Numărul 2 / 2007

 

 

SCOLIES SUR L'AVENIR DES FACULTÉS DE DROIT

Bjarne MELKEVIK*

 

 

Qu'il nous soit permis de parler des « facultés de droit » en général et non pas de l'une ou de l'autre faculté de droit spécifiquement. En fait, le spécifique n'est souvent que le singulier d'un phénomène qui se conjugue déjà dans le général. De ce fait, c'est surtout le mot « futur » qui nous inquiète et qui nous agace amplement. Parler du «futur», c'est le plus souvent se présenter comme le premier à avoir tort, à être dans le faux. Combien de fois, en effet, n'avons-nous pas lu des hypothèses, prévisions ou suppositions quant au « futur » et, avec un sourire cynique, n'avons-nous pas pu contempler l'art de se tromper royalement par le « wishful thinking ». Dans des cas précis, nous aurions même eu envie de proposer qu'il faille mieux revenir aux bonnes vieilles méthodes éprouvées et préférablement « lire » dans le marc du café, les entrailles des animaux ou dans la carcasse brûlée de tortue. Le choix entre les prémonitions de Pythô ou celles de l'occupant universitaire de la chaire en futurologie se présente souvent comme bien relatif et cela doit plutôt être le tarif qui décide le choix de l'une ou de l'autre. Si nous faisons abstraction de cette question pécuniaire, nous aurions probablement opté pour Pythô, vu qu'elle s'entourait de conseilleurs qui avaient une sacrée tendance à arranger le « futur » pour qu'il coïncide, à la fin, parfaitement aux présages initiaux.

En ne mettant donc pas trop d'emphase sur le mot « futur », il n'en demeure pas moins que les transformations en cours ne peuvent nous permettre que de réfléchir très modestement sur les facultés de droit et sur leur « futur », leur «avenir ». Il ne s'agit en fait que de se faire l'interprète des tendances, de l'évolution, des transmutations et des transformations qui sont déjà présentes et actives, et qui risquent simplement de s'accentuer, s'amplifier, pour former, ou imposer ce « futur ». Quelques-unes de ces tendances peuvent être jugées positivement, d'autres paraissent plutôt inquiétantes et négatives, et entre les deux, dans le « gris », nos jugements peuvent être bien plus qu'oscillants. Gardons pourtant fermement à l'esprit que c'est finalement nous les acteurs de notre «futur», c'est nous qui le créons avec nos actions et avec nos passivités. Il ne s'agit, de ce fait, nullement d'une fatalité, car en croyant que celle-ci constitue notre destinée ou simplement l'inévitable, c'est inlassablement le piège de fatalisme qui glace l'esprit et l'action. Et même lorsque les « contraintes objectives », comme nous les annoncent si habilement nos politiciens, nous barrent la route, le rappel, que même le petit monde des facultés de droit peut (et doit) être l'objet d'une politique et surtout de débats les plus francs et poussés que possible, doit toujours nous inciter à évaluer notre situation et agir en conséquence.

Dans la perspective annoncée, il nous semble plus éclairant de procéder par l'émission d'un certain nombre de thèses susceptibles de nous instruire quant à ce « futur » - toujours donc éventuel - des facultés de droit.

 

 

 

1. Le nouveau lieu d'identification des juristes

Notre première thèse défend que les facultés de droit seront, dans le monde des juristes, de plus en plus centrales et indispensables. Elles représenteront, dans la « futur », le seul lieu possible de l'identification, de l'identité d'un « juriste ».

Pourquoi? Pas par la beauté de la chose, mais parce que le monde des juristes se caractérise déjà, et de plus en plus, par une fragmentation et marginalisation des rôles socioprofessionnels associés au droit (avocat, notaire, conseilleur, procureur, etc.). Les facultés de droit seront, en conséquence, simplement le seul « lieu » qui pourra servir de point de ralliement ou simplement de référence à un(e) professionnel(le) travaillant « en droit ». En ce sens, les facultés de droit détrôneront lentement, mais sûrement, les ordres professionnels et l'identification par le prestige attribué traditionnellement au « titre » ou au « rôle » socioprofessionnel, comme le lieu par excellence de l'identité juridique. Affirmons également que les « titres », les « rôles », seront, de plus en plus, tellement éloignés du « canon» de l'un et de l'autre pôle socioprofessionnel, que le seul point de référence entre les personnes voulant s'identifier comme « juriste » se refera, inéluctablement, au fait d'avoir eu une formation dans une faculté de droit.

