Numărul 2 / 2008
LE PARADOXE DE LA CODIFICATION EUROPEENNE
dr. Raluca BERCEA·
Résumé. Le projet du Code civil européen, démarche qui a déjà pu être qualifiée de « diabolique » dans le sens étymologique du terme, relève plutôt du paradoxe. La présente étude argumente que l'envisagée codification de la matière privée européenne est non seulement douteuse au point de vue de sa constitutionnalité et légitimité, mais aussi artificielle, non conforme à la logique même du système communautaire, inappropriée au point de vue instrumental et inouïe diachroniquement.
I. Du paradoxe
Dans sa forme originaire, le paradoxe (l'aporie) connote l'impasse[1]. Au point de vue logique, il se définit comme contradiction prouvée[2]. Intrinsèquement, c'est le signe de la relativité, voire de l'impuissance (du savoir), les concepts affectés par des paradoxes devant être considérés comme impossibles et, par conséquent, rejetés non seulement pour étant dépourvus d'un certain type d'existence (mathématique ou physique, par exemple), mais comme privés de toute existence autre que celle verbale[3]. Le propre du paradoxe est la tension insurmontable entre les entités qu'il abrite; si chacune de celles-ci, prise individuellement, génère du sens, l'ensemble en est, néanmoins, contradictoire. Dans ce contexte, la projetée codification de la matière privée européenne[4] est un paradoxe épistémologique. A priori, le Code civil européen est censé rassembler deux traditions juridiques distinctes[5], matérialisées par deux manières différentes (et contrapuntiques) de créer le sens juridique. Comme entité totalisante, il ne franchira sa condition existentielle paradoxale qu'à condition de concilier l'irréconciliable.
II. Du sens (juridique)
II.1. La tradition romaniste
La tradition romaniste est nomothétique, c'est-à-dire construite autour du texte. Ses doctrinaires consacrés[6] la décrivent comme s'appuyant sur la primauté de la loi, trait qu'ils estiment essentiel. De surcroît, la figure centrale d'une telle manière de penser le droit est le code, « acte majeur de maîtrise du juridique construit »[7], qui exprime la préférence, dans cet espace juridique, pour la catégorisation de la pensée, la conceptualisation de l'information, la systématisation du propos, ce que l'on a pu appeler « prédilection pour l'apodicticité »[8]. Le « style » évoqué se traduit en particulier par « la prééminence de la définition, l'importance accordé aux axiomes nets et concis, la valorisation des développements fondés sur la clarté et l'ordre, la prépondérance de la démarche déductive et la prédominance de schémas dichotomiques procédant par division des parties selon des degrés de généralité descendante »[9]. Le droit, dans ce paradigme, est une science se rattachant à un système[10]. Le système en tant que tel est logique et proactif. Il se fonde sur la loi entendue comme texte à caractère axiomatique. Le sens légal en découle par interprétation entreprise selon des règles strictes. Bien qu'occasionnée par des faits concrets, la règle de droit s'en délimite, pour mener une existence autonome, accédant ainsi à un statut ontologique supérieur : elle seule compte pour le juriste. Le sens de la norme ne dépend plus des faits l'ayant générée, voici la fierté du juriste appartenant à la tradition romaniste, pour qui la contingence factuelle connote négativement. Le fait n'engendre pas le droit, mais se dissout de manière indifférenciée dans la règle de droit posée par le législateur. Corrélativement, le raisonnement par lequel le sens de la norme est déduit et celle-ci devient opératoire dans une situation concrète subséquente à son énonciation se déroule exclusivement au niveau des concepts juridiques abstraits, la solution ainsi établie étant appliquée par la suite par le juge dans le concret. Le sens est inhérent à la norme et posé d'avance par la figure abstraite du législateur, qui anticipe sur toutes les configurations factuelles à venir. Coextensif à la norme, le sens est définitivement figé par l'acte de réglementation et posé axiomatiquement, si bien que le juge ne saurait ni y ajouter ni l'approximer. Aussi, le sens de la norme est-il non seulement indifférent par rapport aux faits concrets ultérieurs, mais aussi immuable. En revanche, la norme est proactive et suffisante : elle émet une prétention de complétude, la règle du jeu dans le système voulant qu'elle couvre toute situation factuelle future qui pourrait survenir; comme preuve, le juge n'a pas le droit de refuser de juger sous prétexte qu'une situation quelconque n'est pas couverte juridiquement. Par effet de réglementation, le sens légal est purifié : il est structuré par le législateur non seulement par rapport aux faits, mais aussi par rapport aux sujets - juges, avocats, professeurs de droit, politiciens etc. - les conceptions, idéologies, choix interprétatifs de ceux-ci devenant juridiquement indifférents une fois que la règle a été posée. Stylistiquement, la règle de droit est neutre, impartiale, objective et le sens juridique qui en découle l'est aussi.
II.2. La tradition de common law
Souvent décrite comme contrapuntique par rapport à la tradition romaniste, la tradition de common law est idiographique, c'est-à-dire construite autour des faits. Plus largement, si la tradition romaniste participe du droit scientifique, donc du système, cette tradition-ci relève du droit artisanal, donc de l'herméneutique et de la décision[11]. Historiquement, elle s'est développée non pas comme droit matériel, mais comme gamme de remèdes autour de la procédure écrite, obligeant de plano le requérant de marier sa configuration factuelle à une configuration factuelle type. C'est pourquoi le fait est inhérent aux jugements de common law en particulier et à la normativité en général. Si la tradition romaniste fonctionne par des axiomes, la tradition de common law opère par transduction, le raisonnement juridique passant d'un cas à d'autres cas. Toute décision de justice est liée aux faits l'ayant engendrée, nulle n'existant et ne produisant de sens en dehors de ceux-ci. Le sens juridique n'est pas posé. La figure du législateur manque. Seuls existent, donc, les faits, dont les jugements dépendent indéfiniment : il y a, d'abord, les faits fondateurs, ayant engendré la première décision et en l'absence desquels celle-ci n'a pas de sens. Il y a, subséquemment, les faits ultérieurs, qui exercent une contrainte, forçant la décision d'englober d'autres cas d'espèce. Dans ce contexte, si la tradition romaniste est centripète, essayant de ramener le particulier à la règle, la tradition de common law est centrifuge, le sens dépendant existentiellement de la capacité d'une décision de s'appliquer à des configurations factuelles toujours nouvelles[12]. Le sens juridique n'est ni fixé, ni stable. C'est le juge qui, en fin de compte, décide du sens d'une jurisprudence précédente, et les avocats qui le suggèrent en essayant d'établir l'analogie. Des juges différents, décidant dans des moments différents, peuvent y voir différemment. De même, le sens d'un jugement n'est jamais là, acquis ou posé; on ne le saura qu'au moment où, dans le common law, l'on aura rendu le dernier jugement[13]. Chaque nouvelle interprétation d'une décision, chaque nouvel usage de celle-ci en diachronie, en précise le sens. En common law, en effet, le sens est différé; il est reporté toujours et projeté dans l'avenir. Comme les règles de l'interprétation herméneutique le requièrent, il est le vecteur de tous les sens que l'on a pu déceler pour la décision fondatrice. Toute décision instaure le sens provisoirement, entrant, par la suite, en intertexte avec les décisions à venir : il n'y a pas de vérité sans l'histoire[14]. Toute imbrication des faits dans la dimension normative exclut le paradigme dans son ensemble de la sphère de la science[15], ce pour quoi celui-ci a pu être décrit comme « ascientifique », « i-logique » ou « a- logique ». Subséquemment, le manque de sens stable et figé se traduit par un manque de système. Le common law est par excellence fragmentaire, non unitaire et dépourvu des concepts dans le sens classique (codique). L'on propose, d'ailleurs, en Angleterre, des classifications juridiques reposant sur la différenciation factuelle[16]. Les jugements, qui abritent et véhiculent le sens légal, sans pourtant le figer, n'ont, en effet, aucune velléité nomologique. Le sens est fissipare et ajourné, le fluide faisant le propre du common law.
III. De l'existence paradoxale de la codification européenne
En général, le paradoxe marque une crise, étant l'expression directe des contradictions du contenu du savoir. Le plus souvent, il annonce également l'inadéquation des concepts traditionnels censés rendre compte d'entités nouvelles, qu'ils ne maîtrisent plus[17]. Dans le cas particulier du Code civil européen, le concept « code » renvoie à un instrument ayant un sens et un poids juridiques bien précis, issus du contexte historique, politique et culturel très particulier des grandes codifications européennes. Or, ce concept se voit mis à l'épreuve par son utilisation dans un contexte complètement différent, d'où son fonctionnement brouillé, qui connote le paradoxe.
