Numărul 2 / 2005

 

LE PROBLÈME DE LA PRIMAUTÉ DU DROIT COMMUNAUTAIRE EN MATIÈRE DE DROITS FONDAMENTAUX

Adrian Eugen HOLLAENDER,

Professeur,

International University Vienna (Autriche) et

professeur Jean Monnet, Universitatea Babes-Bolyai Cluj-Napoca (Roumanie)

 

I.) INTRODUCTION

Selon une expression de Walter Hallstein, l'Union Européenne est une Union de droit (« Rechtsgemeinschaft »). Cette expression souligne la nature de l'intégration européenne : l'Union europénne est une création du droit et l'intégration européenne progresse par le droit. Ce caractère explique pourquoi l'application uniforme et la mise en œuvre correcte du droit européen sont d'une importance cruciale.

À l'exception de certaines politiques - concurrence, aides d'État, service public - mises en œuvre directement par la Commission, l'Union Européenne fonctionne largement sur un modèle fédéraliste où la prise de décision et la mise en œuvre sont exercés par des niveaux politiques différents. En termes institutionnels, la mise en œuvre du droit incombe de façon générale aux administrations nationales. Les traités confèrent à la Commission le rôle-clé de gardienne des traités. Lorsqu'elle suspecte une infraction au droit, elle peut ouvrir une procédure d'infraction contre un État-membre, saisir la Cour de Justice contre celui-ci qui, au final, peut se voir infliger une amende. En mai 2004, dix nouveaux pays sont entrés dans l'Union européenne. Il est largement reconnu que le « grand élargissement » représente pour les États-membres actuels comme pour les nouveaux un défi institutionnel et politique. Ainsi, l'Union Européenne a essayé de préparer sa machine décisionnelle au quasi-doublement des États-membres. Mais l'effectivité de la gouvernance est aussi menacée quand les États-membres ne sont pas en mesure d'appliquer correctement les règles communes. Ce qui est surprenant, ce sont les effets de l'élargissement sur l'application du droit restent à ce jour relativement peu étudiés, d'autant plus que, pour la première fois dans l'histoire de l'élargissement, l'Union Européenne a pris en considération le respect des règles communes comme critère d'adhésion. En plus de transposer l'acquis communautaire, l'Union Européenne a obligé les pays candidats d'entreprendre des réformes administratives, allant des capacités sectorielles jusqu'à la réforme de la fonction publique.

À la base de cette nouvelle obligation était le concept que le respect des règles communes nécessite non seulement une capacité administrative suffisante pour appliquer le droit dans les différents secteurs politiques, mais, de manière plus générale, une administration moderne et conforme aux normes de l'État de droit. Tout au long de l'élargissement, les réformes administratives ont occupé une place importante sur l'agenda européen.

Malgré une volonté affichée en faveur des réformes administratives, leur succès est pourtant mitigé. Au moment de l'élargissement de l'Union Européenne, des réformes-clé sectorielles n'ont pas abouti, les systèmes de la fonction publique restent marqués par la politisation de l'administration et la pérsistance de la corruption. Ils font face à des problèmes de fragmentation et de ressources humaines insuffisantes et, finalement, la coordination de la politique européenne reste dans certains pays une cible mouvante. En même temps, il est devenu de plus en plus évident que la mise en œuvre du droit communautaire réclame plus que l'application purement administrative d'une volonté politique préalablement fixée.

Au contraire, la fin du consensus permissif sur l'intégration européenne, les discussions sur la légitimité de la gouvernance européenne et sur la perte d'influence des parlements nationaux causée par cette l'intégration ont rappelé la signification politique de la phase « post-décisionnelle » et ont suscité une méfiance croissante des Etats membres envers un renforcement des compétences européennes pour la mise en œuvre et un combat pour plus de marges nationales dans l'application du droit. La situation après l'élargissement est donc caractérisée par une grande différence en termes de capacité de la mise en œuvre du droit européen et par une complexité croissante de la phase post-décisionnelle. Pour cela, il faut étudier les risques que contient cette situation pour la gouvernance de l'Union élargie ainsi que les réformes nécessaires pour assurer l'effectivité de cette gouvernance dans l'avenir.

Je rappelle brèvement les conditions des réformes admi-nistratives dans les pays d'Europe centrale et orientale et les programmes européens de soutien - Phare, Ispa et Sapard - à ces reformes. Des facteurs internes et européens sont responsables des résultats mitigés de ces réformes, dont l'interaction a fait émerger une situation où l'adoption formelle de l'acquis communautaire a été largement favorisée par rapport à la mise en place des structures nécessaires à son application.

Sur ces bases, il est possible de préciser les risques que représente l'élargissement pour le respect du droit.

Cela a une double perspective : celle des nouveaux États-membres et celle des États-membres actuels. Concernant les premiers, il y a les risques de la phase de transition pendant laquelle les pays candidats poursuivront leur adaptation à l' Union Européenne tout en étant déjà sujets au contrôle de l'application du droit.