Cette évolution en faveur des facultés de droit est donc rationnellement parallèle avec la transformation des ordres professionnels d'un statut de l'identité vers le rôle de garanti de revenu, sinon de statut social, ou simplement d'une « assurance » chèrement payée. Soulignons, entre parenthèse, que la politique générale adoptée par les Barreaux, les Inn, les Law Society, insistant sur (et renforçant) le « monopole » du travail « juridique » pour leurs membres, est plutôt de très courte vue et ne peut qu'avoir des effets pervers.

Supposons que notre appréciation soit juste, il en découle que les facultés de droit veulent se trouver dans une position de force dans le monde juridique. Ce seront elles désormais qui géreront la question de l'identité des juristes et qui influenceront, par ce biais, le positionnement des juristes dans la société. Il va sans dire que ces mêmes facultés devront être fortes et aux aguets pour gérer cette situation. Or, certaines de nos autres thèses seront plutôt sceptiques quand à leur capacité réelle de profiter de cette conjoncture.

 

2. Marginalisation des facultés de droit

La deuxième thèse soutient, en effet, que les facultés de droit veulent troquer leur force traditionnelle pour se marginaliser. Marginalisant du même coup également le prestige du « juriste » dans la société.

Comment? Cela se produira, en fait, par une transformation des études en droit de l'état actuel de « généraliste » vers l'insistance, de plus en plus accentuée, mise sur le technicien, sur l'étude de droit comme une « spécialisation » dans un domaine dit « droit ». Là où les facultés formaient autrefois des individus, nous devrons dans le « futur » répondre aux demandes, être attentifs au changement du marché mondial, de la mondialisation, ou simplement être proactif à l'égard du développement économique, technique, social et tutti frutti. Bref, fini le modèle voulant former les individus et bonjours l'avènement de l'enseignement donnant (précisément) la marchandise.

Or, la force historique des facultés des droits a justement été de former des « généralistes », des juristes capables de fonctionner adéquatement, un peu partout dans la société. Les études de droit étaient des études générales qui permettaient simplement aux « juristes » d'obtenir une compétence, leurs compétences comme juristes. Ou encore, des études qui insistaient sur la formation d'une tête bien « apte » à confronter, toujours d'une façon ouverte et imaginative, des problèmes juridiques, et où la question de la connaissance dogmatique, dite de droit, était toujours, en principe, au service d'une telle aptitude, d'une telle compétence. Certes, les Barreaux ou les Notariats ont-ils, fallacieusement, fait pression sur les facultés de droit en faveur de la conception « dogmatique » pour se réserver, illégitimement, le rôle d'une hégémonie, hélas trop bête, d'initiation pratique. Les résultats néfastes que cela a provoqués dans les facultés de droit n'ont pourtant été, jusqu'ici, que limités et peu convaincants, et tout étudiant pouvait, en toute liberté, aller plus loin et découvrir le sens d'une formation bien faite.

Or, l'abandon graduel de cette insistance sur la formation généraliste de l'individu au profit d'une connaissance technique, professionnelle ou encore « en demande », toujours hélas si éphémère, bousculera tout, car dans le monde des « spécialistes », le juriste sera nul, handicapé et inapte. Il troquera immédiatement, en toute lucidité, son habit de technicien, de spécialiste en droit pour l'image de spécialiste tout court.

Insistons donc sur le fait que la compétition avec des spécialistes, comme des économistes, des experts en management ou en administration (public ou privé), et ainsi de suite, se joue déjà et que les juristes sont normalement toujours perdants. Les différents possesseurs de MBA, étant précisément une éducation de spécialistes, seront simplement les plus appropriés pour un nombre impressionnant de postes de travail traditionnellement occupés, ou « réservés », aux juristes. La tentation de les imiter, de transformer les facultés de droit en formation de « spécialistes » est donc plus que tentante et beaucoup de facultés veulent succomber. Le résultat sera que la force traditionnelle des facultés de droit ne sera plus là et que ce nous aurons supposément obtenu, n'aura plus aucun poids, aucune valeur. Le résultat sera la marginalisation.

 

3. Vers une pédagogie marchande

Notre troisième thèse sera que l'enseignement, dans la « futur », dans les facultés de droit, sera structuré sur la valeur « marchande ». L'enseignement sera une marchandise.