III.1. Artificialité
La codification de la matière privée européenne frappe en premier lieu par son caractère artificiel : si une codification suppose impérativement l'homogénéité, la codification européenne apparaît dans un contexte très difficile et ambigu. (1) Equilibre du système. Selon la maxime de Portalis, « les codes des peuples se font avec le temps. A proprement parler, on ne les fait pas ». Il faut convenir que tout code marque, par soi-même, le moment d'équilibre d'un système juridique, dont il représente l'avènement. Or, le projet de l'Union Européenne en tant que tel est couramment décrit comme ambigu et compliqué, se caractérisant par une évolution imprévisible, parfois en dépit de la volonté des Etats Membres, dont il dépasse les attentes de départ[18]. En effet, l'Europe n'est pas homogène, alors que tout projet unificateur suppose, a priori, l'homogénéité. (2) L'âge d'or européen ?Les promoteurs du projet de la codification européenne renversent parfois cet ordre des choses, ce qui n'est pas, pour autant, susceptible d'aider à l'unification. Ainsi, dans son discours devant La Grande Chambre de la Cour de Cassation française, du 12 avril 2002, le Professeur von Bar implique (et son entendement est tellement apprécié qu'il est explicitement repris par des politiciens comme Jacques Delors) : « Charlemagne nous rappelle que l'Europe est plus ancienne que les Etats qui la composent. Avec notre communauté (code) nous redécouvrons l'Europe dans sa totalité »[19]. Le propos du professeur a été interprété dans le sens que c'est par le code européen que l'on découvrira l'Europe de l'an 800[20]. Or cette idée, caractérisée de passéiste et rétrograde[21],est surtout contredite par la réalité : actuellement, il n'existe pas un système légal européen équilibré, mais plutôt un système en voie de se construire, dont l'essence même est le mouvement[22], et que, par conséquent, il est impossible de figer, soit l'effet principal de toute codification. (3) Union économique et politique européenne ?En fait, tout en Europe paraît s'opposer à l'idée de centralisme, les Etats Membres eux-mêmes étant réticents à l'homogénéité[23]. Par ailleurs, plusieurs voix dans la doctrine montrent à quel point les concepts traditionnellement utilisés pour cerner la notion d'Etat (l'Etat nation, donc centralisé et homogène) sont inappropriés dans l'hypothèse très particulière de l'Union Européenne[24]. Dans ce contexte, la démarche unificatrice de la matière privée européenne ne semble pas être aidée par l'histoire. Elle suppose une union économique et politique à la fois, qu'il est discutable d'identifier aujourd'hui en Europe et il est utopique de penser que l'on puisse mettre en œuvre un droit unitaire en l'absence d'une rationalité unitaire[25]. (4) Aboutissement ou enforcement ?Se pose alors, comme suggéré par la fameuse boutade de Portalis, la question de la différence entre l'aboutissement d'un processus et l'imposition d'un texte unificateur. Le Code civil européen pourra, certes, être imposé aux Etats Membres. Il sera, néanmoins, a priori limité par le contexte de son surgissement. L'efficacité de tout droit uniforme dépend, évidemment, de sa capacité de s'inscrire dans une tradition.Toute règle juridique, à quelque niveau qu'elle se situe dans une pyramide législative quelconque (même au niveau de la codification, donc), représente un texte qui rayonne en réseau et qui tire son sens (aussi) de ce qui lui est extérieur[26], si bien qu'une convention (internationale) est impuissante à influencer une communauté, à moins qu'elle ne passe par la tradition entendue comme espace d'homogénéisation, anticipation explicative, lissage des aspérités, qui a la force d'internaliser l'extranéité. Or, justement, il est impossible, pour l'instant au moins, de parler d'une tradition juridique dans le droit privé européen. A l'extrême, puisque le droit est singulier, l'inscription de tout texte uniforme dans une tradition particulière mène non pas à la globalisation, mais plutôt à sa « glocalisation », traduite par le « décentrement » de la règle juridique, au départ uniforme, une fois immergée dans des contextes nationaux différents, non homogènes[27], voire relevant des rationalités contrapuntiques (dans l'hypothèse des traditions romaniste et de common law)[28]. (5) Quel texte ?Il est, donc, à réfléchir au type de texte unificateur à choisir, apte de fonctionner le mieux possible dans le contexte esquissé; plusieurs propositions ont été avancées à cet égard, dont certaines de bonne foi, mais très peu réalistes (le Code comme synthèse ou compromis entre les deux traditions[29]), d'autres réalistes, mais dont l'efficacité est à douter (le cadre commun de référence)[30]. III.2. Logique du système
En second lieu, l'idée d'unifier le droit privé européen par le truchement d'un code ne semble pas conforme à la logique même du système européen.Les réalités, voire les idéaux communautaires sont à maintes reprises « manipulés »[31], pour induire le desideratum de la codification. En effet, de manière plus ou moins volontaire, plusieurs écarts sont glissés entre les données objectives de l'ordre juridique européen, menant à la conclusion irréfragable que l'aboutissement de ce dernier résidera dans une codification. Dans un contexte dans lequel l'ordre juridique européen est entendu comme supranational au sens fort du terme (1), l'objectif fondamental des traités institutifs de créer un espace commun de marché et de conformité (2) est, de manière non constitutionnelle et illégitime (3), compris comme imposant de par soi-même la conclusion que l'on doit aboutir à un droit commun européen, soit à un droit unique, pour renforcer le marché (4), et, respectivement, par extinction, comme soutenant l'idée de l'unification l'ensemble du droit privé européen, par un code (5). (1) Les droits nationaux et le droit supranational européen. Si l'on comprend le concept de « code » dans son sens originaire, le Code européen marquerait l'avènement du droit privé européen, entendu comme formant de l'ensemble - autonome dans le sens le plus fort du terme - « droit européen ». En effet, ce n'est que dans l'hypothèse où l'on pourrait nettement séparer le droit européen des droits nationaux que l'idée de remplacer les codes civils nationaux par un code uniforme, en tant que variante la plus forte de codification avancée, aurait du sens. Il est vrai que la Cour Européenne de Justice a déclaré déjà dans les années '60 que l'ordre juridique européen représentait un ordre autonome, marquant, par cet acte de foi, plutôt que par la signature effective des traités institutifs par les Etats Membres, la naissance des Communautés Européennes[32]. Mais la Cour comprend l'autonomie plutôt par rapport à l'ordre légal du droit international public que par rapport aux systèmes juridiques des Etats Membres, le noyau dur du raisonnement mentionné incluant l'idée que les traités institutifs avaient instauré un ordre juridique « intégré » dans les ordres nationaux[33]. En fait, la supranationalité autonome est exclue par la naissance même des Communautés, qui instaure le monisme. Or celui-ci rend compte d'une co-substantialité entre les deux entités, ne menant jamais à l'identité : la règle fondamentale dans le système fait que l'Union ne puisse agir que dans le cadre stricte des compétences y cédées, alors que les Etats Membres ne puissent plus décider en dernière instance et de manière souveraine dans des domaines essentiels pour l'exercice de la souveraineté nationale dans lesquels ils ont transféré les compétences à l'Union. Dans ce contexte, au point de vue constitutionnel et selon la théorie des systèmes, l'ordre juridique européen est de loin trop complexe pour être expliqué par la théorie de la supranationalité autonome. Aussi, a-t-il pu être décrit comme un système en crise, constitué de deux entités (à savoir le système européen au sens strict et les systèmes constitutionnels des Etats Membres) qui coexistent, en état perpétuel de négociation, sans que jamais l'une puisse l'emporter sur l'autre. Le constitutionalisme européen est, ainsi, un concept vague, décrit par la métaphore du voyage sans fin[34], qui exclut par son essence l'éventuel moment, dans l'avenir, où le système aurait acquis l'autonomie et l'équilibre[35]. (2) L'objectif européen : créer un espace commun de marché et de conformité. Les objectifs communautaires pleinement assumés par les Etats fondateurs ont une nature purement économique. En diachronie, le projet européen, poussé par son acteur privilégié, la Cour de Justice des Communautés Européennes, a, néanmoins, couvert plusieurs domaines considérés comme susceptibles d'aider au bon fonctionnement du marché, dans lequel, pourtant, la compétence d'agir n'avait jamais été cédée aux institutions européennes[36]. (3) Constitutionalité et légitimité des démarches unificatrices institutionnelles. (a) Constitutionalité.Un commentateur objectif doit admettre que les démarches institutionnelles européennes menant à la codification de la matière privée européenne se sont tempérées diachroniquement[37]. Néanmoins, l'on peut se poser la question si les institutions européennes ont un quelconque pouvoir d'harmoniser, voir de codifier les droits privés des Etats Membres. Puisque, comme mentionné, le monisme communautaire implique la cession des compétences dans certains domaines par les Etats en vue de leur exercice en commun avec les autres Etats Membres, le principe cardinal