Numărul 2 / 2008
L'EXPERIENCE FRANÇAISE DE RECODIFICATION DU DROIT CIVIL
Remy CABRILLAC*
« De bonnes lois civiles sont le plus grand bien que des hommes puissent donner et recevoir » [1]: cette formule de Portalis dans le célèbre Discours préliminaire sur le projet de Code civil illustre l'importance des lois civiles pour la paix et la prospérité d'une Nation et subséquemment le défi que constitue le nécessaire rajeunissement d'un Code civil. Il est indéniable qu'en l'occurrence, durant plus de deux siècles d’existence, le Code civil français a réussi à traverser les crises politiques qui ont secoué le pays et à surmonter les formidables évolutions sociologiques et technologiques qui ont marqué le monde.
Fruit d’un savant équilibre politique tentant, en 1804, de concilier l’Ancien monde et le Nouveau, le Code civil fut violemment pris à partie, dans les années qui suivirent son adoption, tant par les nostalgiques de l’Ancien régime que par les fervents partisans de la Révolution. Mais les passions s’apaisant à la fin du XIX ème siècle, le Code civil a été, dès son centenaire en 1904, célébré avec une quasi-unanimité comme « un grand fait historique et national » [2]. La patine des ans a conféré peu à peu au Code civil une dimension consensuelle qu’il n’avait pas lors de son adoption. Survivant à tous les changements de régimes politiques des XIX et XX èmes siècles, on a ainsi pu dire que le Code civil constituait la « véritable constitution » de la France [3] et il a été consacré il y a quelques années comme « lieu de mémoire » de la nation française, au même titre que le château de Versailles, la Marseillaise ou le drapeau bleu, blanc, rouge [4]. Cet attachement au Code civil considéré comme élément fédérateur est clairement apparu en 2004 lors de la célébration de son bicentenaire. Alors que la montée des communautarismes menace de faire éclater la Nation française, une exposition a par exemple été réalisée à l’Assemblée nationale sous le titre évocateur : « Deux cent ans de Code civil, des lois qui nous rassemblent » [5]. Une telle sacralisation du Code civil n’est toutefois pas sans effet pervers : devenu « à la fois livre-symbole et livre de symboles » [6] il apparaît intouchable, ce qui explique la frilosité, voire l’hostilité des juristes français à la perspective de l’adoption d’un Code civil européen qui pourrait entraîner sa disparition.
Le Code civil a également survécu au défi plus redoutable encore des ans qui passent. Dans les années qui ont suivi son adoption, le Code civil, qui portait la marque du libéralisme économique et du conservatisme social, était en harmonie avec la France bourgeoise et rurale issue de la Révolution. Ainsi, les réformes législatives ont été rares pendant cette période : « L’ensemble des journaux officiels parus entre 1804 et 1850 contient moins de lois qu’il n’en est aujourd’hui publié en une seule année » [7]. Mais le Code civil s’est révélé moins adapté à la France issue de la Révolution industrielle, dès le milieu du XIX ème siècle, au moins à trois égards. Tout d’abord, le Code civil ne consacrait que deux articles au contrat de travail, lacune qui s’est particulièrement faite sentir au moment de l’essor du capitalisme industriel. D’autre part, le Code civil établissait la suprématie de la propriété immobilière sur la propriété mobilière, alors que la multiplication des sociétés commerciales avait transformé la structure des patrimoines, les actions ou obligations tenant une place aussi importante que les propriétés immobilières. Enfin, les rapports de famille organisés par le Code civil consacraient la toute puissance du pater familias sur sa femme et ses enfants alors que l’évolution des mœurs ne pouvait s’accommoder d’une telle domination sans partage [8]. Le législateur allait tenter de remédier à ces lacunes à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Un droit du travail, un droit des sociétés se sont rapidement développés alors que dans le domaine des relations familiales, la femme mariée a progressivement été libérée de l’autorité de son mari et la puissance paternelle s’est adoucie. Mais ces réactions législatives n’ont pas enrayé la crise du Code civil. En effet, elles ont été ponctuelles et pour la plupart adoptées dans des lois spéciales, en marge du Code civil : loi de 1901 sur les association, loi de 1930 sur les assurances, loi de 1965 sur la copropriété… Ainsi s’est accélérée ce qu’on a pu appeler la décodification du droit civil [9]. Parallèlement, ce déclin du Code civil a été propice à la construction de solutions prétoriennes qui ont accéléré son vieillissement. Ainsi, de 1880 à 1945, une série de grandes décisions de la Cour de cassation ont marqué profondément le droit civil français, comme par exemple la consécration de la théorie de l’enrichissement sans cause, [10] du principe général de responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde [11], ou de la théorie de l’abus de droit [12]. Le droit civil se développait ainsi dangereusement en dehors du Code à tel point que des auteurs pu craindre que ce code ne devienne un « droit commun à vocation résiduelle » [13]. Aussi, à la Libération, en 1945, la refonte du Code civil est-elle apparue indispensable. Une Commission nommée à cette fin a vu ses travaux s’enliser faute de soutien politique fort.