Pourquoi? Parce que la forme actuelle des études de droit insistant sur la formation de l'individu est coûteuse pour les facultés de droit et qu'elle est insécurisante pour les étudiants. La formule magique qui sera alors préférée, c'est de renoncer à tout formation de l'individu, l'étudiant, pour la remplacer par de l'enseignement dans le sens circonscrit de donner, transmettre, apporter la connaissance du « droit » (i.e. la dogmatique juridique au goût du jour) ou simplement donner la « marchandise ».

En fait, déjà dans le langage déshumanisant et bureaucratique, « donner », « transmettre » ou encore « apporter », se révèle toute la problématique. On se crée un fourre-tout idéologique dit « connaissance en droit » où l'on traite les étudiants comme des objets: « ouvrez la bouche, on arrive avec la cuillère de bouillie de droit ».

Pour les étudiants, la forme « donner la marchandise » sera sécurisante et ils la préfèreront instinctivement. Car, il y a simplement quelques choses de profondément « insécurisant » d'être l'objet d'une formation. Pourtant, le problème pour les étudiants, c'est qu'ils troquent la force d'une formation en droit pour une pacotille bien plus qu'éphémère.

Le « futur » qui nous guette, des mauvaises langues disent même qu'il est déjà ici, c'est de voir la formation de juristes se faire remplacer par l'enseignement, par la « marchandise ». Bien sûr avec des « PowerPoint », des « ordinateurs » et tout le bazar nécessaire pour la faire plus conviviale!

 

 

4. Des facultés de droit de plus en plus pauvres

Notre quatrième thèse sera que les facultés de droit s'appauvriront davantage et de plus en plus. Avec les conséquences néfastes sur la pédagogie et la recherche que cela provoquera.

L'État néolibéral - et c'est l'idéologie qui cherche à nous gouverner encore pour une ou deux générations - ne veut pas investir dans l'enseignement. Les universités et les facultés, et surtout celles de « droit », seront donc privées de ressources nécessaires pour évoluer, pour soutenir la recherche ou simplement pour fonctionner adéquatement. Un des enjeux clés dans le «futur» se jouera en conséquence autour de la possibilité, l'éventualité, de disposer, ou non, des « Fonds » indépendants - appartenant en exclusivité aux facultés - pour réaliser des objectifs concernant l'enseignement et la recherche. Cela sera primordial et se concrétisera dans des facultés « riches » et « pauvres », ou encore, simplement, dans des facultés vulnérables quant au chantage des fournisseurs de fonds. Quant à ce dernier précisément, il est à prévoir qu'il va s'exercer aussi bien sur l'enseignement que sur la recherche. Ce qui sera privilégié sera les objectifs idéologiques ou politiques des bailleurs des fonds. Ou encore des activités de l'ordre des « feux d'artifice »; en rappelant que si le peuple de la Rome antique voulait « du pain et du cirque » les choses ne sont guère différentes en ce qui concerne les facultés de droit.

Les facultés de droit seront donc tentées de « privatiser », de « contractualiser », de « vendre », leurs activités (ou plus honnêtement: leurs diplômes), pour accéder aux sous. Nous verrons de plus en plus de « facultés » strictement privées et commerciales offrant un diplôme en « droit » à celui qui paye pour cela. Le diplôme sera donc la marchandise vendue et tant pis si les détenteurs n'ont pas pu se former une « tête juridique »! Les facultés de droit seront simplement une sorte de « garderie » où tout le monde aura son diplôme à la fin.

C'est donc vers une situation faustienne que se dirigent les facultés de droit: se vendre pour rester des facultés de droit dignes de ce nom, ou refuser de se vendre et vieillir comme des vierges stériles.

 

5. L'incompréhension interfacultaire va augmenter

La prochaine thèse défend que l'incompréhension interfacultaire s'amplifie. Bref, le «futur» se décline sous le mode de professeurs qui seront incapables de comprendre ce que font ou pensent les autres professeurs.

Traditionnellement c'était des juristes bien formés qui étaient engagés comme professeur. Il fallait avoir une compétence poussée en droit couronnée par un doctorat en droit. Ce doctorat n'avait en soi guère d'importance à l'égard de la question principale, consistant à savoir si la thèse montrait une habilité de haut calibre quant à un problème juridique et à la façon de traiter adéquatement ce problème. Bref, ce qui comptait c'était la question de l'habilité quant au travail théorique et pratique dans le domaine du droit et il était légitimement supposé qu'un professeur pouvait, par cette habilité, comprendre et se positionner à l'égard d'une multitude de questions juridiques, sinon idéalement de « tout ». Or, force est de constater qu'il ne s'engage plus de tel professeur, c'est devenu une denrée rare et inaccessible, sinon un idéal non réalisable. Les facultés de droit engagent des « spécialistes - techniciens » dans un domaine et ceux-ci font de la recherche sur leur « bibitte ». Et cela constitue tout ce qu'ils savent du « droit », ou plus simplement, de la « bibitte » qui remplace la question de droit.

