Numărul 2 / 2005

 

L'ARBITRAGE INTERNATIONAL DANS LE CONTEXTE DU REGLEMENT (CE) NO 1/2003 RELATIF A LA MISE EN ŒUVRE DES REGLES DE CONCURRENCE PREVUES AUX ARTICLES 81 ET 82 DU TRAITE

Ion DELEANU

Professeur

Faculté de Droit

Université Babes-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie

 

Résumé : Certains atouts de l'arbitrage peuvent acquérir des caractères positifs particuliers quand il s'agit des litiges qui posent des problèmes liés au droit de la concurrence. Tout de même, les coordonnées juridiques de la rencontre du monde de l'arbitrage international et celui du droit communautaire restent difficiles à préciser. Notre analyse propose quelques solutions dans ce domaine sur la base des concepts du droit international privé, des dispositions du Règlement (CE) nr. 1/2003, des textes adoptés en droit communautaire de la concurrence dans le cadre du « paquet modernisation » et de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

On accepte volontiers que l'arbitrage est le mode usuel de règlement des différends du commerce international. Plusieurs raisons expliquent cette place privilégié de l'arbitrage : la possibilité reconnue aux parties de choisir leurs arbitres, la célérité et la confidentialité de l'arbitrage, les règles souples de procédure, la possibilité d'obtenir la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales selon les dispositions favorables des conventions internationales, spécialement de la Convention de New York du 10 juin 1958. Parmi ces atouts de l'arbitrage, certains peuvent acquérir des caractères positifs particuliers quand il s'agit des litiges qui posent des problèmes liés au droit de la concurrence: l'application du droit de la concurrence implique une évaluation complexe qui peut être mieux maîtrisée par l'arbitre que par le juge; le délai dans lequel l'arbitre devra se prononcer est forcément plus court que le délai dans lequel pourra intervenir une décision du juge. Tout de même il ne suffit pas de constater l'existence des prémisses pour la rencontre du monde de l'arbitrage international et celui du droit communautaire. Les difficultés surgissent quand il faut préciser les coordonnées juridiques de cette rencontre. Ni le Règlement (CE) no 1/2003, ni les textes adoptés dans le cadre du « paquet modernisation » ne font référence à l'arbitrage. D'ailleurs, la question de la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité peut recevoir des réponses différentes suivant qu'elle est posée à l'arbitre ou aux juridictions nationales.

En ce qui concerne l'arbitre, on se souvient que d'après l'arrêt Nordsee rendu le 23 mars 1982 par la Cour de justice des Communautés européennes, un tribunal arbitral ne saurait être qualifié de «juridiction d'un État membre» au sens de l'article 234 du Traité CE (ex art. 177)[1]. La jurisprudence Nordsee a été confirmée cette année par la Cour dans l'affaire Denuit.

Cette solution a été considérée comme décevante par certains auteurs[2] mais elle correspond à la nature de l'arbitrage qui est différente de la nature des tribunaux, la composante juridictionnelle s'ajoutant à une composante conventionnelle. La solution adoptée par la Cour de justice s'harmonise aussi avec les dispositions de l'article VII de la Convention de Genève de 1961 sur l'arbitrage commercial international qui prévoit qu'à défaut d'indications par les parties du droit applicable, les arbitres appliqueront la loi désignée par la règle de conflit que les arbitres jugeront appropriée en l'espèce.

En général, il n'est pas de l'intérêt de l'arbitre de se voir qualifier de juridiction d'un État parce que cela l'amènerait dans la situation d'appliquer le droit international privé du pays où est situé le siège de l'arbitrage. Sous cet aspect on ne peut que regretter que la Cour d'Arbitrage Commercial International de Bucarest applique constamment les règles de droit international privé roumain en qualité de loi du for.[3]

De plus, on peut observer que le droit communautaire de la concurrence s'attache au critère de la localisation des effets anticoncurrentiels sur le marché commun. On pourrait alors se demander quel arbitre serait habilité a saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle : L 'arbitre qui statue dans en État membre ? L'arbitre qui estime que les effets anticoncurrentiels sont susceptible à se produire sur le marché commun ? L'arbitre qui va rendre une sentence considérée comme sentence nationale dans un pays de l'UE ?