Un formidable et indispensable renouveau du Code civil est venu de réformes entreprises matière par matière, à partir des années soixante, sous l’impulsion politique du général de Gaulle et de son Ministre de la justice, Monsieur Jean Foyer [14], et techniquement réalisées par le doyen Jean Carbonnier. Ces réformes ont d’abord concerné le droit des personnes et le droit de la famille, réformé par neuf lois adoptées entre 1964 et 1977 [15], les « neuf soeurs », selon la jolie expression de leur géniteur, le doyen Carbonnier [16]. Mais leur immense succès a marqué toutes les réformes entreprises depuis pour rénover encore ces matières ou rénover d’autres pans du Code civil, jusqu’à la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 23 mars 2006. Ces réformes inspirent également les projets actuellement en cours, comme l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, préparé sous la direction du professeur Pierre Catala, remis aux pouvoirs publics en 2005 et actuellement discuté par les partenaires sociaux [17]. On ne peut qu' espérer qu'il devienne droit positif si la réforme du droit des contrats aboutit devant le Parlement [18].
L’incontestable succès de cette rénovation de notre Code civil réside sans doute dans une savante alchimie entre tradition (I) et modernité (II).
I) Tradition :
Recodifier n’est pas codifier : l’ombre du Code napoléon, de « l’ancêtre vénéré » [19] ne pouvait pas ne pas marquer la recodification civile française. La tradition se manifeste par une fidélité à l’esprit (A) comme à le lettre (B) du Code de 1804.
A) Une fidélité à l’esprit du Code de 1804 :
La fidélité à l’esprit du Code de 1804 se caractérise d’abord par le choix de la méthode de codification. Face à une inflation législative galopante ayant entraîné une dégradation de la qualité de la loi, périodiquement dénoncée par les pouvoirs publics, le gouvernement français avait créé en 1948 une Commission chargée d’étudier la codification et la simplification des textes législatifs, devenue en 1989 Commission supérieure de codification. L’objectif était de mettre de l’ordre dans la prolifération désordonnée des textes législatifs le plus rapidement possible en les codifiant à droit constant, c'est-à-dire sans leur apporter de modifications autres que purement formelles. De nombreux codes sont le fruit de cette codification-compilation, dont l’exemple le plus notable est le Code de commerce de 2000, qui a remplacé le Code de commerce de 1807, un des cinq codes de la période napoléonienne. Malgré la volonté expansionniste de la Commission supérieure de codification, la recodification civile a toujours été préservée de la méthode de la compilation, au profit d’une codification n’hésitant pas à apporter des modifications de fond aux textes ainsi rassemblés, dans la droite ligne du Code de 1804.