Le résultat, le « futur», ne sera simplement plus qu'un gouffre de plus en plus profond et inquiétant qui se creusera entre les professeurs. Et si le mot « faculté » signifiait proprement « les professeurs », et que c'était les professeurs qui, dans leur fonction, la constitueraient, c'est subséquemment le sens même de « faculté » qui serait soumis à une pression de plus en plus forte et comminatoire. Car si une faculté se faisait par intercompréhension, par des dialogues et des liens s'engageant en faveur du « droit », c'est spécifiquement ces liens interfacultaires qui seraient soumis à une pression, un stress, où la vocation pour le droit risquerait fortement de se voir marginaliser au profit des questions de pouvoir et d'idéologie.

Le risque, le « futur », de voir les facultés de droit sombrer dans différents jeux de « pouvoir » et d'idéologie est d'ailleurs d'autant plus réel que le climat idéologique d'aujourd'hui pousse, avec force, dans cette direction.

 

6. La recherche comme activité de luxe

Notre sixième point défend simplement que la recherche sera marginalisée dans les facultés de droit, qu'elle sera l'activité de luxe que le professeur fera la fin de semaine, quand il aurait plutôt dû se reposer.

C'est en fait la conséquence de nos autres thèses: Faire de la recherche est simplement un travail Herculéen ou simplement Sisyphien; cela prend du temps, de la réflexion, de la diligence, et ainsi de suite. C'est simplement un travail fastidieux, laborieux où le chercheur, dans le meilleur des cas, s'engage corps et âme pour élucider un topoi juridique ou un problème circonscrit. Or, comment faire de la recherche si les ressources manquent, si les amphithéâtres et les copies à corriger bouffent tout le temps et si l'administration de ceci et de cela dévore le reste? Comment faire de la recherche sans le soutien facultaire et dans une ambiance d'hostilité et d'incompréhension? Pourquoi faire de la recherche si personne n'en veut?

Il en résulte simplement que la différence entre les facultés « pauvres » et « riches » veut se traduire dans le fait que les « riches » peuvent se payer les chercheurs réputés et le plus côté. Ils peuvent ainsi se construire un statut d'excellence et donc aussi utiliser cet atout pour récolter plus d'argent. Les professeurs dans les facultés « pauvres » veulent rêver d'immigrer vers les facultés riches ou encore vers des centres ou des chaires de recherche comme solution individuelle de leurs propres ambitions ou « misères ».

Le résultat de la marginalisation de la recherche sera que tout le système des facultés de droit sera boiteux, car si avancer se fait normalement avec deux pieds (formation et recherche), comment avancer si nous n'avons qu'un pied en bois (i.e. la tâche de donner la marchandise)?

 

7. La recherche remplacée par le «fournisseur de prémisses»

Notre septième thèse soutient que la recherche sera dans le « futur » remplacée par la production scripturaire s'imposant comme « fournisseur de prémisses ».

Dans une situation où les ressources pour faire de la recherche déclinent et où le soutien institutionnel s'éclipse, il faut simplement être assez intelligent pour faire face, pour être (apparemment) dans le coup, et pour récolter de l'argent pour la « recherche ». Ce que nous voulons donc souligner c'est que l'industrie et les gouvernements achètent chacun leurs « chercheurs ». Afin que les universitaires développent pour eux, pour les Gouvernement et l'industrie, les « prémisses » dites de valeur, d'éthiques, de justification, de politiques, de « droit », etc., que les gouvernements et l'industrie ont besoin pour fonctionner sans friction avec la population. Bref, le travail scripturaire universitaire veut dans « le futur » se concrétiser comme « fournisseur de prémisses » justifiant toujours une quelconque politique ou une orientation idéologique rebaptisée de temps à l'autre « droit », mis en branle par les différentes instances de l'État ou de l'industrie.

Il faut bien se rend compte que le mépris populaire, à l'égard des politiciens, fait que ceux-ci ont de mal à faire passer leurs « messages ». Un « fournisseur de prémisses » dans les facultés de droit est ainsi l'homme ou la femme rêvé(e) pour faire avaler les pilules et les « messages » politiques, pour les justifier et encadrer tout soi-disant « débat » sur ces prémisses. Toute opposition peut immédiatement être muselée en évoquant notre « expert » venant de la faculté de droit et toute demande démocratique déléguée vers les calendes grecques.