L'application uniforme du droit communautaire de la concurrence peut être assurée, comme le suggère la Cour de justice dans l'arrêt Nordsee, soit dans le cadre du concours que les juridictions nationales prêtent aux tribunaux arbitraux, soit dans le cadre du contrôle de la sentence arbitrale.

Principalement, cet objectif peut être atteint lorsque la juridiction nationale statue en annulation en vue de vérifier la conformité de la sentence à l'ordre public ou lorsqu'elle applique les dispositions légales pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères dans le pays d'accueil de la sentence.

En revanche, dans le cas des sentences nationales, le juge de l'exequatur exerce un contrôle sommaire de la sentence parce qu'il n'y aurait pas de raison à réitérer les motifs du recours en annulation. Même si la loi du pays où est demandée l'exécution de la sentence prévoit que le juge de l'exequatur doit citer les parties quand il a des doutes sur la régularité de la sentence et on accepte qu'il pourra refuser l'exequatur dans le cas où la sentence porte atteinte d'une manière flagrante à l'ordre public, la nature complexe des litiges qui posent des problèmes liés au droit de la concurrence, limite les possibilités offertes par une telle voie.

La mission d'amiable composition de la juridiction qui statue sur un recours formé contre une sentence arbitrale n'enlève pas à cette juridiction, conformément à l'arrêté « Almelo » de la Cour de justice, le droit de saisir la Cour d'une question préjudicielle.[4] La Cour considère, toutefois, que la juridiction nationale qui la saisit estime que la décision préjudicielle sollicitée est nécessaire pour rendre son jugement.[5] Bien sûr, dans ces conditions, les questions préjudicielles ne peuvent être posées d'une manière générale dans le cadre de la collaboration que le juge étatique prête à l'arbitrage.

Une autre voie par laquelle l'application uniforme du droit communautaire de la concurrence peut être assurée est celle des interventions de la Commission. Lorsqu'une juridiction nationale doit appliquer des règles de concurrence communautaire, elle peut d'abord chercher des indications dans la jurisprudence des juridictions communautaires ou dans les règlements, décisions, communications et lignes directrices de la Commission relatives à l'application des articles 81 et 82 du traité. Ces instruments peuvent être utilisés aussi par les arbitres. Lorsque ces instruments s'avèrent insuffisants, l'article 15 paragraphe 1er du Règlement (CE) no 1/2003 prévoit que les juridictions des États membres peuvent demander à la Commission de leur communiquer un avis au sujet des questions relatives à l'application des règles communautaires de concurrence. L'intervention de la Commission comme amicus curiae nous apparaît possible également dans le cadre de la procédure arbitrale. Nous croyons que la Commission pourra intervenir à la requête des arbitres, même s'il n'existe pas une requête des parties dans ce sens ou une partie s'y oppose. À leur tour, les parties auront la faculté de faire intervenir leurs propres experts.

Les arbitres sont tenus de respecter le caractère confidentiel de l'arbitrage.

D'autre part, la Commission n'est pas obligée de répondre aux questions des arbitres et, de toute façon, elle ne peut pas divulguer, selon l'article 28 du Règlement (CE) no 1/2003, les informations couvertes par le secret professionnel.

Notons aussi que la Communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 81 et 82 du traité prévoit que la Commission s'efforcera de fournir aux juridictions nationales l'avis demandé dans un délai de quatre mois à partir de la date de réception de la demande. En conséquence, il est à craindre que les arbitres devront suspendre l'instance pendant de longs mois, sans être sûrs d'obtenir une réponse de la part de la Commission.

Dans ces circonstances, on se rend compte que le risque d'une application non uniforme du droit communautaire de la concurrence et le risque que la politique de la Commission soit contournée en matière de concurrence sont bien réels.

Toutefois, l'initiative pour l'amélioration de cette situation appartient principalement, nous semble-t-il, aux États membres et aux autorités communautaires et non pas aux arbitres.