Cette situation contient des risques considérables, qui ont le potentiel de réduire l'efficacité de la gouvernance dans l'Europe élargie. A défaut des structures requises, le risque de la non-absorption des fonds voire de suspension des paiements peuvent retarder les gains de l'adhésion des nouveaux états membres.

II.) QUELLE EST ALORS L'ARTICULATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE ENVERS LE DROIT NATIONAL?

C'est premièrement le principe de l'applicabilité directe du droit communautaire.

La Cour de Justice des Communautés Européennes l'a affirmé clairement, pour la première fois dans l'arrêt du cinq février mil neufcent soixante-trois (05/02/1963) dans le cas Van Gend en Loos versus l'administration fiscale néerlandaise: "Le droit communautaire, indépendant de la législation des états membres, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique".

Depuis cet arrêt, le critère de l'applicabilité directe a évolué. A l'origine, pour être considérée d'applicabilité directe, une disposition communautaire devait être claire et précise, complète et juridiquement parfaite, et énoncer une obligation inconditionnelle.

En résumé, l'applicabilité directe était liée au fait que l'application de la disposition communautaire ne nécessitait aucune autre mesure nationale ou communautaire.

Cette exigence a été abandonnée par la Cour qui a admis que des obligations pouvaient avoir une applicabilité directe à condition que les états ou les institutions chargées de prendre des mesures d'application ne disposent d'aucune appréciation discrétionnaire pour ce faire.

Les pouvoirs législatifs du Conseil et de la Commission résultent principalement des articles 189 à 192 du traité de l'Union européenne. La législation communautaire, adoptée par le Conseil, - ou par le Parlement et le Conseil dans la procédure de codécision - peut se présenter sous la forme des actes juridiques suivants:

  • Règlements qui sont directement applicables à leurs destinataires sans transcription dans le droit national ;
  • Directives qui lient les Etats membres quant au résultat à at-teindre, en laissant aux instances nationales (au moins en cas normal) la compétence sur la forme et aux moyens à utiliser ;
  • Décisions qui sont intrasecment obligatoires pour les destinataires qu'elles désignent. Une décision peut s'appliquer à un ou à tous les Etats membres, à des entreprises ou à des particuliers ;
  • Recommandations et avis dont l'application n'est pas obligatoire.

III.) LE PRINCIPE DE LA PRIMAUTE' DU DROIT COMMUNAUTAIRE

L'applicabilité directe d'une disposition du droit communautaire pose une question fondamentale: que se passe-t-il quand une telle disposition est en contradiction avec le droit national ?

Le droit communautaire écrit qui est en force jusqu'au présent (Mai 2005) ne contient aucune disposition éxplicite à cet égard.

C'est la Cour de Justice des Communautés Européennes qui a reconnu, malgré l'avis de certains Etats-membres, le principe de la primauté du droit communautaire.

Les Etats-membres ont ainsi définitivement transféré des droits souverains à une communauté qu'ils ont créée et ils ne peuvent pas revenir ultérieurement sur ce transfert par des mesures unilatérales incompatibles avec le concept de «communauté». C'est également valable pour les législations nationales antérieures. La Cour de Justice a également confirmé cette primauté du droit communautaire sur le droit constitutionnel interne des Etats.

Quel est le principe dogmatique de la Primauté du droit communautaire ?

Il a été affirmé avec force par la la Cour de Justice des Communautés Européennes dans le célèbre arrêt Costa/Enel, du quinze Julliet mil neuf cent soixante-quattre (15/07/1964) (aff.6/64,rec.1141,1158 et s.):

"A la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la Communauté Economique Européenne a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des états membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions;

en effet, en instituant une communauté de durée illimitée, dotée d'attributions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représentation internationale et plus précisément, de pouvoirs réels issus d'une limitation de compétence ou d'un tranfert ou d'un transfert d'attributions des états à la Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes;

cette intégration de dispositions au droit de chaque pays membre qui proviennent de source communautaire, et plus généralement les termes et l'esprit du traité, ont pour corollaire l'impossibilité pour les états de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait lui être opposable;

la force exécutive du droit communautaire ne peut, en effet, varier d'un état à l'autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité visés à l'article 5.2 ni provoquer une discrimination interdite par l'article 7;

les obligations contractées dans le traité instituant la Communauté ne seraient pas inconditionnelles mais seulement éventuelles, si elles pouvaient etre mises en cause par les actes législatifs futurs des signataires; (...)

la prééminence du droit communautaire est confirmée par l'article 189 aux termes duquel les règlements ont valeur "obligatoire" et sont "directement applicables dans tout état membre";

cette disposition qui n'est assortie d'aucune réserve, serait sans portée si un état pouvait en annuler unilatéralement et annihiler les effets par un acte législatif opposable aux textes communautaires;

il résulte de l'ensemble de ces éléments, qu'issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc,en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même;

le transfert opéré par les états, de leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraine donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté".

Voilà, la naissance du principe de la primauté du droit communautaire et de la dérogation de tout droit national en opposition avec le droit communautaire.