régissant les compétences dans l'Union est le principe de la compétence d'attribution, selon lequel les institutions européennes jouissent strictement des compétences leur attribuées expressément. Comme corollaire, toutes les compétences qui n'ont pas été expressément assignées à l'Union doivent être considérées comme maintenues par les Etats Membres. Or pour l'instant, aucune disposition des traités institutifs ne confère aux institutions européennes la compétence de codifier les droits privés des Etats Membres. La seule solution à envisager, donc, pour sauvegarder la constitutionalité de la démarche déjà en train d'être entreprise par celles-ci, serait d'inclure une telle compétence parmi celles de l'Union. Il est, toutefois, à remarquer que ni le Traité constitutionnel, ni le Traité de Lisbonne, qui, pour être les plus récents, peuvent nous fournir quelques indices sur les priorités européennes de lege ferenda, ne prévoient rien dans ce sens. L'on pourrait, alors, se poser la question si les démarches institutionnelles de codification sauraient se superposer au concept classique d'harmonisation. Diachroniquement, dans la version originaire du Traité CEE, le mot harmonisation apparaît une seule fois, en relation avec les taxes indirectes (art.99). Pour les autres domaines, l'on a préféré le concept d'approximation, portant sur l'élimination des distorsions dans les conditions de compétition entre les Etats Membres. En tant que tel, le concept d'harmonisation est introduit par l'Acte Unique Européen (art. 95 (1) TCE), se référant aux mesures à prendre pour l'approximation des dispositions légales, réglementaires ou d'action administrative dans les Etats Membres, dont l'objet est l'établissement et le fonctionnement du marché interne. L'article en question n'est pas un modèle de clarté ; néanmoins, on pourrait l'interpréter comme susceptible de couvrir le droit privé des Etats Membres, pourvu que cette approximation soit nécessaire pour l'établissement et le fonctionnement du marché interne. Il est à noter, toutefois, les limites interprétatives posées par la Cour Européenne à cet égard, celle-ci concluant qu'« une simple constatation des disparités entre les règles nationales et d'un risque abstrait d'obstacles dans l'exercice des libertés fondamentales ou, encore, des distorsions dans la compétition n'est pas suffisante pour justifier une approximation », sans doute puisque l'article interprété ne concède aux institutions un pouvoir général de régler le marché interne[38]. Dans le même traité, l'art. 94 fait place à l'approximation si les disparités des systèmes légaux des Etats Membres sont de nature à directement affecter l'établissement ou le fonctionnement du marché commun[39]. Peut-on soutenir que les disparités entre les systèmes de droit privé des Etats Membres sont de nature à affecter l'établissement ou le fonctionnement du marché commun ? Il faut, dans cette démarche, faire attention surtout à la disproportion entre la mesure dans laquelle les disparités mentionnées affectent un marché originairement établi dans le contexte de leur existence, d'un côte, respectivement l'étendue et le caractère radical des démarches unificatrices institutionnelles de l'autre. Or la question semble avoir été tranchée définitivement par la Cour de Justice Européenne, qui décide que les dispositions mentionnées, et, plus particulièrement, celles de l'art. 95, ne donnent pas au législateur européen « une compétence exclusive pour réglementer les activités économiques dans le marché intérieur, mais seulement une compétence en vue d'améliorer les conditions de l'établissement et du fonctionnement de celui-ci »[40], impliquant par conséquent que les institutions communautaires n'ont pas la compétence d'entamer une codification, vue l'ampleur que celle-ci suppose[41]. (b) Légitimité. Les auteurs exprimant des réserves relativement au caractère légitime de la codification européenne accusent une connivence dépourvue de légitimité entre les institutions européennes et diverses initiatives privées visant à créer et enforcer le code civil européen[42]. D'un côté, l'on a mis en évidence - à juste titre, en ce qui nous concerne - le manque de fondement qui légitime l'action des institutions. Dans le contexte général ci-dessus esquissé et vu la position de la Cour de Justice des Communautés Européennes, la consultation lancée en droit des contrats (dont la diversité ferait obstacle à l'achèvement du marché intérieur) par la Commission montre, en fait, l'impasse constitutionnelle dans laquelle se trouvent les institutions prêtes, pourtant, à intervenir dans le domaine de la législation civile. D'autre côté, a été relevé le manque de fondement qui légitime l'action de divers groupes de travail (parmi lesquels, le plus actif étant celui du Professeur von Bar). S'agissant, évidemment, des initiatives privées, il faut, néanmoins, remarquer que ce dernier, au moins, n'agit pas comme si son projet était privé (il indique des échéanciers précis d'enforcement, qui supposent le support institutionnel ferme) et, aussi, que le projet ne semble pas non plus privé aux yeux des tiers[43] . Surgit, alors, la question de la loyauté communautaire, entendue non pas dans son sens traditionnel, mais, cette fois, dans l'acception de loyauté que les institutions communautaires doivent aux Etats Membres. Dans les commentaires les plus acides, il se pose la question de savoir si jamais l'on peut en parler dans un contexte où le Parlement européen incite, par ses résolutions, les autorités communautaires à s'immiscer dans un domaine qui relève de la compétence exclusive des Etats Membres et à entamer un processus qui peut mener à « l'ébranlement des sociétés dont ces Etats ont la charge »[44]. A cet égard, l'on a pu mettre en évidence une « connivence illégitime »[45], traduite par la parfaite symbiose entre les institutions européennes et les initiatives apparemment privées, mais sous-tendues en fait par les premières. De toute façon, la circularité des démarches des acteurs impliqués est frappante : le groupe de travail répond aux vœux émis par le Parlement[46] qui reprend, à son tour, à son compte, les réponses formulées par le groupe d'études. Enfin, la légitimité de la codification fait surgir la question d'un potentiel déficit démocratique àanticiper surgissant au moment où l'on introduira effectivement le code dans la législation de chaque Etat Membre. En effet, quelle que soit la méthode choisie[47], les parlements nationaux seront privés de toute possibilité de participer réellement à l'élaboration du code, alors qu'il s'agit de l'organisation interne proprement dite de chaque société. (4) L'épanouissement du marché commun européen impose nécessairement l'existence d'un droit commun du marché européen.Comme pour tous les truismes, la vérité de cette conclusion semble allant de soi[48]. Néanmoins, à y songer de plus près, l'on constatera, par exemple, qu'aux Etats-Unis et au Canada les deux marchés économiques intégrés se sont constitués et fonctionnent avec pleine efficacité sans que l'entrave (juridique) ait jamais été levée. En plus, puisque l'efficacité économique semble être la raison cardinale pour laquelle l'on souhaite avoir un code européen, l'on a pu montrer que, dans un contexte où la forme de prévisibilité requise par le monde des affaires consiste dans la protection des attentes, le formalisme juridique tend, au contraire, à accorder une priorité à la structure normative du contrat, ce qui peut faire échec au commerce[49]. A été, ainsi, théorisé le rejet actuel du formalisme juridique, considéré par les hommes d'affaires comme un instrument réglementaire insuffisant pour les transactions, dans la mesure où ceux-ci souhaitent s'arroger le pouvoir de reformuler et reconfigurer la réglementation à la lumière de la coutume, de l'usage et des intérêts économiques des parties. En outre, ceci suppose un système juridique post-nationaliste qui respecte le pluralisme juridique applicable aux divers marchés, excluant, carrément, le droit commun. (5) Le droit commun du marché commun surgira par l'unification de toute la matière privée européenne, qui sera exprimée par un code.Les seules raisons avancées pour soutenir l'idée de droit commun, aussi bien par les institutions européennes que par les divers groupes de travail, gravitent autour de la notion d'efficacité économique. L'on souhaite codifier les contrats pour développer le marché commun; quelque discutable que ce désir puisse paraître à la lumière des considérants évoqués ci-dessus, il tombe, au moins, sous le coup des « objectifs communautaires » au sens très large du terme. En en parlant, l'on procède, paradoxalement, par extinction, dans la mesure où « le droit commun censé réglementer le marché commun » mène à une réglementation qui se propose d'intégrer toute la matière privée. Par conséquent, la démarche législative européenne, telle qu'envisagée par Commission (dont la constitutionalité et la légitimité sont douteuses), est amenée à réduire une matière riche et complexe (à savoir le droit privé européen) à une dimension exclusivement économique. Or voulant investir le domaine de la législation civile, la Commission ne saurait traiter de cela qu'au regard de ses compétences habituelles - soit la mise en œuvre des libertés communautaires - se montrant le plus probablement incapable de se hisser au niveau requis par une démarche de législation aspirant à l'envergure de la codification.