La démarche suivie par un arbitre statuant à Lausanne dans une affaire jugée sous l'égide de la Chambre de Commerce Internationale de Paris qui, sans aborder le problème de l'arbitrabilité et sans expliquer à quel titre il applique le droit communautaire, a vérifié la validité d'un contrat conclu entre une société française et une société italienne au regard de l'article 81 (ex. art. 85) du Traité de Rome nous paraît contestable.[6]

En vertu du principe compétence - compétence, régi par la loi applicable à la procédure arbitrale, l'arbitre se prononcera sur l'existence et sur la validité de la convention d'arbitrage sur la base des dispositions de la loi applicable aux conditions de fond et de forme de cette convention.

L'arbitrabilité du litige est soumise par un certain courant doctrinal à la loi régissant la convention d'arbitrage et par d'autres auteurs aux dispositions de la loi d'arbitrage du siège. En tout cas, le lieu d'exécution de la sentence arbitrale n'a pas une influence directe sur la question de la compétence des arbitres.

Progressivement, l'arbitrabilité des litiges soulevant une question de droit communautaire de la concurrence a été reconnue dans la plupart des États européens.[7]

La Cour suprême des États-Unis a également reconnu dans l'arrêt Mitsubishi l'arbitrabilité des litiges touchant à la législation antitrust américaine.[8]

Les règles communautaires de concurrence sont des règles d'ordre public parce qu'elles défendent des intérêts généraux. L'amélioration du bien-être des consommateurs et la répartition efficace des ressources ne sont pas simplement une affaire des particuliers. D'ailleurs, la Commission a rappelé dans le cadre de sa communication concernant la coopération entre la Commission et les juridictions nationales que les articles 81 et 82 du traité relèvent de l'ordre public.

Le fait qu'une réglementation d'ordre public est applicable au rapport de droit litigieux n'exclut cependant pas l'arbitrabilité du litige. En effet, il faut faire la distinction entre la réglementation en cause et l'objet du litige. Ainsi, les parties peuvent-elle, par exemple, convenir que le problème des dommages intérêts consécutifs à la nullité du contrat soit résolu par l'arbitrage.

L'arbitre pourrait-il prononcer la nullité même de l'accord litigieux ou lorsqu'il constate que le contrat est illicite devient-il incompétent? Le Règlement (CE) no 1/2003 n'évoque aucunement la nullité.

En ce qui nous concerne, nous nous rallions aux auteurs qui considèrent que l'arbitre doit aller jusqu'au bout et prononcer la nullité.[9] Nous croyons qu'il serait curieux de reconnaître que l'arbitre peut examiner la validité du contrat mais ne peut pas tirer les conclusions qui s'imposent si le contrat est illicite.

On peut observer aussi que selon la réponse apportée par la Cour de justice dans l'arrêt « Courage », tout particulier est en droit de se prévaloir en justice de la violation de l'article 81 paragraphe 1er, même lorsqu'il est partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sens de cette disposition.[10] Les objectifs liés à la sauvegarde de la concurrence à l'intérieur de la Communauté passent ainsi devant les considérations d'ordre moral !

Évidemment, la nullité peut s'étendre seulement à une partie ou à une clause du contrat si cette partie ou cette clause peut être séparée du reste du contrat.[11] Étant donné la composante conventionnelle de l'arbitrage, il n'est pas facile pour l'arbitre d'anéantir le contrat principal. Comme on la voit, le risque d'une application non uniforme du droit communautaire de la concurrence surgit à nouveau.

Dans le cas où l'on accepte que l'arbitre peut prononcer la nullité du contrat, il est sans importance que la question de la licéité est posée à titre principal ou à titre incident parce que la compétence des arbitres ne peut pas être aléatoire, en fonction de l'attitude d'une des parties : l'invocation de la nullité à titre principal ou à titre incident.

Constatant l'arbitrabilité du litige par rapport à la loi compétente, l'arbitre devra examiner les demandes des parties. Il se penchera sur ces demandes tenant compte de la loi applicable au contrat qui, dans la plupart des situations, régit également la clause compromissoire y incluse.