L’esprit du Code civil de 1804 est également marqué par la volonté de compromis : compromis politique entre partisans de l’Ancien régime et partisans de la Révolution, compromis technique entre droit coutumier applicable auparavant dans le nord de la France et droit écrit inspiré du droit romain dans le sud [20]. La recodification civile s’est efforcée de respecter le même esprit de compromis, se voulant davantage rénovation que révolution de notre droit. Le doyen Carbonnier avait ouvert la voie, dans des matières politiquement sensibles comme le droit du divorce ou le droit de la filiation, réformes qui avaient réussi le tour de force d’être unanimement saluées. L’avant-projet de réforme du droit des obligations poursuit dans le même esprit : il ne propose pas « un code de rupture mais d’ajustement », selon les termes mêmes du professeur Pierre Catala [21]. Ainsi, concrètement, la doctrine contractuelle est aujourd’hui partagée entre solidarisme et libéralisme. La composition de la commission de réforme illustre le souci de compromis entre ces deux tendances, non pas compromis par facilité intellectuelle ou manœuvre politicienne mais compromis construit, réfléchi, fondé. Un exemple parmi d’autres l’illustre de manière topique, la question de la détermination du prix dans les contrats-cadre de distribution. Depuis plus de trente ans, errements jurisprudentiels et vigoureuses controverses doctrinales avaient transformé la question en un stérile champ de bataille [22]. L’avant-projet propose d’établir le principe de la validité du contrat-cadre qui ne comporte pas de prix, ce dernier pouvant être fixé lors de chaque contrat d’application, à charge pour le créancier d’en justifier le montant en cas de contestation (art. 1121-4). Le Code civil n’est ni un Code de commerce, ni un Code de la consommation : il n’a pu si bien perdurer qu’en restant un socle de droit commun applicable à tous, tenant équilibrée la balance entre des intérêts catégoriels opposés.
Cette fidélité à l’esprit du Code de 1804 se prolonge dans une fidélité à sa lettre.
B) Une fidélité à la lettre du Code de 1804 :
La fidélité à la lettre du Code de 1804 se traduit dans la conservation de son style et de sa structure.
Le Code civil de 1804 est d’abord inscrit dans une langue unique, au carrefour du classicisme déclinant et du romantisme naissant, savant équilibre entre langage courant et langage technique, entre langage concret et langage abstrait. Ses contemporains ne s’y sont pas trompés et Stendhal lui-même avouait dans une lettre à Balzac : « En composant La chartreuse (de Parme), pour prendre le ton, je lisais quelques pages du Code civil… » [23]. Les rédacteurs des réformes entreprises, le doyen Carbonnier à leur tête, se sont efforcés de tremper leur plume dans l’encre de Portalis pour donner naissance à des formules de la même veine. Dans le prolongement des grands textes du Code de 1804, comme par exemple les articles 544, 1134 ou 2279, les codificateurs contemporains ont ciselé des formules ramassées et expressives se voulant tout aussi esthétiques et percutantes, comme, entre autres exemples « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit » (art. 489 C.civ., devenu art. 414-1 depuis la loi du 5 mars 2007). L’avant-projet de réforme du droit des obligations n’est pas en reste lorsqu’il prévoit par exemple : « il n’y a point de consentement lorsque les volontés ne se sont pas rencontrées sur les éléments essentiels du contrat » (art. 1109-1) ou « Le contrat s’interprète en raison et en équité (art. 1139). Le contraste avec le style embrouillé et maladroit du législateur contemporain est saisissant. Comme l’écrivait le doyen Cornu, « Ce sont des joyaux, çà ou là, des perles agrafées au texte qui font scintiller la loi… A ceux qui ont écrit ces mots, grâce et salut ! Ils sauvent la loi » [24]. Le style du Code de 1804 se caractérisait également par son équilibre, évitant un énoncé législatif trop général ou surtout trop détaillé. « L’office des lois est de fixer par de grandes vues les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière », selon les termes de Portalis lui-même [25]. La recodification civile s’efforce de reproduire cet équilibre en résistant à la tentation d’un code casuistique : le législateur élabore des règles générales dont l’application à chaque cas particulier relève des pouvoirs du juge.
Par fidélité à ce style inimitable mais également parce qu’ils constituent des repères sécurisants dans un monde juridique en plein bouleversement, la recodification civile a parfois tenté de préserver les grands numéros du Code de 1804. Ainsi, l’avant-projet de réforme du droit des obligations a par exemple conservé le principe de force obligatoire des contrats dans l’article 1134 ou le principe d’effet relatif dans l’article 1165. Ce souci perfectionniste s’attachant jusqu’au numéro des articles démontre la volonté de conserver non seulement le style du Code de 1804 mais aussi sa structure.