III.3. Nature de l'instrument
Non seulement, par extinction illégitime, l'objectif de créer un marché commun est interprété comme imposant l'unification de tout le droit privé européen, sous quelque forme que celui-ci puisse se manifester; de surcroît, l'unification souhaitée prendrait la forme d'un « code ». (1) Diachronie.Au point de vue diachronique, le choix de l'instrument « code » est paradoxal : les codes civils du 19e n'ont pas eu pour objectif d'unifier, mais de séparer. En effet, ils étaient censés marquer la rupture d'avec la « communauté » d'idées et d'intérêts qui, sous l'emblème du jus commune, avait « uni » les systèmes juridiques de tradition romaniste. Diachroniquement, donc, il est bizarre de constater que l'on attend d'un « code », dans le sens traditionnel du concept, d'unifier ce qu'il a, auparavant, séparé. A cet égard, certains ont estimé que le mouvement devenait compréhensible uniquement si l'on pensait à son ressort bureaucratique. Si, originairement, la mise en écrit des coutumes dans un code, soit le processus de formalisation des droits nationaux en Europe continentale, a été censé faciliter l'exercice du pouvoir royal par une classe de fonctionnaires qui géraient le royaume, actuellement, le particularisme juridique doit être supprimé parce qu'il contrevient à l'efficacité administrative de la bureaucratie européenne[50]. (2) Le code comme instrument fondamental.Le « code » n'est pas un instrument juridique quelconque. Traditionnellement, il représente le livre de référence de la nation,soit le dépositaire des valeurs juridiques qui constituent l'identité d'une tradition légale. Entendu dans son sens originaire, le code marque le statut ontologique même de la nation[51]. Dans ce contexte, le code n'est pas un simple moyen de se rapporter à une culture juridique, il est la culture en question même. Or, le Code européen est étranger à ce paradigme. Il réalisera en premier lieu la coupure des traditions juridiques européennes de tout arrière plan national (dans la mesure où il remplacera les codes nationaux), pour, par la suite, y substituer une simple forme, à laquelle rien ne correspond comme élément relevant d'une tradition. Ontologiquement, le Code européen ne dénote rien. Il représente une entité épistémologique paradoxale, un être de paroles.
III.4. Effets
Le choix de l'instrument « code » n'est pas souhaitable au niveau communautaire, vu les effets y attribués traditionnellement. (1) L'effet de codification.Pour Bourdieu, la codification opère, une fois instaurée dans le système, un changement de nature ou de statut ontologique. Il théorise ainsi « l'effet de codification », qui excède la matière privée, pour toucher au système légal dans son ensemble[52]. Le code fige le droit et instaure un système fermé. A cet égard, l'on a pu donner l'exemple du Code Napoléon qui a fait que le droit français arrive à sa date en 1804, marquant la fin de l'histoire[53]. En effet, par la volonté du législateur s'exprimant dans la codification, les notions, catégories et textes retenus par celui-ci deviennent le droit civil. Le code fonctionne ainsi comme un mécanisme de remplacer le vécu par le texte tout puissant : il retrace le statut ontologique de la personne, qu'il fixe par la suite de manière immuable, disloque les entités du réel, les obligeant de s'intégrer dans ses limites. Or la glaciation et la pétrification du droit, qui vont de paire avec toute codification, ne sont pas susceptibles de mener à l'épanouissement du marché commun, très dynamique; au contraire, il est raisonnable de prédire qu'ils finiront par entraver le commerce. Il convient également de penser à la difficulté procédurale soulevée par la projetée codification : vu l'importance cardinale du texte et l'ébranlement que l'effet de codification engendrera dans le système communautaire, il est à supposer que le code s'exprime par un traité, qui, modifiant à fond l'ordre européen, devra être ratifié à l'unanimité[54]. Les plus récents traités européens nous enseignent, néanmoins, que ce processus, loin d'être facile et de conduire vers un consensus, se fait plutôt l'expression de l'ordre juridique européen en tant qu'ordre éclaté. En même temps, paradoxalement, il n'est pas certain que le code européen, une fois entré en vigueur, puisse assurer la cohérence dans le système de droit privé européen : s'il n'est pas assumé, le code sera employé comme un « portail », par lequel les juges nationaux trouveront les moyens de s'échapper à la rigueur du texte; le procès d'unification ne mènera, donc, pas nécessairement à un droit unitaire. (2) Le code comme acte de pouvoir.Comme anticipé ci-dessus, toute codification est un acte de pouvoir, dans le sens qu'elle contraint la pensée légale non pas seulement dans un domaine quelconque, mais dans tout le système juridique donné. Aussi, la force du code est-elle à être qualifiée pour performative (le code instaure la cohérence, la complétude et la permanence dans un espace juridique), étant, en même temps, une force symbolique (la codification est tellement importante pour le système dans lequel elle surgit que la physionomie de celui-ci s'y rapporte inéluctablement, étant construite autour du code et par le code). Simultanément, par sa manière d'être, le Code privilégie une certaine manière de créer le sens juridique, dont les traits fondamentaux seraient la systématicité, le fonctionnalisme, la démarche interprétative positiviste[55], avec toutes les conséquences y découlant. Le code a, ainsi, la capacité d'interdire les autres visions juridiques du monde, qui ne s'y rattachent pas. Il a pu, donc, être caractérisé comme « forme de gouvernance », instaurant, d'un côté, un certain type d'ordre, d'organisation, mais aussi, d'autre côté, une forme de répression, de violence[56], dans le sens d'exclusion absolue des formes juridiques qui, par leur nature, ne peuvent s'inscrire dans la logique du code. Dans l'ordre juridique européen il existe, évidemment, une tradition légale fondamentalement réticente à la logique de la codification. La force performative d'une virtuelle codification européenne entendue dans le sens traditionnel et classique du terme, exclura, d'emblée et définitivement, l'espace du common law. (3) Le code comme construction.Le Code est l'aboutissement d'une construction juridique. Il incarne le construit juridique surpris dans son hypostase la meilleure. Jamais la codification n'est-elle du droit fruste ; bien au contraire, la codification est le jus s'exprimant comme lex. Le code est le résultat d'une analyse légale qui révèle dans l'ensemble appelé « droit » uniquement ce qui mène à la conclusion d'une unité logique[57], ce qui relève du système, créant par cela le système, ce qui se détache du contexte extralégal. Or, ce trait inhérent à la codification réverbère sur la manière de penser (donc, de construire) la matière privée européenne, avec des conséquences discutables au point de vue des choix que cette dernière implique. Dans ce sens, l'on a pu théoriser un « abîme épistémologique » dans l'appréhension du droit privé européen, se rattachant à son tour à l'orthodoxisme dans le droit privé comparé actuel[58]. L'on constate, en effet, un entendement commun des comparatistes sur « le droit privé européen », artefact construit mimétiquement sur le modèle du code, soit comme (a) produit de l'analyse légale rationalisante, à la recherche de l'unité logique ; (b) ensemble systématisé ; (c) ensemble a-contextuel. (a)Pour construire « la matière privée européenne », les comparatistes développent des techniques sophistiquées et standardisées, maîtrisant des corpus textuels qu'ils ont abstraits de leurs contextes légaux et qu'ils proclament comme étant « de nature européenne ». Les Principes du Droit européen des contrats sont, par exemple, le résultat des investigations de doctrine portant sur les différences et les identités dogmatiques en matière des contrats dans les traditions européennes. Mais, dans une mesure au moins égale, ils représentent des décisions selon lesquelles certaines des règles mises en évidence sont « plus européennes » que d'autres[59]. Les décisions sont fondées sur une réflexion juridique purement logique, qui cherche à mettre en relief les aspects communs et dont le présupposé est l'existence même des aspects communs qui, à travers une analyse logique, surgiront à la surface. En effet, les études légales comparées ne sont que l'instrument par lequel surgit ce droit identitaire européen, dont l'effet subséquent est l'effacement recherché des différences. (b) Selon le point de vue axiomatiquement partagé aujourd'hui, l'européanisation représente un phénomène systématique. Comme preuve, les règles rationnelles qui forment le droit privé européen sont envisagées dans un contexte imaginé de catégories organisées et de schémas qui les valident (ainsi, le droit européen des contrats consiste-t-il