Quand la lex contractus est la loi d'un État membre, les règles communautaires de concurrence sont applicables parce que, conformément à l'arrêt « Flaminio Costa » de la Cour de Justice, le traité de la C.E. (ex. C.E.E.) a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres[12] et, de surcroît, les règles communautaires bénéficiant d'un effet direct plein engendrent des droits et des obligations à l'égard des particuliers et de leurs rapports interpersonnels.[13]

Toutefois le problème qui se pose est de savoir si l'arbitre peut ou doit soulever d'office un moyen tenant au droit communautaire de la concurrence.

Les opinions sont partagées. Selon certains auteurs il apparaît difficile d'admettre qu'il existe un devoir pour l'arbitre d'appliquer d'office le droit communautaire de la concurrence.[14] Par exemple, l'arbitre ne pourrait prononcer la nullité si aucune personne ne le lui demande ; ce serait statuer ultra petita.[15]

Pour d'autres auteurs, lorsque la législation sur la concurrence et la loi régissant le fond du litige appartient toutes deux au même ordre juridique, l'arbitre se trouve dans l'obligation d'appliquer cette législation.[16] Dans ce sens, un tribunal arbitral siégeant à Bruxelles et qui était appelé à trancher un litige né d'un accord soumis au droit portugais a décidé que le droit communautaire étant considéré d'ordre public international, il appartient au tribunal de se saisir d'office, même en l'absence de toute contestation de la part des parties.[17]

Il est vrai que si l'arbitre ignore le droit communautaire de la concurrence, la sentence peut faire l'objet d'un recours en annulation ou d'un refus d'exequatur dans un État membre parce que, selon l'arrêt « Eco Swiss » de la Cour de justice, une juridiction nationale saisie d'une demande en annulation d'une sentence arbitrale doit faire droit à une telle demande lorsqu'elle estime que cette sentence est effectivement contraire à l'article 81 du traité, dès lors qu'elle doit, selon ses règles de procédures internes, faire droit à une demande en annulation fondée sur la méconnaissance des règles nationales d'ordre public.[18]

En ce qui nous concerne, nous croyons que la loi applicable au contrat étant pour l'arbitre une loi étrangère, il n'est pas obligé de soulever d'office un moyen de droit communautaire de la concurrence pour le motif qu'il s'agirait d'une règle d'ordre public.

Cette assertion se vérifie aussi dans le cas de la Cour d'Arbitrage Commercial International de Bucarest qui applique la loi roumaine comme loi du for étant, en conséquence, obligée de tenir compte seulement de l'ordre public de droit international privé roumain.

Néanmoins, nous estimons que les demandes des parties, ayant comme fondement le contrat conclu par elles, l'arbitre ne peut pas faire abstraction de la validité du contrat par rapport aux règles impératives qui le régissent.

Est-ce qu'on pourrait aller plus loin et soutenir que l'arbitre a l'obligation d'appliquer le droit de la concurrence étranger à la lex contractus ?

Certains auteurs le pensent bien au nom de la pérennité de l'arbitrage ou de la légitimité de l'institution arbitrale et pour que l'efficacité internationale de la sentence soit assurée.[19]

Selon sous, ces repères, autrement inspirés par des desiderata positifs, ne peuvent pas se constituer en une base juridique suffisante pour justifier une telle démarche des arbitres, même si certains règlements d'arbitrage prévoient expressément l'obligation pour les arbitres de faire tous les efforts pour que la sentence soit susceptible de sanction légale.[20]

Dans les circonstances que nous avons évoquées, les solutions ne sont pas nombreuses. Ainsi, il est difficile à utiliser, par exemple, la notion de fraude à la loi en raison de l'élément subjectif qui est l'élément caractéristique de ce concept.

On sait que dans la domaine contractuel on fait rarement appel à la notion de fraude à la loi et que, de toute façon, les règles communautaires de concurrence s'appliquent aux accords entre les parties qui n'ont pas pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, mais qui sont susceptibles de produire de tels effets.

À cause de ses dispositions très techniques, le droit de la concurrence se prête à une analyse en termes de lois de police.[21] La Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles prévoit à l'article 7 paragraphe 1er que lors de l'application de la loi d'un pays déterminé, le juge pourra donner effets aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non application.