En effet, la fidélité à la lettre du Code de 1804 se traduit également par le respect d’une structure harmonieuse, à la manière d’un jardin à la française qui symbolise si bien le classicisme de l’esprit français dans le domaine artistique. Le plan général, les articulations secondaires, la numérotation, la place fondamentale reconnue à la subdivision de base que constitue l’article : le respect de ces canons classiques indique le souci d’un beau droit, bien ordonné. La recodification civile s’inscrit ainsi scrupuleusement dans la structure générale du Code de 1804, s’efforçant de la ménager le plus possible, parfois au prix d’audacieuses acrobaties [26]. L’avant-projet de réforme du droit des obligations pousse ce souci plus loin encore. Il opère un toilettage des imperfections que le Code de 1804 avait pu laisser subsister dans l’ordonnancement de cette matière. Ainsi, les articulations fondamentales entre les différentes sources du droit des obligations d’une part et entre les différentes catégories d’actes juridiques d’autre part n’apparaissaient qu’implicitement ou confusément dans le plan de 1804. L’avant-projet s’efforce de structurer l’ensemble pour renforcer sa cohérence. L’article 1101 de l’avant-projet dispose que « les obligations naissent d’actes ou de faits juridiques », renvoyant ensuite pour les obligations légales aux différentes matières qui les concernent. Au sein de l’acte juridique, qui fait l’objet d’une définition, l’acte unilatéral et l’acte collectif sont distingués du contrat et également définis, même si le contrat demeure l’acte juridique de référence (art. 1101-1).
La recodification civile est ainsi enracinée dans la fidélité au Code de 1804. Mais cette fidélité ne saurait à elle seule expliquer son succès. Si cette recodification a permis au Code civil de s’adapter au difficile monde d’aujourd’hui et d’échapper ainsi à un progressif vieillissement, c’est qu’elle est résolument empreinte de modernité.
II) Modernité
La recodification civile entreprise en France est profondément moderne car elle a instauré un nouveau style législatif qui a opéré une véritable « révolution tranquille du droit civil contemporain » [27]. Ce nouveau style législatif, si bien décrit par ceux qui en ont été les promoteurs [28], se caractérise par un renouvellement de la conception de la loi (A) comme un renouvellement de la conception du juge (B).
A) Un renouvellement de la conception de la loi :
Cette nouvelle conception de la loi apparaît d’abord lors de son élaboration. Le droit s’ouvre vers d’autres sciences pour mieux légiférer, en particulier vers la sociologie, dont le doyen Carbonnier a été le promoteur en France. Nombre des réformes entreprises ont été précédées d’enquêtes d’opinion, globales ou limitées à une catégorie de praticiens, d’études statistiques. Les données sociologiques recueillies n’ont pas été pour autant érigées automatiquement en normes : elles ont simplement guidé les codificateurs dans certains choix fondamentaux. Ainsi, par exemple, l’enquête d’opinion qui a précédé la réforme du droit des régimes matrimoniaux du 13 juillet 1965 a fait apparaître un fort attachement à l’idée communautaire, ce qui a conduit le législateur à renoncer à ériger la participation aux acquêts en régime légal au profit de la communauté réduite aux acquêts [29].
De même, le législateur n’hésite pas à puiser son inspiration dans des législations étrangères, le droit comparé trouvant à juste titre une place qu’il n’avait jamais connu auparavant dans notre droit. Ainsi, l’avant-projet de réforme du droit des obligations s’est inspiré de règles dégagées par le Code civil du Québec de 1994, les Principes du droit européen des contrats de la Commission Lando ou le projet de Code européen des contrats de l’Académie privatistes européens. Par exemple, la position actuelle du droit français n’est guère satisfaisante pour déterminer quand et où se forme un contrat entre absents, c'est-à-dire lorsque l’acceptation est émise par lettre [30]. S’inspirant des projets européens, dans un souci d’harmonisation, l’avant-projet adopte la théorie de la réception : le contrat est réputé conclu au lieu dans lequel est reçue l’acceptation (art. 1107). De même, ces influences ont poussé l’avant-projet à accueillir la mitigation of damages qui permet de réduire les dommages et intérêts d’une victime qui n’aurait rien fait pour minimiser son dommage (art. 1373), malgré l’hostilité de la jurisprudence contemporaine.
