecole nationale d'Administration (ENA), du jury de sortie de l'Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) et membre du Conseil d'administration de l'Association Rencontres Notariat-Université. Au sein de son Université d'origine, Paris II, Monsieur GRIMALDI exerce d'ailleurs les fonctions de président de la Commission et de la section de droit privé, étant aussi membre du Conseil d'administration de la dite université.

A côté de ces activités théoriques et administratives, toutes liées à la vie universitaire, le professeur GRIMALDI s'est toujours impliqué aussi dans la vie pratique du droit. C'est ici la place de rappeler qu'il préside la Commission de réforme législative du droit des sûretés dont avait été issue l'Ordonnance de mars 2006 relative aux sûretés. Cet acte législatif, portant réforme sur le système des sûretés tout entier, démontre la force interdisciplinaire maîtrisée par le Professeur, parce que cette matière s'éloigne bien du droit patrimonial de la famille, domaine de prédilection du Professeur.

Si toutes ces occupations du Professeur sont bien attachées à la vie juridique française, où Monsieur GRIMALDI est une personnalité de premier rang, il convient aussi de souligner le rayonnement international de son effort scientifique. Ainsi, au premier chef, il faut rappeler que le professeur est, depuis 1999, le président de l'Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française. Cette association est le forum international des civilistes qui veulent perpétuer les idées et les idéaux civilisateurs du droit civil français à travers du monde. Représentants de tous les continents se joignent sur l'égide de l'Association Henri Capitant pour débattre des thèmes scientifiques chaque année lors des journées internationales qui s'organisent. Ces journées scientifiques se constituent en un vrai régal de la science du droit civil et c'est uniquement l'énergie et le savoir-faire du président de l'Association qui peuvent rendre possible les réunions annuelles. Et, à propos de ces entretiens scientifiques, je ne peux manquer l'occasion de rappeler là que l'Université Babeş-Bolyai doit se préparer pour accueillir, en 2010, cette prestigieuse réunion, moment où les juristes roumains donneront la vraie preuve de leur maturité scientifique.

Au deuxième chef, la reconnaissance internationale de son activité est concrétisée par le fait que Monsieur GRIMALDI fut, au fil des années, professeur invité à maintes Facultés de droit étrangères, telles que celle de Fribourg, (Suisse), de Padoue, (Italie), de Louisiana State University, (Etats-Unis), d'Osaka, (Japon) et de Cluj. L'importance de ses missions scientifiques fut couronnée par les titres de professeur honoris causa que Monsieur GRIMALDI a obtenus de la part de l'Université de Mendoza, (Argentine, 1998), de l'Université Garcilaso de la Vega, Lima, (Pérou, 2000), étant aussi nommé docteur honoris causa de l'Université de Liège, (Belgique, 2003).

Chers collègues,

Lors d'une conférence, le professeur GRIMALDI nous rappelait que « L'intention libérale est de l'essence même de la libéralité. Toute libéralité, donation ou testament, suppose la réunion d'un élément matériel et d'un élément moral, d'un appauvrissement sans contrepartie et d'une intention libérale. Pas de donation sans animus donandi, pas de testament sans animus testandi. » Vu le gaspillage des forces et énergies, que le Professeur fait pour mieux expliquer et rendre pratique l'esprit du droit civil, il m'est permis de remarquer que l'animus civile actuel a trouvé son corps dans l'œuvre de GRIMALDI, un animus toujours libéral, sans qu'il attende aucune contrepartie, un esprit répandu dans tous les coins du monde juridique au bénéfice de tous nous autres.

Attendu que son activité et son œuvre présentent un intérêt scientifique immense qui outrepasse largement l'échiquier du droit privé français, vu que le soutien que le professeur GRIMALDI a toujours accordé au développement de l'enseignement juridique francophone en Roumanie, du fait que sa pensée représente un flambeau à suivre scientifiquement afin de moderniser la pratique et la théorie du droit civil contemporain, la Faculté de Droit de l'Université Babeş-Bolyai de Cluj est fière d'avoir proposé Monsieur le Professeur Michel GRIMALDI au titre de doctor honoris causa !

Avant de finir, il convient de souligner que cette laudatio n'est pas du tout un simple exercice d'admiration dû à une seule personnalité, mais un miroir de la réalité qui se constitue aussi dans un appel adressé à mes collègues de suivre la voie royale percée par Michel GRIMALDI, pour essayer d'édifier, aussi chez nous, un droit civil humain et démocratique.

 

Fait à Cluj, le 29 mai 2007

Paul Vasilescu

Doyen

 

 


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