La Convention de Rome ne s'applique pas, conformément à l'article 1er paragraphe 2 lettre d, aux conventions d'arbitrage, mais la règle souple qu'elle contient pourrait orienter les arbitres si les juridictions nationales accepteraient une telle pratique.

Une autre solution pourrait être celle d'une prise en considération par les arbitres de la notion d'ordre public réellement international. Les arbitres ont le droit - et même le devoir - de soulever d'office la question de la conformité des conventions dont ils sont saisis aux exigences de l'ordre public réellement international. En Europe, il ne nous semble pas très difficile à dégager un nombre de règles générales communes qui sont destinées à servir les intérêts de tous les États dans le domaine de la concurrence. Au fond, il serait utopique d'envisager, dans n'importe quelle matière, un accord sur des règles identiques et universelles ; l'alignement des règles juridiques ne doit pas se faire forcément sur le plus petit dénominateur commun. Aussi, peut-on observer, par exemple, que selon les Lignes directrices de la Commission sur l'applicabilité de l'article 81 du traité aux accords de coopération horizontale, les accords de coopération qui ont pour objet de restreindre la concurrence en fixant les prix, en limitant la production ou en répartissant les marchés ou la clientèle, tombent presque toujours sous le coup de l'article 81 paragraphe 1er et que, selon les Lignes directrices de la Commission concernant l'application de l'article 81 paragraphe 3 du traité, il est fort peu probable que de graves restrictions de la concurrence puissent remplir les conditions de l'article 81 paragraphe 3.

En appliquant le droit communautaire de la concurrence, l'arbitre prendra en considération le rapport entre les articles 81 et 82 du traité et les droits nationaux de la concurrence tel que défini à l'article 3 du Règlement (CE) no 1/2003.

L'arbitre pourra constater par exemple, que les conditions de l'article 81 paragraphe 1er ou de l'article 82 ne sont pas remplies.

Dans l'autres hypothèses, l'arbitre pourra établir que l'article 81 est inapplicable parce que les conditions de l'article 81 paragraphe 3 sont remplies. Le Règlement (CE) no 1/2003 évoque la possibilité pour la Commission de continuer à adopter des règlements d'exemption par catégorie. Ces règlements sont, en principe, dotés d'effet direct plein et présentent sur le plan des relations internationales les caractéristiques des lois de police. En conséquence, l'arbitre est compétent pour prononcer une exemption en application d'un règlement par catégorie.

Ce qui plus est, le Règlement (CE) no 1/2003 reconnaît aux juridictions des États membres le pouvoir d'appliquer non seulement l'article 81 paragraphe 1er et l'article 82 du traité, mais également l'article 81 paragraphe 3. La reconnaissance d'un effet direct de l'article 81 paragraphe 3 permet à l'arbitre d'accorder des exemptions individuelles. La charge de la preuve des conditions de l'article 81 paragraphe 3 pèse selon l'article 2 du Règlement (CE) no 1/2003 sur les entreprises qui invoquent le bénéfice de ce texte.

D'autre part, l'arbitre pourra constater l'existence d'une infraction aux dispositions de l'article 81 ou 82 du traité et il pourra tirer les conséquences civiles d'une telle décision étant donné que le Règlement (CE) no 1/2003 maintient le système d'interdiction de principe des comportements des entreprises visés à l'article 81 paragraphe 1er qui ne remplissent pas les conditions de l'article 81 paragraphe 3 et des comportements visés à l'article 82 du traité. Ainsi, l'arbitre pourra-t-il se prononcer sur les contestations de la partie défenderesse en ce qui concerne les obligations contractuelles invoquées par la partie demanderesse ou il pourra accorder des dommages intérêts.

Dans ces situations la compétence de l'arbitre est calquée sur celle des juridictions nationales dans l'application des articles 81 et 82 du traité, mais elle s'exerce d'une manière spécifique due aux différences de l'arbitrage par rapport aux juridictions nationales.

L'arbitre ne pourra pas exercer les pouvoirs d'enquête établis par le Règlement (CE) no 1/2003, ni prononcer des sanctions de nature administrative, comme les injonctions et les amendes.