Cette nouvelle conception de la loi apparaît également dans le nouveau rôle qui lui est assigné. La loi partage davantage sa fonction de régulation sociale avec d’autres normes. Le droit se désengage ainsi au profit de ces autres normes de régulation sociale comme les mœurs ou la religion. Ainsi, la loi du 11 juillet 1975 réformant le divorce a supprimé le délit d’adultère qui figurait jusqu’alors dans notre Code pénal, considérant que ce comportement relève des consciences individuelles et n’a pas à être sanctionné par le droit. De même apparaît une nouvelle fonction de la loi : la loi n’est plus seulement édictée pour imposer mais pour proposer plusieurs modèles parmi lesquels chacun choisit. C’est le pluralisme législatif : « A chacun sa famille, à chacun son droit », selon l’expressive formule du doyen Carbonnier [31]. Par exemple, la loi du 11 juillet 1975 précédemment évoquée réformant le divorce a permis aux époux voulant se séparer de choisir, en plus de la séparation de corps, entre quatre types de divorce, aux conditions et aux effets différents, qui sont aujourd’hui le divorce par consentement mutuel, le divorce par acceptation du principe de la rupture, le divorce pour altération définitive du lien conjugal et le divorce pour faute.
Cette nouvelle conception de la loi se prolonge naturellement dans un renouvellement de la conception du juge.
B) Un renouvellement de la conception du juge :
La recodification civile accorde un rôle fondamental au juge, régulateur de la vie sociale. A propos des réformes lancées par le doyen Carbonnier, on a pu justement écrire que la famille est devenue « un ménage à trois : le mari, la femme et le juge » [32]. Le juge se voit reconnaître des pouvoirs importants pour tenter de désamorcer ou pour régler les conflits au sein de la famille : à titre d’illustrations, il peut autoriser un acte en cas de désaccord entre époux (art. 217 et 219 C.civ.) ou ordonner une mesure d’urgence si un époux met gravement en péril les intérêts de la famille (art. 220-1 C.civ.). L’avant-projet de réforme du droit des obligations est empreint de la même philosophie. Par exemple, en rupture avec les solutions jurisprudentielles actuelles, l’avant-projet accroît les pouvoirs du juge en lui permettant d’ordonner une renégociation d’un contrat devenu déséquilibré suite à un bouleversement des circonstances économiques (art. 1135-2).
Ces pouvoirs accordés au juge passent par l’édiction de notions-cadre, volontairement floues, dont l’interprétation est abandonnée à la jurisprudence, ce qui permet de faire évoluer la norme en fonction des mutations sociologiques sans qu’il soit nécessaire de la retoucher. Ainsi de nombreux textes relatifs à l’autorité parentale ou au divorce se réfèrent à « l’intérêt de l’enfant », alors que le droit des régimes matrimoniaux recourt fréquemment à « l’intérêt de la famille ». Dans le même esprit, l’avant-projet de réforme du droit des obligations place le contrat sous le contrôle du juge à travers le standard de la bonne foi dont le rôle est élargi : mentionnée actuellement pour inspirer l’exécution du contrat (art. 1134 C.civ.) elle gouvernerait également demain sa formation (art. 1104), intervenant par ailleurs dans d’autres dispositions éparses.
Le succès de la recodification civile en France démontre si besoin était que la codification n’est pas une forme de législation aujourd’hui dépassée. La vitalité et la pérennité des codes passent simplement par une nouvelle conception de la codification, non pas repliée sur elle-même mais ouverte sur les influences extérieures, non pas repliée sur elle-même mais ouverte sur les autres sources de droit, comme en particulier la jurisprudence [33]. C'est ainsi qu'a pu survivre le Code civil français et fêter récemment son bicentenaire [34] avec le prestige d'un ancêtre et la vitalité d'un jeune homme.