en un système conceptuel unitaire). De manière codique, les règles de droit sont conceptualisées comme les constituants d'un set sophistiqué de concepts théoriques, qui, eux, confèrent du sens aux mots des règles, et dirigent l'interprète dans sa tâche d'en dériver le sens (c) Le droit privé européen (et sa comparaison) sont développés indépendamment des buts / facteurs extra-légaux et rendus par desconcepts juridiques, donc, neutres. En « construisant » la matière privée européenne, l'orthodoxisme passe de vue un ensemble de développements européens d'une importance considérable, ce qui fait que les effets de la perspective codique soient discutables pour l'ordre juridique européen. (d) L'exigence de la codification selon laquelle le droit est à comprendre comme règle déduite rationnellementperd a priori de vue l'européanisation qui a lieu par les non-règles (rendue possible par le truchement des juges qui décident parfois en s'appuyant sur des considérations matérielles - morales, économiques, politiques, sociales - plutôt que sur des règles formelles, et ceci dans des matières se trouvant au cœur du droit des contrats). Egalement, cette manière de procéder perd de vue la pluralité de solutions que les traditions européennes offrent, le plus souvent, aux questions juridiques. Comme mentionné auparavant, les règles « européennes choisies » sont réputées plus importantes que celles mises de côté, appréciées comme moins importantes, alors qu'une analyse rigoureuse demanderait de les considérer toutes comme révélatrices[60]. (e)D'autre part, la systématisation pyramidale du droit européen exclut tout élément qui y résiste. Or,l'européanisation n'est pas seulement un acquis dans le sens statique (le résultat), mais aussi un acquis dans le sens dynamique (un processus). Nulle part les promoteurs du Code civile européen ou du droit européen des contrats ne traitent de la question de la résistance à l'harmonisation (dont l'exemple notable est celui des décisions des cours nationales qui se sont estimées compétentes d'interpréter discrétionnairement les règles européennes). Ce qui plus est, commela systématisation est l'essence même de la codification, la logique du système de common law est a priori passée de vue, la systématisation en tant que telle étant, de toute manière, comprise dans un sens étroit, civiliste[61]. (f) L'impératif du droit neutretransforme ledroit européen des contrats (et le droit européen privé en général) dans un set de règles dépourvues de vie et artificiellement développées selon une logique légaliste, quiignore, premièrement, le fait que le droit national des contrats s'est développé en étroite liaison avec un contexte social, économique et politique et qui ignore aussi, sur le plan épistémologique, la démarche légale comparative originaire, selon laquelle le droit comparé consiste en l'entendement du droit étranger dans son contexte[62]. Or l'on peut légitimement se poser la question pourquoi le droit contractuel, se trouvant traditionnellement ancré dans une interaction complexe avec tout un contexte sociopolitique idio-syncratique, acquière une telle neutralité une fois avoir subi une démarche d'européanisation.
IV. En guise de conclusion (comment fuir le paradoxe) L'Europe connaît, donc, deux types contrapuntiques de production de sens juridique. Le désir de les faire fonctionner ensemble relève du paradoxe au sens propre et fort du terme et, dans ce sens-là, le Code européen est une construction épistémologique paradoxale. De surcroît, ne fût-ce que par son nom, l'instrument juridique que l'on souhaite adopter exprime une préférence certaine pour la production axiomatique du sens juridique, si bien que, par le « code européen », l'une des deux grandes traditions juridiques européennes s'imposera définitivement sur l'autre[63]. Or dans ce contexte, il semble ne plus être question de vouloir dépasser le paradoxe de la codification européenne, mais d'accorder prééminence à l'un des formants de l'entité, au détriment de l'autre, violenté et par la suite réduit au silence. Si l'on souhaite, néanmoins, faire une place à la tradition de common law dans le droit privé européen, il faudrait, peut-être, réinventer l'instrument censé exprimer ce dernier. En logique, la solution des situations paradoxales consiste dans la suppression de la possibilité même qu'ils surgissent dans les limites d'une théorie, par l'élimination du contexte qui les a générées. A cet égard, la déficience fondamentale, à notre sens, du « Code civil européen » et que, sous-théorisée comme elle est, la codification est censée fonctionner moins comme instrument par lequel s'exprime le droit privé européen (tel que celui-ci est à l'heure actuelle et dans la mesure où l'on peut raisonnablement en parler) et plutôt comme technique de gestion (discutable) de la différence intrinsèque qui existe entre les systèmes légaux nationaux. Rien ne justifie, au fond, cet essai d'uniformisation. Rien ne garantit, objectivement, qu'une fois la codification acquise, elle pourra être considérée comme le « meilleur droit » par rapport à ses avatars nationaux révolus[64].
· Chargé de cours à la faculté de Droit de l'Université d'Ouest de Timisoara, Roumanie ; elle enseigne le droit comparé et le droit communautaire ; bercea_raluca@drept.uvt.ro [1] Dans le sens étymologique; voir G. Enescu, Paradoxuri, sofisme, aporii, Editura Tehnică, Bucureşti, 2003, p. 26. [2] Ou „théorie contradictoire" (Id., p. 121). [3] Id., p. 141. [4] Plusieurs tentatives doctrinales sont connues, dont certaines mentionnées par E.Hondius, Towards a European Civil Code, dans Arthur Hartkamp, Martijn Hesselink, Ewoud Hondius, Carla Joustra, Edgar du Perron, Muriel Veldman (éd.), Towards a European Civil Code, Kluwer Law International, 2004, pp. 3-20: les travaux de la Commission Lando matérialisés dans Les Principes du Droit Européen des Contrats, décrit comme étape décisive dans le procèssus progressif de codification du droit des contrats en Europe; le principal adversaire de la Commission Lando, Gandolfi, Académie des privatistes, qui, en 2001, fait paraître le Code européen des contrats, Avant-projet); le groupe Spier et Koziol (établi en Hollande et en Autriche), qui réalise le set de Principes de Droit Privé Européen, utilisant la méthode du questionnaire; le projet privé de Bussani et Mattei, aboutissant au Trento Common Core of European Private Law; l'expérience le mieux connue, celle de certains membres de la Commission Lando, en coopération avec d'autres professeurs d'université, le Projet du Code civil, dont le coordonnateur est le professeur Christian von Bar (Université d'Osnabrück). [5] Selon P. Legrand, Le droit comparé, 2e éd., Presses Universitaires de France, Paris, 2006, p.3, la configuration juridique européenne a, notamment, favorisé „l'avènement de deux mentalités (de deux constellations de dispositions orientant le rapport à soi et à l'autre, intériorisées, consciemment ou non, à partir des structures pré-individuelles méta-stables, structurées et structurantes) ou de deux types d'épistémologie juridique, chacun, dans sa contingence historique, avec ses mécanismes propres de répétition et sa force disséminante particulière: d'une part, la tradition dite « romaniste », de facture nomothétique; d'autre part, la tradition de common law, d'allégeance idiographique". [6] Voir, par exemple, R. David, Les grands systèmes de droit contemporains, Dalloz, 2002. [7] P. Legrand, Le droit comparé, 1ère éd., Presses Universitaires de France, Paris, 1999, p. 95. [8] P. Legrand, G. Samuel, Introduction au common law, Éditions La Découverte, Paris, 2008, p. 3. [9] Ibidem. [10] Selon Heidegger, „la systématicité constitue la scientificité d'une science" (M. Heidegger, Schelling: le traité de 1809 sur l'essence de la liberté humaine, Paris, Gallimard, 1977, p. 73). [11] Pour une perspective contrastive exhaustive, voir P. Legrand, G. Samuel, Brèves épistémologiques sur le droit anglais tel qu'en lui-même, dans Revue Interdisciplinaire d'Etudes Juridiques, no. 54/2005. [12] G. Samuel, Epistemology and Method in Law, Ashgate, Dartmouth, 2002, p. 104, apud Id., p. 27: „le raisonnement juridique consiste non pas à appliquer des règles générales préétablies, mais à pousser vers l'extérieur à partir des faits". [13] Voir M. Rosenfeld, Just Interpretations, Berkley, University of California Press, 1998, p. 32, qui, parlant du sens en common law, estime que celui-ci ne sera pas fixé „tant que le crépuscule ne sera pas retombé sur le dernier des jugements à venir". [14] Id., p. 26. [15] ReT (A Minor), [1997] 1 WLR 242 (CA) 254, apud Id., p. 27: « tous ces litiges sont tributaires de leurs propres faits et rendent les généralisations - si séduisantes soient-elles aux yeux du commentateur juridique ou social - complètement déplacées » (Court of Appeal). [16] Id., p. 29. [17] Le cas le plus connu est celui des