Évidemment, l'arbitre n'est pas obligé à surseoir à statuer quand la Commission envisage d'adopter une décision, mais il faut tenir compte que l'article 16 paragraphe 1er du Règlement (CE) no 1/2003 prévoit que les juridictions nationales ne peuvent pas prendre de décision qui iraient à l'encontre de la décision adoptée par la Commission lorsqu'elles statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l'article 81 ou 82 du traité qui font déjà l'objet d'une décision de la Commission. Ce texte nous paraît pertinent y compris dans le cadre d'un recours en annulation ou lorsque les juges appliquent les dispositions consacrées à la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales.

Enfin, l'article 9 du Règlement (CE) no 1/2003 n'est pas applicable en tant que tel par l'arbitre pour les engagements pris par les entreprises, mais une sentence d'accord par laquelle le tribunal arbitral constate la décision des parties de mettre fin à une infraction ne peut pas être a priori exclue.

 

[1] C.J.C.E., 23 mars 1982, Nordsee, aff. 102/81, Recueil de la Jurisprudence de la Cour, 1982-3, p. 1095 et s.

[2] V.X. de Mello, Arbitrage et droit communautaire, "Revue de l'arbitrage", 1982, p. 395 et s.

[3] V. les sentences CAB no 34 du 29 nov. 1958, no 11 du 27 avr. 1972, no 48 du 22 oct. 1973, no 21 du 20 avr. 1976, no 179 du 7 juillet 1978, no 102 du 27 mars 1979, no 158 du 19 juin 1980, Jurisprudenţa comercială arbitrală 1953-2000, 2002, p. 12.

[4] CJCE, 27 avril 1994, Gemeente Almelo, aff. C-393/92, Recueil, 1994-4, p. 1515.

[5] CJCE, 21 avril 1988, Fratelli Pardini SpA, aff. 338/85, Recueil, 1988-4, p. 2074-2075.

[6] V. la sentence CCI rendue en 1978 dans l'affaire 2811, cf. à S. Jarvin, Y. Derains, Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1974-1985, ICC Publishing S.A. 1990, p. 341.

[7] V.J.-F. Poudret, S. Besson, Droit comparé de l'arbitrage international, 2002, p. 316-317.

[8] V. l'arrêt Mitsubishi du 2 juillet 1985, "Revue de l'arbitrage", 1986, p. 273 et s.

[9] V.P. Mayer, Le contrat illicite, "Revue de l'arbitrage", 1984, p. 212-213.

[10] CJCE, 20 sept. 2001, Courage Ltd, aff. C-453/99, Recueil, 2001, p. 6297.

[11] CJCE, 13 juillet 1966, Établissements Costen S.A.R.L., Recueil, 1966, t.II, p. 498-499.

[12] CJCE, 15 julliet 1964, Flaminio Costa, aff. 6/64, Recueil, 1964, 2éme partie, p. 1158.

[13] V. aussi l'arrêt Aplix de la Cour d'appel de Paris, 14 octobre 1993, "Revue de l'arbitrage", 1994, p. 164.

[14] V.C. Nourissat, La place de l'arbitrage dans le nouveau paysage communautaire de la concurrence, dans Le nouveau règlement d'application du droit communautaire de la concurrence: un défi pour les juridictions françaises, Dalloz, 2004, p. 54.

[15] V.P. Mayer, op. cit., p. 215.

[16] V.J.-B. Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, L.G.D.J., E.J.A., 1999, p. 240 et s.; W. Abdelgawad, Arbitrage et droit de la concurrence, L.G.D.J., 2001, p. 357 et s.

[17] V. la sentence CCI rendue en 1998 dans l'affaire 8423, "Clunet", 2002, p. 1080.

[18] CJCE, 1 juin 1999, Eco Swiss, aff. C-126/97, Recueil, 1999-6, p. 3091-3093.

[19] V.J.-B. Racine, op. cit., p. 288-289; W. Abdelgawad, op. cit., p. 363 et s.

[20] V. par ex. l'article 26 du Règlement d'arbitrage de la CCI.

[21] V. Ph. Fouchard, E. Guillard, B. Goldman, Traité de l'arbitrage commercial international, Litec, Paris, 1996, p. 868-869.

 


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