Précisons que l'exploitation de la recherche pouvait, même aujourd'hui, être faite de cette façon en se servant illégitimement de celle-ci pour obtenir une légitimation, une justification des politiques étatiques ou de l'industrie. Mais la fonction « critique » de la recherche demeurait pourtant toujours intacte et il existait ainsi toujours une limite pour n'importe quelle exploitation clientéliste et idéologique de cette recherche. Or, en tablant sur la logique de « fournisseur », en se mettant ouvertement ou discrètement à son service, le travail scripturaire devient le contraire et l'ennemi de la recherche en droit. Cela devient un élément de la nouvelle obscurité où fusionnent les facultés de droit dans un « sub-service », pourtant bien payant pour les gouvernements et l'industrie.

 

8. La recherche en tant que camelote poétique

La huitième thèse concernant le «futur» des facultés de droit soutient que nous verrons de plus en plus de « camelote poétique » qui se présentera comme de la « recherche en droit » ou encore de la recherche « novatrice », de « pointe », « d'engagés » et ainsi de suite.

Nous pouvons identifier la « camelote poétique » comme tout recherche qui « objectifie», d'une façon ou d'une autre, la question de droit. Bref, qui prétend, illégitimement, savoir quelques chose sur le droit en tant que « chose » sociale, anthropologique, culturelle, pluraliste, multiculturelle, et ainsi de suite. L'homme est un animal qui aime la camelote, la pacotille et les feux d'artifice. Et comme la recherche en droit est longue et difficile, et nécessite, comme nous l'avons indiqué auparavant, un travail de long haleine, pourquoi ne pas la remplacer par quelques choses de plus facile, plus plaisant, plus étincelant? Bref, une « recherche » qui n'a rien à faire avec le « droit », sinon qui abuse le mot et s'en sert pour des raisons idéologiques ou simplement de paresse.

Plusieurs revues « d'Idéo-droit » américaines tombent déjà dans cette catégorie. Si l'on prend un volume annuel de Law and Society Review, chacun peut, à loisir, constater que le mot même « Law », « droit », a perdu tout sens, ou n'est utilisé que pour faire sexy. La raison est d'ailleurs simple, le droit comme « prose du monde moderne » attire des chercheurs qui cherchent à valoriser leurs discours habituels et qui adoptent le mot « droit » pour se faire lire ou simplement pour se faire publier. Si le monde avait été différent, les auteurs auraient utilisé un autre mot que « droit ».

Il est à prévoir que la recherche dans les facultés de droit lorgnera de plus en plus vers une telle recherche de camelote poétique. Et, nous le constatons, le mot « droit » ne servira plus, à d'autres, qu'à vendre de la « camelote poétique », à qui le veut bien.

 

9. Les facultés de droit coupant le pont avec la pratique

Quant à notre neuvième thèse, elle défend que les facultés de droit risquent de couper le pont, de plus en plus, avec la pratique. Nous risquons d'avoir, dans le « futur », une théorie académique du « droit » qui n'a rien à faire, sinon que d'être hostile ou indifférent, à la pratique juridique.

Il s'agit ici d'un développement très sérieux et même inquiétant. Nous observons ici encore que l'évolution, aussi bien en Europe qu'en Amérique du Nord, tire dans cette direction, avec la situation emblématique de certaines facultés de droit aux États-Unis servant comme locomotive. C'est même une situation paradoxale, dans le sens que c'est le « droit académique » qui sera, par une nouvelle (pas si) sainte alliance qui englobe les facultés de droit et les « top juristes », constitué par différentes couches d'oligarchies « juridiques », mises en avant comme un arme contre la pratique du droit et la valeur juridique de la pratique. La mise sur pied de ce « droit académique », où se conjuguent les facultés de droit et les cours suprêmes, les différentes couches de l'oligarchie « juridique », a donc besoin d'une forte idéologie « camérale » ou « censoriale » qui est, aujourd'hui, en train de forger et de se renforcer au détriment du droit.

Dans l'enseignement comme dans la recherche, la pratique du droit, comme elle touche et affecte le citoyen normal, va graduellement disparaître ou s'affaiblir, comme horizon pour les facultés de droit. Il sera remplacé par le « droit académique » parce qu'uniquement cette conception dogmatique et idéologique permet d'accomplir la « vue par en haut » tant désirée et de servir comme support d'une idéologie camérale ou censoriale également favorisée par les oligarchies « juridiques».