paradoxes qui ont subminé les constructions mathématiques traditionnelles; voir G. Enescu, Paradoxuri, sofisme, aporii, op. cit., p. 121: „Multă vreme paradoxurile gândirii păreau să fie un simplu joc. Studiul lor sistematic s-a impus abia atunci când ele, pe neaşteptate, au apărut chiar în corpul construcţiilor matematice. Rând pe rând, paradoxurile lui Burali-Forti, Cantor, Russell, Richard ş.a., au spulberat ideea despre caracterul „ideal" al construcţiilor matematice, impunând şi aici, ca pretutindeni, principiul relativităţii cunoaşterii". („Longtemps, les paradoxes de la pensée ont semblé être un simple jeu. Leur étude systématique s'est imposée seulement lorsque, de manière inattendue, ils ont apparu dans le corps même des constructions mathématiques. Tour à tour, les paradoxes de Burali-Forti, de Cantor, de Russell, de Richard et des autres ont détruit le mythe du caractère „idéal" des constructions mathématiques, imposant ici, comme partout, le principe de la relativité du savoir" - notre trad.). [18] Eu égard aux traits mêmes qui assurent l'originalité du projet de l'Union Européenne - effet direct et immédiat du droit communautaire, prééminence de celui-ci sur les droits nationaux, caractère constitutionnel de l'ordre juridique communautaire - les auteurs parlent du plan machiavelique de la Cour Européenne de Justice, qui aurait poussé l'évolution de l'Union dans une direction non entièrement assumée par les Etats Membres fondateurs. Voir, dans ce sens, Z. Bankowski, E. Christodoulidis, The European Union as an Essentially Contested Project, dans European Law Journal, no. 4/1998. [19] La conférence a été annoncée sous le tire „Vers un Code civil européen ?" et, plus précisément, intitulée „From principles to codification: prospect for European private law". La traduction française du discours a été publiée dans Les annonces de la Seine, 3 juin 2002, no. 33, p. 1. Nous tenons les références de Y. Lequette, Quelques remarques à propos du projet de Code civil européen de M. Von Bar, D. 2002. Chr. 2202, pp. 2202-2213). [20] Id., p. 2207: „En d'autres termes, comme projet d'avenir pour le XXe siècle, M. Von Bar nous propose le retour à l'an 800 et par-delà le Saint Empire romain-germanique à l'Empire carolingien". [21] P. Legrand, A Diabolical Idea, dans Arthur Hartkamp, Martijn Hesselink, Ewoud Hondius, Carla Joustra, Edgar du Perron, Muriel Veldman (ed.), Towards a European Civil Code, op.cit., pp. 259 et suiv. [22] Pour une synthèse des opinions exprimées dans la doctrine internationale relativement au type de constitutionalisme propre à l'Union Européenne, voir R. Bercea, Drept comunitar. Principii, CH Beck, 2007, chap. III, pp. 98 et suiv. [23] Les arguments contraires à cette thèse vont dans le sens qu'il n'y a pas de domaine qui, en 1950, relevait de la compétence exclusive de l'Etat et qui ne soit à présent incorporé dans la sphère de compétence de l'Union Européenne. En effet, après l'institution de la Charte des Droits Fondamentaux et une fois acquise la souveraineté monétaire, presque toutes les fonctions essentielles de l'Etat nation peuvent être remplies par cette dernière et même si personne ne suggère aujourd'hui que l'Union serait un Etat, l'on emploie souvent des concepts tels Etat européen, souveraineté européenne. Il faut, toutefois, remarquer que ceci n'est, pourtant, que le signe d'une évolution poussée à l'extrême, non entièrement assumée par les Etats Membres. La preuve en est le refus de ratification du Traité dit « constitutionnel » et la destinée incertaine à présent du Traité de Lisbonne, malgré le fait que ce dernier a beaucoup adouci les tendances d'unification constitutionnelle de son antécesseur. [24] Il s'agit du trio territoire - population - gouvernement. Or aucun de ces concepts ne saurait s'appliquer à l'Union Européenne. Ainsi, l'Union ne peut être qualifiée pour Etat, car elle ne possède pas de territoire propre, sur lequel s'exercerait la plénitude de ses compétences. Le concept est, par ailleurs, omis aussi bien par le Traité constitutionnel, qui le remplace par celui d'espace juridique / légal (renvoyant à la fluidité territoriale, à l'autorité fragmentaire et aux juridictions superposées), que par le Traité de Lisbonne. De même, il n'y a pas de peuple européen (et, sans doute, il n'y en aura jamais), même si l'évolution des concepts européens fondamentaux en la matière s'achemine vers là (en diachronie, les ressortissants des Etats Membres sont devenus, grâce à l'effet direct du droit communautaire imposé par voie prétorienne par la Cour de Justice des Communautés Européennes, destinataires des normes communautaires, et, par la suite, grâce au Traité de Maastricht, les citoyens de l'Union Européenne. Néanmoins, la citoyenneté européenne est conditionnée ontologiquement par la citoyenneté nationale, qu'elle complète, sans pour autant remplacer). Enfin, la manière d'exercer la souveraineté dans l'Union Européenne fait le propre de la gouvernance plutôt que du gouvernement. La souveraineté au sens classique y est absente, car il y manque un régulateur central, remplacé par un système polycentrique. Par ailleurs, le concept de gouvernance (renvoyant au réseau et à plusieurs centres de pouvoir), remplace, dans les derniers traités européens, celui de « gouvernement » et les références à l'acte de gouverner. Voir, dans ce sens, J.-F. Vasseur, L'absence du « territoire », pp. 161-172 ; R. Maison, Les « fonctions essentielles de l'Etat », pp. 223-240 ; L. Jourdain, La « gouvernance », pp. 95-116, dans Les mots de la Constitutions européenne, Centre de recherche universitaire sur la construction européenne, Presses Universitaires de France, Paris, 2005 ; voir, également, P. Craig, Constitutions, Constitutionalism and the European Union, dans European Law Journal, vol. 7, 2001, pp. 125-150. [25] Cette remarque est d'autant plus forte qu'elle vient d'un partisan de l'idée d'unité légale: B. S. Markesinis, Why a Code is not the best way to advance the cause of European legal unity, dans European Review of Private Law, no. 5/1997, pp. 519-524. [26] J'emprunte l'idée générale à P. Legrand, dans On the Singularity of Law, dans Harvard International Law Journal, vol. 47, no. 2, 2006 (pour la traduction roumaine, voir P. Legrand, Despre singularitatea dreptului, dans Pandectele Române, no. 6/2007). [27] Pour le rapport entre globalisation et localisation, voir Id., p. 523 et suiv. Pour un paragraphe éloquent: „The idea of non-location in space and, indeed, non-situation in time is untenable. Any manifestation of the legal- even the most allegedly "global"-must be located in space and situated in time. No matter how cosmopolitan the trans-national institution or practice, any effectuation of it must manifest itself singularly" (p. 523). Egalement, „Whether one is talking about a municipal ordinance, a European directive, or an international convention, whether one is addressing security issuance, syndicated loans, or Incoterms, each manifestation of law is an event, that is, it occurs or deploys itself as "something" that is never the repetition of anything else and that will never be repeated either-it occurs as something operating within a specific historical situation and within a historical situation which, because time is what it is, is inevitably specific" (p. 527). Dans un autre texte, P. Legrand, La leçon d'Apollinaire, dans l'Harmonisation du droit des contrats en Europe (dir. C. Jamin et D. Mazeaud, Paris, Economica, 2001), le même auteur se réfère au phénomène comme impliquant le „décentrement" de la règle globale une fois enterrinée dans une tradition. [28] Pour une étude centrée sur la glocalisation des règles comprises dans diverses réglementations européennes fondées sur le concept de bonne foi, une fois qu'elles sont devenues obligatoires pour les pays appartenant aux deux traditions légales ci-dessus, voir G. Teubner, „Legal Irritants: Good Faith in British Law or How Unifying Law Ends Up in New Divergences", dans Modern Law Review, no. 61, 1998. [29] Comme on essayera de démontrer tout à l'heure, la solution d'un paradoxe n'est jamais la synthèse (impossible !), mais, au contraire, la déconstruction de son contexte, en tant qu'élément qui permet le fonctionnement aberrant. Mutatis mutandis, il n'est pas possible de « synthétiser » le droit privé d'allégeance romaniste et celui de common law (entre autres, pour la raison élémentaire que cette dernière tradition ne connaît même pas la distinction public / privé) et de proclamer cette « synthèse » comme étant « le Code civil européen » ; cette manière d'entendre la problématique en discussion est vraiment des plus rudimentaires qui existent. Il y a, en revanche, des auteurs que comme M. Hesselink, The principles of European Contract Law: Some Choices Made by the Lando Commission, dans Global Jurist Frontiers, 2001, I, pp. 1-68, qui idenifient dans certaines