* Remy Cabrillac est professeur à la Faculté de droit de Montpellier. remy.cabrillac@cegetel.net [1] PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet de Code civil présenté le 1er pluviôse an IX, in J.-.E.-M. PORTALIS, Discours et rapports sur le Code civil, Centre de philosophie politique de Caen, 1989 p. 3. [2] A. TISSIER, Livre du centenaire, Rousseau, 1904, t. 1, p. XII. [3] J. CARBONNIER, Le Code civil, in P. NORA (dir.), Les lieux de mémoire, t. 2, La Nation, Gallimard, 1986, p. 309. Ad. : R. CABRILLAC, Le Code civil est-il la véritable constitution de la France ?, Thémis, vol. 39, n° 2, 2005, p. 245. [4] P. NORA (dir.), Les lieux de mémoire, op. cit. [5] Dalloz, 2004. [6] J. CARBONNIER, Le Code civil, art. cit., p. 305. [7] J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Introduction générale, 4ème éd., LGDJ, 1994, n° 150. [8] Sur ces évolutions, cf. R. CABRILLAC, Introduction générale au droit, Dalloz, 7ème éd., 2007, n° 51 et s. [9] Cf. R. CABRILLAC, Les codifications, PUF, 2002, p. 117 et s. [10] Req. 15 juin 1892, DP 1892, 1, 586 ; S. 1893, 1, 281. [11] Civ. 16 juin 1896, S 1896, 1, 17, note P. ESMEIN, D 1897, 1, 433, note R. SALLEILLES, concl. L. SARRUT. [12] Req. 3 août 1915, DP 1917, 1, 79. [13] P. REMY, La recodification civile, Droits, 1997, n° 26, p. 10. [14] J. FOYER, Sur les chemins du droit avec le général, Fayard, 2006, p. 317 et s. [15] Lois réformant : le statut des incapables mineurs (14 déc. 1964), les régimes matrimoniaux (13 juill. 1965 et 23 déc. 1985), l’adoption (11 juill. 1966, 22 déc. 1976), le statut des incapables majeurs (3 janv. 1968), l’autorité parentale (4 juin 1970), la filiation (3 janv. 1972), le divorce (11 juill. 1975), l’absence (28 déc. 1977). [16] J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Defrénois 2 ème éd., 1995, p. 20. [17] P. CATALA, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, La doc. fr. 2006. Ad. : RDC 2006/1 : La réforme du droit des contrats : projet et perspectives. [18] Un projet de réforme a été divulgué par le Ministère de la justice qui, sans cohérence aucune, s'inspire tantôt de l'avant-projet Catala tantôt des Principes européens du droit des contrats. [19] Cf. Le Code Napoléon, un ancêtre vénéré ?, Mélanges offerts à Jacques Vanderlinden, Bruylant, 2004. [20] J. CARBONNIER, Le Code civil, art. cit., p. 301 : le Code civil est « coulé dans un type de législation que la sociologie juridique nous a appris à reconnaître : les lois de compromis ». [21] P. CATALA, Avant-projet de réforme.., op. cit., p. 13. [22] Cf. par exemple M. FABRE-MAGNAN, les obligations, PUF, Thémis, 2004, § 129. [23] Sur les origines de cette lettre, Cf. A. TEISSIER-ENSMINGER, La fortune esthétique du Code civil des français, La mémoire du droit, 2004, p. 84 et s. [24] G. CORNU, Linguistique juridique, Montchrestien, 2 ème éd., 2000, n° 89. [25] Discours préliminaire sur le projet de Code civil présenté le 1er pluviôse an IX, op.cit., p. 8. [26] G. CORNU, La lettre du code à l’épreuve du temps, Mélanges R. Savatier, Dalloz, 1964, p. 157 et s. [27] G. CORNU, Introduction au droit, Montchrestien, 13 ème éd., 2007, n° 301. [28] J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 10 ème éd., 2001, Essais sur les lois, op. cit., Droit et passion du droit sous la Vème république, Flammarion, 1996 ; G. CORNU, Introduction au droit, op. cit., n° 294 et s. ; P. CATALA, Les techniques de codification : l’expérience française, in Revue juridique de l’Océan indien, n°4, 2003/2004, p. 77 et s. [29] F. TERRE, La signification sociologique de la réforme des régimes matrimoniaux, Année sociologique 1965, p. 1 et s. [30] Cf. par exemple, R. CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, 8 ème éd., 2008, n° 52. [31] Essais sur les lois, op. cit., p. 181. [32] P. MALAURIE et L. AYNES, Les régimes matrimoniaux, Defrénois, é ème éd., 2007, n° 18. [33] Cf. B. FAUVARQUE-COSSON et S. PATRIS-GODECHOT, Le Code civil face à son destin, La doc. fr., 2006. Ad. R. CABRILLAC, L’avenir du Code civil, JCP 2004, I, 121. [34] Quelques références parmi un littérature immense : Livre du bicentenaire, Dalloz, 2004 ; Le Code civil, un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004 ; Portalis, le discours et le code, Litec, 2004 ; Le rayonnement du droit codifié, éd. JO, 2005.
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