 

10. Des professeurs déboussolés

Et la dixième thèse n'étonnera maintenant personne: les professeurs seront de plus en plus déboussolés. Ils ne perdront pas uniquement la « nord », mais tout sens « critique » et toute orientation en droit, dans la recherche, dans la faculté, dans la politique. Ce qu'ils feront, c'est d'enseigner la « marchandise » et répondre aux « demandes ».

Rappelons donc que si une « faculté » est, strictement parlant, uniquement les professeurs, il faut simplement que les professeurs prennent en charge le sens à attribuer à cette situation. L'idéal serait une situation de réflexion sur le fait d'être professeur, de même qu'un travail collectif et un dialogue sur le sens à accorder à ce fait ou encore sur les enjeux de la constitution d'une faculté digne de ce nom.

À cela s'ajoute le problème de la formation même des professeurs. Et s'il y a un problème avec l'hyperspécialisation dite « en doit », il y a aussi, de plus en plus, un problème quant à la culture juridique des professeurs. Pour fonctionner adéquatement, pour s'orienter, il faut s'assurer qu'un professeur a acquis une culture juridique lui permettant le plus pertinemment possible de fonctionner comme tel!

Mais soulignons qu'il s'agit bien ici des « idéaux » qui se réaliseront de moins en moins, car il n'y a simplement pas de temps. En fait, d'être professeur aujourd'hui peut être comparé avec le travail de pompiers. Il s'agit simplement de gérer les « feux » ou simplement les « interventions ». Autrement dit, de gérer les tâches d'enseignement, de recherche et d'administration d'une façon la plus rationnelle, ou bureaucratique, pour simplement pouvoir respirer. Et comme les « obligations » vont croître d'une façon démesurée, il aura de moins en moins de possibilité de contact direct et franc avec les étudiants.

Le « futur » sera simplement pire! Le manque de ressources, etc., fera simplement que le professeur en droit sera de moins en moins un professeur et de plus en plus un « enseignant », un « spécialiste », un « chargé de cours », et ainsi de suite. Et cela est si déprimant que nous ne voulons maintenant rien dire de plus sur les effets désastreux que cela provoquera pour et chez les étudiants.

 

 

 

Pour un «futur» qui sera différent

En fin de compte, il faut se demander si le «futur» n'est pas déjà ici. Si nous ne vivons pas déjà avec un pied dans ce «futur » en attendant passivement que le deuxième pied soit déplacé, contre notre volonté, dans ce même « futur ». Or, si le « futur » est déjà ici partiellement et qu'il risque bien de s'installer «dans béton », il faudra quand même se poser les questions: «Est-ce cela que nous voulons? », « Voulez-vous une faculté de droit qui louvoie entre le fait de donner la « marchandise » et de répondre aux « commandes? », « Croyez-vous qu'une formation en droit doit/peut se faire dans tel cadre? », « Serez-vous fier de sortir d'une faculté de droit en lambeau? Et avec un diplôme qui ne vaut rien? ».

En ce qui nous concerne, nous disons simplement «No passaran!». Et nous nous engageons énergiquement pour une faculté différente, une faculté qui prend au sérieux une formation de l'individu comme juriste, qui forme avant tout des « têtes » capables de fonctionner comme juristes, et qui valorise la recherche juridique pour ce qu'elle est: à savoir une « recherche » qui se justifie uniquement par les objectifs même du droit.

Il faut en conséquence avouer que nous sommes, peut-être, trop influencés par un idéal juridique de l'enseignement et de la « faculté ». Peut-être trop convaincus que de se faire un « tête » de juriste, c'est avant tout une bataille avec une matière, un problème, et toujours une lutte avec une question de droit. Un professeur agit, certes, comme un général de l'armée dans cette bataille, mais il n'y aura pas de victoire qu'en passant par les champs de batailles, par la sueur et les cris, par la boue et le feu, par les escarmouches et les engagements. Et quand la victoire est là, c'est là, paradoxe même des choses, que la victoire appartient toujours à celui qui a effectivement fait la bataille, le « soldat » ou simplement, l'étudiant(e). Le professeur, quant à lui, n'a gagné qu'une bataille!

 

 

* Faculté de droit, Université Laval, Québec, bjarne.melkevik@fd.ulaval.ca.

 


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