La Cour a précisé dans un arrêt ultérieur, à savoir celui du neuf mars de mil neuf cent soixante-dix-huite (09/03/1978), dans le cas Simmenthal versus Administration des finances de l'état (aff.106/77, rec. 629) les conséquences pratiques de la primauté du droit communautaire:

"Le juge national chargé d'appliquer, dans la cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes,en laissant au besoin inappliquée, de sa propre initiative, toute disposition contraire de la législation nationale, meme postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci".

En corroboration de la jurisdiction de la Cour de Justice, le principe de la primauté du droit communautaire (qui joue aussi bien pour le droit primaire que pour le droit dérivé) est aussi éxplicitement prévu dans l'article I-6 de la future Constitution Européenne.

IV.) LA DIVERGENCE DES JURISDICTIONS COMMUNAUTAIRES ET NATIONALES A PROPOS DE LA PRIMAUTE' DU DROIT COMMUNAUTAIRE

C'est depuis longtemps que la primauté du droit communautaire fait l'objet d'une appréciation divergente entre les juridictions communautaires et nationales.

La Cour Constitutionnelle allemande, dans son célèbre arrêt « Solange I », affirme qu'elle exercera un contrôle des normes communautaires par rapport aux Lois Fondamentales allemandes aussi longtemps que les droits fondamentaux ne seront pas efficacement protégés au sein de la Communauté.

Par la suite, dans l'arrêt « Solange II », la Cour Constitutionnelle informe qu'elle cessera tout contrôle de conformité aussi longtemps qu'elle estimera qu'une protection efficace des droits fondamentaux sera garantie.

Les raisons de cette suspension temporaire du contrôle de la Cour Constituionelle sont dues, non seulement à l'élection au suffrage direct du Parlement Européen, mais aussi au développement de principes généraux du droit communautaire, par la Cour de Justice de l'Union Européenne.

Quant aux droits fondamentaux, il y a une abondante jurisdiction de la Cour de Justice de l'Union Européenne:

En mil neuf cent soixante-quatorze (1974), dans l'affaire Nold, les juges affirment que la Communauté est tenue de respecter les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Cour Europeénne des Droits de l'Homme. L'arrêt Nold réaffirme également le principe de suprématie du droit communautaire sur le droit national. Il en découle que les droits fondamentaux, tels qu'ils sont protégés par les États-membres, peuvent être annulés par une politique communautaire et ce, quelle que soit la nature de la norme protectrice.

En effet, dans l'arrêt Internationale Handelsgesellschaft, les juges soutiennent que "l'invocation d'atteintes portées, soit aux droits fondamentaux tels qu'ils sont formulés par la Constitution d'un État-membre, soit aux principes d'une structure constitutionnelle nationale, ne saurait affecter la validité d'un acte ou son effet sur le territoire de cet État".

Le développement de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne, concernant les droits fondamentaux, apparaît donc comme un moyen de maintenir sa suprématie sur le droit national et notamment sur le système de protection des droits.

De toute facon, certaines cours constitutionnelles des États-membres ont emis des critiques quant à la faiblesse de la protection des droits fondamentaux au sein de la Communauté, ce qui donne l'impression que des États-membres craignaient que la Communauté ne soit pas suffisamment liée par les droits fondamentaux. Certains arrêts des cours nationales reflètent évidemment l'inquiétude des États-membres à l'idée que les institutions de la Communauté puissent ne pas respecter les droits fondamentaux, dans l'exercice de leurs activités.

En effet, à l'origine, la délégation de compétences au profit de la Communauté s'est faite exclusivement dans le domaine économique, objectif premier de la Communauté, et, selons l'opinion de certaines cours constitutionelles, comme avant-tout celle de l'Allemagne, le principe de primauté du droit communautaire sur le droit national ne s'applique qu'aux domaines dans lesquels les États membres ont consenti à déléguer l'exercice de leur souveraineté.

Si on rapelle encore une fois la position de la Cour Constitutionnelle allemande, dans ses célèbres arrêts « Solange I » et « Solange II » , à savoir qu'elle exercera un contrôle des normes communautaires par rapport aux lois fondamentales nationales aussi longtemps que les droits fondamentaux ne seront pas efficacement protégés au sein de la Communauté (« Solange I ») et qu'elle cessera tout contrôle de conformité aussi longtemps qu'elle estimera qu'une protection efficace des droits fondamentaux sera garantie (« Solange II »), on voit clairement que la théorie de l'essence du droit constitutionel national résistante à l'intégration, notamment en matière de droits fondamentaux, domine certaines aspects de la jurisdiction constitutionelle - et cela en disharmonie avec l'interprétation de l'acquis communautaire par l'Union Européenne et la Cour Européenne qui demandent une inconditionelle et totale primauté et suprématie du droit communautaire.

Du point de vue pragmatique, on pourrait continuer de chercher à échapper à cette contradiction.

Du point de vue légal, elle réste quand même éxistante et pourrait devenir virulente à tout moment!

 

 


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