des initiatives de codification le mieux connues (en l'occurrence, celle de la Commission Lando), des éléments qui suggèrent le compromis entre les deux traditions légales européennes. Ainsi, la Commission Lando, qui exprime expressément son espoir que les principes seront un jour enforcés dans un sens formel, de préférence sous la forme d'un code civil européen, opte pour la formalisation du droit général des contrats (et non pas du droit général des obligations, ce qui aurait représenté le choix typique dans la tradition romaniste), afin de créer « un langage contractuel européen commun ». Formellement, la Commission Lando choisit de rédiger les principes en anglais, entendu comme lingua franca parmi les juristes, la traduction française suivant la parution originaire. Quant aux choix strictement terminologiques, l'on estime que le texte est rédigé plutôt dans une nouvelle langue juridique. En effet, la Commission évite d'utiliser la terminologie typique, caractéristique d'un système juridique quelconque, les mots anglais n'étant pas pris dans le sens juridique traditionnel qu'ils développent dans le common law. [30] Si le Plan d'action de la Commission du 2003 prenait en considération plusieurs options susceptibles de mener à l'unification de la matière privée européenne (systématisation de l'acquis communautaire; introduction d'un Code civil européen qui remplace complètement les codes nationaux ; introduction d'un Code civil européen qui complète les codes nationaux), la position institutionnelle actuelle va plutôt dans le sens d'un code alternatif. En principe, la Commission Européenne semble être en faveur d'un processus fondé sur l'acquis communautaire et non pas sur les approches de droit comparé, affirmant, explicitement, qu'un pré-code ou un cadre commun de référence (common frame of reference) pourraient, par exemple, servir pour rendre compatibles les directives les unes aux autres, ou, plus généralement, pour élaborer un nouveau cadre international de concepts et normes de droit civil. Les principes, concepts et règles « communes » sont à trouver dans l'acquis communautaire. La démarche de la Commission Européenne est, certes, beaucoup plus légitime que ses avatars institutionnels (voir infra la note 37), sans pour autant représenter une innovation substantielle par rapport à l'acquis européen. En plus, il faut remarquer son caractère contradictoire dans le contexte du droit européen général. Selon la logique des traités institutifs, les Etats Membres doivent se reconnaître réciproquement les systèmes de droit; la subsidiarité et la proportionnalité (actuellement constitutionalisées), tout comme le caractère normatif incomplet de la directive, partent du présupposé que les différences entre les Etats Membres sont insurmontables ou qu'elles ne doivent être transgressés. [31] Pour un appel sans ambages à la « manipulation » des droits, voir B. S. Markesinis, Why a Code Is not the Best Way to Advance the Cause of European Legal Unity, op.cit., p. 520 [« manipulation »]. [32] Voir les dicta de la Cour dans les arrêts Van Gend en Loos (CJCE, C 26/1962, NV Algemene Transport - en Expeditie Onderneming van Gend en Loos c/ Administratie der Belastingen) et Costa c. Enel (CJCE, C 6/1964, Flaminio Costa c/ E.N.E.L.). [33] Dans Costa c. Enel, mentionné ci-dessus, l'"ordre juridique propre" instauré par le Traité CEE est, en effet, expressément caractérisé comme „intégré dans le système juridique des Etats Membres". [34] Les théories du „système en crise", de l'Union Européenne comme „concept vague" et comme „voyage sans fin" ont été imposées par Z. Bankowski, E. Christodoulidis, The European Union as an Essentially Contested Project, op. cit., respectivement par N. MacCormick, Democracy, Subsidiarity and Citizenship in the „European Commonwealth", dans Law and Philosophy, no. 4/1997. [35] Comme on essayera de prouver, les vices de la non-constitutionalité et non-légitimité sont, par conséquent, les plus redoutables, vu qu'ils remettent en question l'essence même du système (voir infra III.2 (3). [36] Puisque cette démarche contredisait le principe cardinal du droit communautaire - l'attribution de compétence - la Cour de Justice des Communautés Européennes s'est vue obligée d'imposer la théorie - assez vivement contestée - des compétences implicites. L'on a remarqué, à cet égard, surtout le caractère très discutable du choix des domaines dont la Cour avait dit qu'ils relevaient « implicitement » de la compétence des institutions. Ainsi, par exemple, même si dans les années '80 la nécessité de protéger les droits fondamentaux dans l'Union Européenne apparaît comme évidente (ceux-ci n'étant pas prévus par les traités institutifs en raison justement du caractère purement économique de ceux derniers), et en dépit de la volonté des autres institutions européennes (l'on avait, à l'époque, théorisé « le principe de l'adhésion des Communautés Européennes au système de la Convention Européenne des Droits de l'Homme »), la Cour de Justice des Communautés Européennes estime que les droits fondamentaux ne relèvent pas des objectifs communautaires, donc que les institutions européennes ne détiennent aucune compétence, même implicite, en la matière (voir le célèbre Avis no. 2/1994 du 28 mars 1996 de la CJCE). [37] Les positions institutionnelles les plus relevantes sont : les résolutions du Parlement européen (1989, 1994, 2000, 2001), montrant l'intention de l'Union Européenne d'accélérer l'harmonisation du droit privé en Europe, le plan politique développée par le Conseil, respectivement la prise de position (2001) et le plan d'action de la Commission (2003). (a) L'idée du Code civil européen est formulée au niveau politique, pour la première fois, en 1989, dans une résolution du Parlement, qui se prononce en faveur du Code. A l'époque, selon le Parlement, il fallait chercher les dénominateurs communs des institutions de droit privé des Etats Membres, à l'aide d'une démarche critique de droit comparé. L'on envisageait un code européen exclusif, censé remplacer les codes nationaux. (b) La codification européenne devient par la suite un projet politique; lors du sommet de Tampere, en 1999, le Conseil se penche sur les idées proprement-dites à développer dans un Code civil. Simultanément, est adopté The Sales Law Directive, qui témoigne d'un changement de perspective : l'on ne se borne plus à la réglementation des contrats et du marché, étant également envisagé le domaine plus large d'un ordre contractuel alternatif (reserve contract order ; Reservevertragsordnung). La mise en œuvre d'un instrument général qui couvre tout le droit des contrats passe déjà pour un aquis communautaire. (c) La Communication de la Commission en 2001, à l'intention du Conseil et du Parlement, à laquelle le Parlement répond en 2001 (Decision on the Approximation of Civil and Commercial Law of the Member States) marque déjà la conclusion institutionnelle que le code civil européen sera entièrement ou, avec prépondérance, destiné au droit des contrats, alors que le Plan d'action de la Commission établi en 2003 discute plusieurs autres options, imposant la conclusion d'un pré-code ou d'un cadre commun de référence (common frame of reference) s'appuyant sur l'acquis communautaire et censé établir un nouveau cadre international de concepts et normes de droit civil (pour la critique de cette démarche voir supra la note 30). [38] CJCE, C-376/98, Allemagne c/ le Parlement et le Conseil, 2000, § 83 et 84. Il est peut-être intéressant de souligner que, au point de vue procédural, si les conditions de l'art. 95 sont remplies, le législateur communautaire pourra aboutir à la codification (entendue comme moyen d'harmoniser les droits nationaux) par co-décision, la réglementation en tant que telle prenant la forme d'un acte normatif de droit dérive. [39] Une mesure législative sur cette base requiert l'Unanimité dans le Conseil et sera exprimée par la voie des directives. [40] CJCE, C-491/2001, § 179. [41] CJCE, C-255/2001, Tobacco. [42] Voir, pour des arguments exhaustives, Y.Lequette, Quelques remarques à propos du projet de Code civil européen de M. Von Bar, op.cit. En résumé, les faits qui ont soulevé les soucis de légitimité sont les suivants: le 12 avril 2002, Christian von Bar, président d'un groupe d'études constitué en juillet 1999, annonce, dans une conférence devant la grande Chambre de la Cour de cassation, que les résultats de la recherche de son groupe (menant au Code civil européen) seront enseignés dans toutes les universités européennes, à partir de 2005, respectivement qu'il seront utilisés par les institutions européennes dans leurs travaux législatifs, alors que, déjà en 2010, ils deviendront le droit commun européen. Les simples débats spéculatifs dans les pays européens se traduisaient d'un coup par des résolutions du Parlement, la constitution des groupes de travail, la prise officielle de position du Professeur von Bar, donnant l'impression que la machine communautaire est en marche, menant, inéluctablement, à l'unification. [43] Il faut rappeler que c'est la grande Chambre de la Cour de cassation française qui accueille le Professeur von Bar lors de son discours. [44] Y. Lequette, Quelques remarques à propos du projet de Code civil européen de M. Von Bar, op.cit., p. 2211. [45] Ibid. [46] « La résolution du Parlement de 2001 coïncide sur pratiquement tous les points avec notre contribution », Ibid. [47] Deux méthodes ont été, en principe, envisagées par la doctrine. Premièrement, il s'agirait d'un acte de droit dérivé, dans l'hypothèse où le fondement de la codification serait „l'harmonisation" ou „l'approximation" des droits nationaux (voir supra notes 38 et 39). Dans cette hypothèse, le procédé serait incorrect au point de vue politique. Pour un effet maximum, le législateur européen choisirait, le plus probablement, le règlement, dont le propre est d'être rédigé par des experts échappant à toute responsabilité politique et hors de tout contrôle, d'être discuté en huis clos et, possiblement, sans que les représentants du peuple en soient même avertis. A notre avis, vu l'ampleur des conséquences de la démarche unificatrice, le code européen devrait être intégré dans un traité modificateur, à ratifier unanimement par les Etats Membres. Cette forme de participation de ces derniers au changement de l'ordre européen n'est que formelle, le traité n'étant plus amendable lors de son passage devant les parlements nationaux, qui ne pourront que l'accepter tel quel ou refuser de le ratifier. [48] Il faudra, quand même, se demander si „ce qui va de soi doit effectivement aller de soi" (M. Foucault, L'intellectuel et les pouvoirs, dans Dits et écrits (dir. D. Defert, F. Ewald, Paris, Gallimard, 2001, II, p. 1569. [49] H. Collins, Formalism and Efficiency : Designing European Commercial Contract Law, dans European Review of Private Law, no. 8, 2000, p. 211. [50] P. Legrand, Sens et non-sens d'un code civil européen, dans Revue Internationale de droit comparé, 1996, p. 801, où l'auteur parle expressément de „la bureaucratisation du droit" comme ressort de la codification européenne. [51] Aussi, Carbonnier a-t-il pu dire que « la véritable constitution de la France est le Code civil », qui récapitule les idées autour desquelles s'est constituée la société française au sortir de la Révolution. Le Code Napoléon est considéré comme remarquable surtout par son but, qu'il atteint pleinement : créer une constitution civile, un droit unifié et centralisé. Ainsi entendu, tout Code est un modèle de rationalisation; pour preuve, ce n'est qu'un « cataclysme » qui pourrait le secouer. C'est pourquoi le Code civil Napoléonexiste toujours depuis plus de 200 ans (1804), leCode civil allemandest en force depuis plus d'un siècle(1900), alors que, diachroniquement,dans le droit roumain, régissant une société qui change de façon dramatique de constitution, la constitution civile, heureusement maintenue toujours en vigueur, assure la conservation de la physionomie du système (l'appartenance révolue du système au droit socialiste n'étant qu'une mécanique plaquée sur une configuration de droit romanique, préservée grâce à la codification). [52] P. Bourdieu, Habitus, code et codification, dans Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 64, 1986, pp. 41-43. [53] P. Legrand, Sens et non-sens d'un code civil européen, dans Revue Internationale de droit comparé, op.cit., p. 787. Dans le sens que rien n'ait pu survenir par la suite qui ne s'inscrive dans le paradigme anticipatrice posé par le Code. [54] Voir supra la note 47. [55] Voir supra II.1. et infra III.3. [56] P. Legrand, Antivonbar, op. cit., p. 30 [„violence"]. [57] Comme le papier utilisé auparavant par les photographes, les traits révélés sont en même temps déjà là, intrinsèques au sujet de la photogpraphie et là uniquement grâce au catalysateur qui choisit de les révéler au détriment d'autres, également là. [58] La critique de la construction actuelle du droit privé européen nous a été suggérée par L. Niglia, Taking Comparative Law Seriously - Europe's Private Law and the Poverty of Orthodoxy, The American Journal of Comparative Law, 401, 2006. Pour un équivalent du concept d'"orthodoxie" dans la comparaison juridique, voir celui de „doxa", imposé par P. Legrand, « Paradoxically, Derrida : For a Comparative Legal Studies », (2005) 27 Cardozo Law R. 631, p. 632. [59] C'est à ce point que l'on devait faire place au concept de « relativisation ». Voir, dans ce sens, P. Legrand, Droit comparé, op. cit., 1ère éd., note 74, p. 17 : « Le droit étranger vu à travers la lorgnette du comparatiste, ce serait ainsi - en tout cas, bien davantage qu'on ne le croit - un collage hétérogène bricolé par lui eu égard à une problématique par lui élaborée ». [60] L'auteur de cette critique parle explicitement d'une approche qui attribue des valeurs aux différentes solutions juridiques et qui range celles-ci par la suite [« ranking approach »];[« values are attributed to legal solutions »]. Cette approche en droit comparé est le mieux illustrée par le livre maître de l'orthodoxie comparative, Konrad Zweigert et Hein Kötz, An Introduction to Comparative Law, 3e éd. trad. par Tony Weir, Oxford, Oxford University Press, 1998. Kötz entend littéralement la production du discours de la comparaison comme une « activité intellectuelle » (op. cit., note 3, p. 15) , lors de laquelle le comparatiste travaille par des rapports objectifs (Id., p. 43) . Kötz revendique en outre le recours à des concepts susceptibles de rendre compte sans aucune distorsion que ce soit de la réalité dont le savoir comparatiste entend faire son objet d'étude. Il traite ainsi de « termes purement fonctionnels » [« purely functional terms »] (Id., p. 34), d'« exigences purement objectives » ou de « concepts plus élevés », lesquels seraient suffisamment englobants pour subsumer l'hétérogénéité des institutions comparées, posant surtout, comme principe heuristique, le choix du « better law » (le droit meilleur) valorisé par le comparatiste. [61] Dans la même série d'exemples tirés du livre maître de la comparaison, il vaut, dans ce contexte, de rappeler qu'en vertu d'un des piliers du modèle théorique qu'il défend, Kötz retient, eu égard au choix par le comparatiste des signifiants juridiques qu'il se propose de comparer (et qu'il choisit donc de valoriser), que « des incomparables ne peuvent pas être utilement comparés et [qu']en droit les seules choses qui sont comparables sont celles qui remplissent la même fonction » : Zweigert et Kötz, op. cit., note 3, p. 34 [« Incomparables cannot usefully be compared, and in law the only things which are comparable are those which fulfill the same function »]. Pour un exemple concret pris dans la réalité juridique, Niglia rappelle que lorsque la Hous of Lords a appliqué la principe de la « bonne foi » sur la base de la directive protégeant les consommateurs, décidant qu'elle est conséquente avec le raisonnement anglais, les commentateurs de souche orthodoxe y ont manqué de remarquer à la fois le changement de style dans la législation communautaire et les efforts d'adaptation faits par la Common Law, se bornant simplement à faussement conclure sur le caractère « commun » de l'institution de la bonne foi dans les deux traditions légales. [62] Au contraire, Zweigert et Kötz, op. cit., p. 35, insistent sur le fait que « Le comparatiste doit éradiquer les préconceptions du système juridique dont il est originaire » [« the comparatist must eradicate the preconceptions of his native legal system »]. Egalement, pour une affirmation expresse de Kötz prônant l'extraction du droit de la réalité, c'est-à-dire prétendant effectuer la purification du droit par rapport aux autres éléments constitutifs du réel, voir Zweigert et Kötz, Id., note 3, p. 44 : « Les solutions que nous trouvons dans les différents droits doivent être détachées de leur contexte conceptuel et dépouillées de leurs connotations doctrinales nationales » [« the solutions we find in the different jurisdictions must be cut loose from their conceptual context and stripped of their national doctrinal overtones »]. [63] P. Legrand, Antivonbar, op. cit., p. 14. [64] N'y étant pas immanente, la valeur ne peut pas être déduite de la réalité (juridique). J'emprunte cet argument à C. S. Cercel, Le « jus commune » dans la pensée juridique contemporaine, ou le comparatisme perverti, dans Comparer les droits, résolument! (éd. P. Legrand), Presses Universitaires de France, Paris, 2009 (à paraître), qui reprend les mots de Kelsen (H. Kelsen, The Natural-Law Doctrine before the Tribunal of Science, dans Western Political Quarterly, 481, pp. 483-484 [« not immanent »], [« value cannot be deduced from reality »].
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